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Turquie : la politique passe de la peur au rêve

mardi 3 mai 2011, par Eyüp Can

Kanalistanbul La campagne pour les élections législatives de juin prochain marque une normalisation progressive de la vie politique. Eyüp Can , rédacteur en chef du quotidien Radikal, souligne l’évolution des discours et pratiques politiques.

Je voudrais aborder un point très important qu’il ne nous faut pas perdre de vue quant au processus électoral en cours en Turquie.
En Turquie, la vie politique se normalise enfin.
Pourquoi ?
Parce que désormais, dans cette campagne électorale, gouvernement comme opposition vendent du rêve. Je n’utilise pas cette expression de vendre du rêve de façon négative... Bien au contraire, je la considère comme un développement très positif allant dans le sens d’une normalisation de la vie politique.

Autrefois, c’étaient les peurs qui déterminaient la vie politique...
« La peur de l’islamisme, la peur du régime ou du changement de régime, la laïcité, le coup d’État, Ergenekon... », voilà ce qui déterminaient l’agenda des partis politiques.
Et plutôt que de faire rêver l’électeur quant à l’avenir, on actionnait la pompe des « peurs fantasmatiques » quant à l’autre.

Or, voilà la première fois depuis longtemps que les partis sont en situation de concurrence sur le plan des promesses, plutôt que sur celui des peurs.
Kanal Istanbul, projet urbanistique pharaonique avancé par Tayyip Erdogan, chef du gouvernement, allocations familiales, logement aux jeunes mariés, un i-pad à chaque étudiant..., la liste n’en finit plus. La politique se normalise sur des promesses semblables à des rêves.

Mutation de l’opposition

Reconnaissons que la principale cause de cette normalisation est liée au CHP (parti républicain du peuple, gauche kémaliste) qui évolue rapidement sous la direction de Kemal Kılıçdaroğlu. Autrefois, le parti qui contribuait le plus à « l’anormalisation » de la vie politique par une politique fondée sur les peurs, c’était le CHP.
Maintenant, en se lançant dans la course aux promesses, c’est encore le CHP qui contribue dans une grande mesure à cette normalisation de la vie politique turque.
C’est la raison pour laquelle, avant toute chose, il faut rendre à Kılıçdaroğlu ce qui appartient à Kılıçdaroğlu.

À mesure que ce nouveau leader du CHP fait évoluer le discours politique du CHP de la peur vers la promesse de la création d’un avenir commun, c’est tout le discours politique en Turquie qui évolue.
C’est pourquoi personne ne doit se gausser de cette course aux promesses du gouvernement et de l’opposition.

American dream et rêve européen

Partout dans le monde, la politique s’opère sur deux lignes ; il en est qui vendent des peurs, et d’autres le rêve d’un avenir commun.

Les sociétés confiantes en elles-mêmes bâtissent la politique sur le rêve d’une vie collective. Les autres produisent des scénarios cauchemardesques fondés sur des ennemis imaginaires.
Nous avons été les témoins de ce que ces États-Unis, autrefois capables de convaincre le monde entier de la viabilité de leur rêve collectif du « toi aussi, tu peux... », de son rêve américain, ont cédé à la politique de la peur au lendemain du 11 septembre. Avec la politique néo-conservatrice de Bush – vous pouvez parler de politique de la peur -, le rêve américain s’est vite transformé en cauchemar américain...

En Europe, lorsqu’après des politiciens marginaux, des politiciens de premier plan se sont décidés à recourir à la politique de la peur, le « rêve européen » qui, un temps, fit rêver tout le monde, est devenu, avec l’effet conjugué de la crise financière, un « cauchemar européen ».

Et c’est à ce moment précis qu’en Turquie, perce une façon de faire de la politique promettant un avenir commun aux citoyens, une politique fondée sur le rêve.
Kanal Istanbul et les allocations familiales ne sont pas seulement deux initiatives lancées dans ce sens par le pouvoir et l’opposition, mais en même temps, l’histoire du passage de la politique de la peur au rêve.

Nous aurons tout le temps de discuter de savoir si ce genre de promesses sont, ou non réalistes, dans les jours qui viennent. Combien sont-elles populistes, combien sont-elles réalistes, nous en discuterons avec des politologues et des spécialistes.
Dans une élection, il n’incombe pas aux partis qu’à faire des promesses. Il faut encore qu’ils puissent convaincre l’électeur de la pertinence de leur rêve.

Il ne suffit pas de promettre à qui mieux mieux. Désormais, l’électeur se pose la question de savoir comment tu tiendras tes promesses...
Et puisqu’on a compris que cela ne marche pas en faisant peur, nous discuterons des promesses faites tout au long de la campagne, nous les analyserons sous toutes les coutures.
N’est-ce d’ailleurs pas cela, la normalité ?

— -

- Sur cette question de la normalisation de la vie politique en Turquie, voir aussi l’analyse d’Anne Guezengar concernant le statut du parti politique kurde, le BDP.

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Sources

Source : Radikal, le 29/04/2011

- Traduction pour TE : Marillac

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