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Mais qui es-tu, Riza Sarraf ?

L’homme d’affaires turco-iranien au coeur du scandale de corruption en Turquie

jeudi 30 janvier 2014, par Eric

Un avion chargé d’or allant du Ghana à Dubaï et stoppé à Istanbul, des ministres corrompus avec des centaines de millions de dollars et des montres de luxe, une épouse star de la pop, des centaines d’arrestations... Ce n’est pas le scénario d’un film mais l’histoire de Riza Sarraf, homme d’affaires turco-iranien, au cœur du scandale de corruption en Turquie. Auparavant, l’homme fait surtout parler de lui pour les cadeaux fantasques offert à son épouse. Son arrestation le 17 décembre 2013 a mis la lumière sur ses activités troubles, et sur la corruption massive au sommet de l’Etat turc. Mehul Srivastava, journaliste pour Bloomberg News, a compilé différentes sources pour tenter de décrypter l’origine de sa richesse et la nature de ses pratiques, qui lui ont permis d’escalader en quelques années au sommet de la société turque jusqu’à compromettre le pouvoir en place.

(Traduit de l’anglais - Bloomberg News, 29 janvier 2014
Article original)

Pour avoir un aperçu de ce qu’était la vie de Riza Sarraf, vous n’aurez qu’à feuilleter les rubriques People des journaux turcs.

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On l’y voit, alors qu’une bâche flottante révèle une villa de 72 millions de dollars sur les rives du Bosphore, un cadeau à son épouse, Ebru Gündes, une star de la pop turque. On l’y voit, assis à côté du Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan, lors de l’inauguration de logements publics.

A une autre occasion, on le voit brandir une récompense sur une scène avec l’épouse d’Erdogan.

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Sarraf (à gauche) et Emine Erdogan (4e à sa droite)

Pour avoir un aperçu de sa vie actuelle, vous irez plutôt feuilleter la description d’une prison de type T à Istanbul [1] où Sarraf partage une cellule avec quatre détenus et, où la population entière de la prison se promène dans une salle commune avec une radio et une petite cuisine. Une fois par jour, ils sont autorisés à une pause d’une heure sur un terrain de basketball.

L’immigré iranien trentenaire, disent les documents de la police et du tribunal, est au cœur d’un scandale de corruption, falsification, et contrebande d’or, qui a entraîné l’arrestation de centaines de personnes en Turquie, et la démission de trois ministres du gouvernement. Sarraf était en contact téléphonique régulier avec les ministres, tout en obtenant leurs faveurs, et celles de leurs familles, grâce à des millions de dollars, remis en argent liquide et en présents, parmi lesquels un piano à 37 000 dollars et une montre coûtant au moins 350 000 dollars offerts à un ministre. Il pouvait aussi rouler à pleine vitesse dans Istanbul avec une escorte policière arrangée par un autre ministre, prétendent les documents.

« Il est tout à fait extraordinaire que quelqu’un arrive à établir ce genre de connexions et à atteindre un tel volume d’affaires aussi rapidement », affirme Wolfango Piccoli, le directeur de l’agence Teneo Intelligence à Londres, qui suivait auparavant la Turquie pour l’Eurasia Group et qui rédige des rapports sur le pays pour ses clients. « La question est de savoir comment Sarraf y est parvenu. »

Des purges dans la police

Erdogan a longtemps vanté comme la principale réalisation de ses 11 années au pouvoir en tant que Premier Ministre la transformation de la Turquie en une puissance économique majeure, dans une région pourtant peuplée d’Etats en faillite. L’arrestation de Sarraf et d’autres personnalités proches du premier cercle du pouvoir montrent le revers de la médaille, celui où le népotisme et la corruption ont apparemment accompagné le succès financier de ses alliés. S’ils venaient à être condamnés, ce seraient les premières victimes d’une bataille judiciaire qui pourrait affecter Erdogan dans sa possible candidature à l’élection présidentielle de cette année.

Depuis que la première vague d’arrestations a eu lieu le mois dernier après une enquête longue de 15 mois, le gouvernement d’Erdogan a renvoyé ou muté environ 4000 officiers de police, ainsi que des procureurs et des fonctionnaires. Le Premier Ministre décrit l’affaire comme un coup d’Etat visant directement son gouvernement et sa famille.

