N’est-il pas étrange que dans un pays qui se couche et se lève en discutant de l’UE, dans un pays qui en a fait le cœur de ses débats politiques, l’intérêt à ce qu’il se passe effectivement en Europe soit à ce point réduit ?
Et d’après moi, il s’agit là d’une démarche consciente plutôt que d’un manque classique d’information et d’intérêt. Parce que si nous suivons le fil des évolutions politiques en Europe, la magie de la chose risque bien de s’étioler.
En Italie, c’est Berlusconi qui vient de remporter les élections. Dans l’un des pays de cette Europe que nous considérons comme notre salut et la solution à tous nos problèmes, c’est la troisième fois depuis 1994 qu’on porte au pouvoir un politicien dont le passif en termes de malversations ou de concentration du pouvoir politique et médiatique est des plus lourds. Et qui plus est, le voilà cette fois parvenu au pouvoir au gré d’une coalition des plus droitières que l’Italie ait connues depuis la fin de la guerre de 39-45. Quant aux orientations de la diplomatie berlusconienne, elles sont trop bien connues ; elles sont d’un américanisme bien trempé, soutenant notamment les options américaines au Moyen-Orient.
La situation française n’exige plus de commentaire particulier ; après l’Allemagne, la France a vu s’installer une majorité de droite. Et pour ne rien gâcher, on a vu Sarkozy se distinguer par une inclination très pro-américaine.
En Angleterre, c’est toujours le Parti Travailliste qui est au pouvoir. Mais cette majorité est un pouvoir qui, depuis le début, a soutenu les Etats-Unis dans leur aventure irakienne. Face au mécontentement de l’opinion publique, Tony Blair a été contraint de céder son poste à Gordon Brown avant le terme de sa mandature. On croyait Brown plus à gauche sur les questions internes, mais on a vite compris qu’il n’en était rien. Sur la question de l’Irak, un pas symbolique a été franchi avec l’annonce d’un retrait partiel des troupes britanniques, mais les lignes fondamentales de la diplomatie de Londres n’ont pas bougé d’un iota. Puis Brown, comme s’il s’agissait d’une chose essentielle, a annoncé que plutôt qu’une occupation militaire il fallait tenter d’en revenir à une stratégie de type guerre froide.
Quant à celui que l’on pressent comme le futur leader du Parti Travailliste, David Milliband, on le considère comme un fils spirituel de Blair.
Adhérer à une Europe sans identité politique ?
Voilà donc le dernier état politique et diplomatique de cette Europe à laquelle nous comptons vouer notre avenir. Personne n’ose aborder ces sujets-là. Le monde n’est pas à l’ordre du jour dans les considérations des libéraux. Les Pro-UE de gauche n’ont jamais choisi que de se dérober face à ces questions. Et comme leur préférence pour l’UE rejoint les intérêts des conservateurs, il est complètement vain d’attendre une réaction de leur part.
En dehors de la dimension politique interne du sujet, il n’est personne pour aborder la question du sens de la politique suivie par les pays membres de l’UE au Moyen-Orient. On a vécu ces dernières semaines des combats particulièrement violents dans la région de Bassorah. Les forces de sécurité du gouvernement irakien se sont décidées à éliminer les milices chiites de Moqtada Al-Sadr. Et ce sont les forces américaines et anglaises qui sont venues à leur secours.
Sami Ramadani, un ex-opposant à Saddam Hussein enseignant actuellement à l’Université Metropolitan de Londres parle d’une campagne lancée dans le même mois que les massacres organisés par Saddam dans la région en 1991. Une action qui aurait été plus violente que celle menée à la fin de seconde guerre de Golfe (The Guardian, 24 Mars 2008).
Récemment le chef de la diplomatie turque, Ali Babacan s’est entretenu avec son homologue britannique. Il fut alors déclaré que Turquie et Angleterre se retrouvaient sur beaucoup de sujets.
Or en Afghanistan, envoyer des soldats n’est pas apporter une solution. Parce que tous les soldats qui affrontent des « terroristes » sont perçus comme des occupants. Il convient de gagner les cœurs en tout premier lieu. Il en va de même en Irak. Et tout pays qui dans la région se range sur la ligne américaine, ne sera jamais entendu des peuples.
Depuis les années 1950, la Turquie a trop joué le rôle de supplétif des forces occidentales. Et continuer dans cette voie ne pourra que se payer de plus en plus cher.
Je répète que sur la question du Moyen-Orient, aujourd’hui, à la différence de ce que rêvent certains indéfectibles supporters de l’UE, il n’est pas de nuance entre la politique étrangère des Etats-Unis et celles des pays de l’UE. Mais il est certain que nombreux sont ceux qui ne veulent pas voir cette réalité, qui pour pouvoir interdire éternellement le voile, qui pour se battre avec les précédents, qui pour mordre sur les privilèges de la « nation dominante » des Turcs, qui pour faire durer le plaisir de se sentir européen...
Mais vous verrez que ces ententes tacites et malsaines ne seront d’aucun secours à personne.