Il y a quelques semaines, ma route croise celle d’Adem dans un bus longeant le Bosphore sur la rive asiatique d’Istanbul.
De ma discussion durant le trajet avec ce jeune homme enjoué résulte le désir de partager quelques heures avec lui et d’en savoir plus sur la situation des handicapés moteurs à Istanbul. Rendez-vous est pris un samedi matin d’octobre à Rumeli Hisarı, tout près de là où il habite depuis 25 ans avec ses parents.
Après son service militaire, Adem, originaire de Kars, travaille comme couturier et assemble des manteaux de cuir. A l’âge de 22 ans, sa vie bascule le jour où, pris d’un malaise en aidant un vieil oncle, il tombe du haut d’une terrasse. La nuque brisée et la moelle épinière touchée, il se retrouve paralysé des membres inférieurs.
Il passe près de six mois dans l’hôpital spécialisé de Haydarpaşa puis une période équivalente dans un centre de réhabilitation. Il y a 10 ans encore, notre rencontre aurait été impensable, Adem étant alors quasiment coupé du monde, ne pouvant sortir de chez lui.
Depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2005 d’un décret concernant la prise en charge des infirmes et de leurs familles, la vie quotidienne des handicapés s’est considérablement améliorée au fil des années, notamment à Istanbul, les pouvoirs publics ayant fait beaucoup d’efforts dans ce domaine
La mairie procède au recensement des infirmes en faisant du porte à porte. Les chiffres sont éloquents, près de 500 000 personnes sont concernées, soit environ 3,5 % de la population istanbouliote...
Une vingtaine de centres offrant des services variés vont fleurir aux quatre coins de la ville. Il suffit de composer le 153 pour disposer d’une panoplie complète de services gratuits des plus divers dont la liste est sans fin.
Adem peut disposer d’un véhicule aménagé et d’un assistant pour lui permettre d’aller aussi bien à un rendez-vous à l’hôpital qu’au cinéma, à la mosquée ou ailleurs et d’être ramené à son domicile à l’heure convenue.
Médecins et infirmières assurant les soins nécessaires sont envoyés à domicile tout comme des artisans pour effectuer par exemple les réparations sanitaires, électriques... etc.
Les handicapés qui ne sont pas assurés sociaux disposent de la carte verte pour une prise en charge entière des prestations médicales allant de la fourniture des médicaments à l’opération en passant par la mise à disposition d’un fauteuil roulant, la thérapie... etc.
L’Etat turc verse également une allocation tant à la personne handicapée elle-même qu’à la personne qui s’occupe de lui, en l’occurrence dans le cas d’Adem, à sa mère. Le montant cumulé de ces deux prestations se monte à environ 1000 TL par mois, soit 400 €.
Les frais de scolarité directs et annexes des enfants handicapés ou de parents handicapés sont aussi pris en charge.
Un village de vacances a été spécialement conçu pour accueillir les handicapés et leurs familles à Florya, quartier d’Istanbul au bord de la mer de Marmara.
Pour ce qui est des transports en commun, qu’il s’agisse des bateaux, du métro, du tram, des nouveaux autobus, du métrobus, ils sont accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Si les handicapés ne payent pas un kuruş pour leurs déplacements avec les véhicules municipaux, les bus longue distance ou les trains, une réduction de 40 % est la règle pour les transports aériens. Les places de cinéma sont souvent gratuites, parfois à demi-tarif.
Un fauteuil électrique qui permet de disposer d’une autonomie importante
De nombreuses associations de handicapés travaillant en partenariat avec les municipalités existent à travers le pays, porte-parole de cette population qui représente 8,5 millions de personnes en Turquie mais aussi organisatrices d’activités culturelles et sportives, de rencontres, de sorties.
La législation actuelle en Turquie oblige les entreprises de plus de 100 salariés à embaucher 7 % de travailleurs handicapés dans le secteur public et 4 % dans le secteur privé.
D’après Adem, le regard que pose aujourd’hui sur lui son entourage, tant les voisins que les commerçants ou ceux qu’il croise régulièrement, est très différent de ce qu’il a connu par le passé. Il a fallu du temps pour se faire intégrer par la société.
Finalement, sa vie quotidienne ressemble à celle de monsieur tout le monde en Turquie et c’est tant mieux.
Adem, toujours actif et indépendant, constamment sur les pieds par le passé, il vaque aujourd’hui à ses occupations, fait ses courses, fréquente le jardin à thé où nous nous sommes revus, va prier à la mosquée. Il apprécie qu’on le regarde simplement comme un être humain, pas comme quelqu’un de différent...
Adem, qui caresse tous les matins l’espoir de pouvoir marcher à nouveau un jour, se donne les moyens d’améliorer ses capacités motrices. Il y a deux mois, il a subi une opération d’une jambe à l’hopital Sabanci de Baltalimanı. Ayant perdu une quantité de sang considérable, la seconde n’a pu être traitée en même temps mais cette intervention qu’il souhaite devrait intervenir dans les semaines à venir.
Sous peu, il devrait pouvoir commencer à faire construire à Beykoz une maison de plein-pied qui lui permettra d’être encore plus autonome et d’envisager de travailler soit à domicile, soit à l’extérieur, peut-être dans une centrale d’appels pour le service clientèle d’une banque comme cela lui a été proposé à plusieurs reprises.
Je ne suis pas sortie indemne de ces heures passées avec Adem. Je garde l’image de son sourire radieux, de son humour, de sa capacité à s’émerveiller des belles choses qui l’entourent, de sa curiosité et de son optimisme : « La mission de chacun sur cette terre est de vivre tel qu’il est. La vie est belle, je suis libre et heureux... » me dit-il en substance.
Il est aussi gentleman assurément, pour preuve son aide proposée pour porter mon sac...
Paru sur le blog de Nathalie Ritzmann, Du Bretzel au simit