Le jet privé

La crise a eu son effet sur les marchés : l’indice boursier de référence a perdu 18% de sa valeur depuis les premières arrestations le 17 décembre. Et c’est une des raisons pour laquelle la livre turque s’est effondrée de record en record 10 jours consécutifs jusqu’au 27 janvier, date où la banque centrale a annoncé l’organisation d’une réunion d’urgence le jour suivant sur les taux d’intérêt. La banque a annoncé aujourd’hui [ndlr : le 28 janvier] à minuit qu’elle augmenterait ses taux d’intérêts directeurs, révoquant une politique établie depuis plusieurs années. La livre turque a perdu de sa valeur, après un sursaut dans la matinée ; la bourse a continué de chuter.

Le parcours de Sarraf, de la vie d’un millionnaire avec une épouse célèbre et un jet privé à l’objet d’un interrogatoire policier de 15 heures, est révélé sur des centaines de pages de documents analysés par Bloomberg News. Ils incluent des dossiers judiciaires au Ghana et une transcription secrète de son interrogatoire par les autorités turques, qui comprend aussi le contenu d’enregistrements policiers, et de vidéosurveillance de certains des hommes politiques les plus puissants du pays.

Combinée aux informations publiques sur les activités de Sarraf, et des interviews avec des participants clés, la transcription de 126 pages et les documents montrent comment un immigré au visage d’enfant avec un niveau d’éducation du collège a réussi à pénétrer les plus hauts échelons de la société turque. Lors de mariages et d’évènements étatiques, il fréquentait le Premier Ministre et les fils de ministres du gouvernement, en profitant pour quémander des faveurs et signer des contrats.

Le transport d’or

L’ascension de Sarraf au sein de la société turque a eu lieu alors qu’il tâchait de trouver un moyen de détourner les sanctions décidées par les Etats-Unis contre l’Iran, afin d’amener la république Islamique à négocier sur son programme d’enrichissement de l’uranium. En coupant les banques iraniennes du reste du monde, elles ont créé un marché temporaire, où l’or pourrait être utilisé pour payer l’Iran pour ses seules exportations majeures : le pétrole et le gaz.

Ce commerce chaotique a créé des opportunités pour des hommes comme Sarraf, qui a utilisé ses connections en Iran et en Turquie pour envoyer quasiment une tonne d’or tous les jours à l’Iran depuis un an et demi, d’après une personne informée sur ses comptes. Pour une valeur estimée à 28 milliards de dollars, d’après des données compilées par Bloomberg, calculées en fonction du prix moyen mensuel du métal sur le marché londonien.

Tout cela a commencé à éclater au grand jour, quand un mystérieux avion s’envola une chaude nuit de Saint-Sylvestre d’Accra, au Ghana, il y’a un an. En Turquie, Sarraf l’attendait, avec sa précieuse cargaison, composée de 30 palettes logées dans la soute de l’Airbus SAS A300, affirme la transcription.

Un arrêt de ravitaillement

La destination prévue était Dubaï, avec un arrêt de ravitaillement en Turquie. Quand le brouillard força l’avion à atterrir dans un aéroport turc, autre que celui prévu et que les autorités douanières immobilisèrent l’avion au sol pour ne pas avoir déclaré sa cargaison, Sarraf appela des personnes haut placées, montre la transcription de l’interrogatoire [2]. Il fallut plus de deux semaines pour permettre à l’avion de continuer sa route, au terme de négociations placées sous écoute policière.

L’avocat de Sarraf, Seyda Yildirim, affirme que son client n’est pas coupable des accusations qui lui sont reprochées : corruption, falsification de documents officiels, contrebande d’or et direction d’une organisation criminelle. « Mon client est innocent », a-t-elle affirmé dans une interview. « J’ai hâte de le démontrer au tribunal. »

La demande iranienne en or provient d’un resserrement des sanctions internationales en mars 2012, quand les banques iraniennes ont été coupées du système mondial de transfert de monnaie électronique, le SWIFT. Cela a laissé ce pays producteur de pétrole avec deux options : être payé en devise locale via des comptes bancaires à l’étranger, ou en or ou métaux précieux, qui devaient être transférés physiquement en Iran.

