Michael Mainville
Dans le village arménien de Margara, certains attendent avec impatience l’ouverture de la frontière turque pour pouvoir faire du commerce et rencontrer leur voisins, après des décennies d’hostilité.
“Cela fait si longtemps qu’on attend ça. Les gens se préparent déjà”, raconte Jora Aleksanian, 55 ans, dont la maison se trouve à 200 mètres à peine de la frontière.
Si tout se déroule selon leurs souhaits, l’accord historique que l’Arménie et la Turquie s’apprêtent à signer samedi à Zurich (Suisse) sera rapidement ratifié, des relations diplomatiques seront enfin établies et les frontières entre les deux pays rouvertes.
Situé à 40 kilomètres d’Erevan, la capitale arménienne, Margara, un village assoupi de 1.500 habitants, espère bien se transformer alors en un carrefour sur la route de la Turquie.
“Si la frontière rouvre, il y aura de nouveaux emplois, par exemple dans les services de douane, des petits restaurants, des cafés, des magasins. Ce sera tout bénéfice pour nous”, se réjouit le maire, Khatchatour Assatrian.
La perspective d’un rapprochement avec la Turquie reste controversée en Arménie où beaucoup souhaiteraient qu’Ankara reconnaisse au préalable que les massacres d’Arméniens perpétrés en 1915-17 constituèrent un génocide.
Les partisans d’une ouverture estiment en revanche qu’elle aidera le pays, une ex-république soviétique de trois millions d’habitants, à sortir de son isolement et à développer son économie.
Selon le Fonds monétaire international (FMI) à Erevan, l’ouverture des frontières va accroître les exportations arméniennes – cuivre, cognac, fruits et légumes – vers l’Europe et le reste du monde.
Près de quinze millions de personnes vivent également dans l’est de la Turquie, à la frontière avec l’Arménie, un marché potentiellement porteur, relève Nienke Oomes, représentante locale de l’IMF.
Comme d’autres villageois, M. Aleksanian espère bien ouvrir un petit commerce. Des hommes d’affaires de la capitale achètent déjà des terrains, les prix de l’immobilier ont quasi doublé ces derniers mois, raconte-t-il.
“Il s’est écoulé assez de temps. On devrait se tendre la main. Au XXIe siècle, les frontières ne devraient plus être fermées”, estime M. Aleksanian.
Tout le monde ne partage pas pour autant son enthousiasme.
“Je ne sais pas ce qui va se passer quand la frontière sera ouverte, mais d’un point de vue historique, nous savons que les Turcs ont toujours été nos ennemis”, confie Angin Kharoupetian, 52 ans.
Aux yeux de M. Aleksanian, la plupart des villageois ne pensent pas seulement à développer le commerce mais aussi à rencontrer leurs voisins turcs après des années de divisions.
Les habitants de Margara peuvent certes apercevoir un village turc de l’autre côté de la frontière, mais n’ont jamais eu aucun contact avec sa population, relève-t-il.
Un pont, construit en 1961, enjambe la rivière Araxe vers la Turquie. Mais il n’a été utilisé qu’une seule fois, au début des années 1990, pour permettre à des organisations caritatives de livrer de l’aide humanitaire.
“Nous n’avons aucune idée de ce qu’il y a de l’autre côté de la frontière. Nous n’avons absolument aucun moyen de communication. Ce serait intéressant pour nous de voir comment vivent nos voisins”, lance M. Aleksanian.