Inquiétude pour les sanctions

Pour les législateurs américains, incluant un groupe de sénateurs qui allèrent se plaindre auprès du président Barack Obama de cette faille dans le système, le commerce d’or était un moyen d’éviter les sanctions. Mi-2012, les règles furent donc durcies pour stopper les transferts d’or au gouvernement iranien. Les entités privées iraniennes et les citoyens pourraient cependant continuer à recevoir de l’or de l’étranger, pendant que les négociations avec l’Iran continueraient sur l’arrêt de son programme nucléaire.

A ce moment, Sarraf, l’hériter d’une famille qui possède une compagnie sidérurgique en Iran, s’était déjà établi dans l’élite stambouliote, en particulier grâce à son mariage avec une des plus grandes stars de la pop du pays en 2010.

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Riza Sarraf et son épouse Ebru Gündes

Sur le site de son entreprise, Royal Holding AS [3], Sarraf affirme que sa société offre « de nombreuses opportunités à ceux qui souhaitent plonger plus profond, sauter plus haut et atteindre les cieux ». Il trouverait son inspiration à travers l’aviation (il possédait un jet privé), la navigation (il possédait une entreprise de construction de yacht), et l’équitation (il possédait des chevaux de course, y compris un nommé Duty Free), disait le site.

Un exportateur d’or

En 2012, il fut inspiré par l’or. D’après son site internet, L’entreprise de Sarraf de commerce d’or, Safir Altin Ticaret Ltd [4], a réprésenté 46% des exports d’or turcs cette année. La même année, les exports turcs de métal précieux, incluant l’or, ont été multiplié par plus de 100, passant de 55 millions de dollars en 2011 à 6,5 milliards en 2012, d’après l’agence de statistiques.

Sarraf envoyait généralement son produit en transportant physiquement l’or, demandant à des intermédiaires de le placer dans des bagages en cabine dans des vols à destination de l’Iran voisin ou dans des avions cargo spécialement affrétés, d’après la transcription de son interrogatoire, et la personne informée sur ses comptes, qui a demandé à ne pas être nommée à cause de la nature sensible des informations divulguées.

Pour cela, il recevait une commission de 1,7%, d’après cette personne. En faisant un calcul basé sur le prix moyen de l’or pendant les transferts, il pourrait avoir amassé plus de 484 millions de dollars lors de l’année et demi allant jusqu’à juin 2013. Le mois suivant, les sanctions furent encore resserrées pour interdire les exportations d’or vers des intérêts privés.

Aucun délit

« C’est une personne qui exporte de l’or », dit Erdogan, cité par le quotidien Hürriyet, lors d’un vol revenant du Pakistan une semaine après l’arrestation de Sarraf. « Je sais qu’il a aidé notre pays ».

La standardiste des bureaux de Royal Holding, dans les Trump Towers d’Istanbul, a redirigé nos appels vers Yildirim, l’avocat de Sarraf.

Le commerce d’or était autorisé par les sanctions à l’époque où Sarraf agissait. La Turquie ne prélève pas d’impôts ou de taxes à l’export sur les envois de lingots d’or conformément déclarés. L’or représentait une partie des moyens de paiements utilisés par la Turquie pour régler les 3,5 milliards de dollars qu’elle a payé à l’Iran en 2012, affirme le gouvernement.

Six mois auparavant, l’avion du Ghana vers la Turquie commence son périple. Le parcours de sa cargaison de métal jaune est révélé dans des liasses de documents déposés au le tribunal d’Accra et dans les preuves réunies par les procureurs turcs.

La déclaration de douane

Il débute quand une entreprise basée à Dubaï, Master Sara Turizm Import and Export San Tic Ltd, signe une commande le 31 décembre 2012 de 1,5 tonne d’or d’une entreprise ghanéenne, Omanye Gold Mining Ltd.

Omanye déclare aux douaniers que la cargaison est constituée de 30 caisses d’échantillons minéraux et de matières premières recyclées depuis l’or. D’après la déclaration en douane, sa destination finale est les Emirats Arabes Unis. Elle est destinée à y être vendue 65 millions d’euros, d’après une facture reproduite dans la transcription.

L’acheteur final, Sarraf affirme dans la transcription était un homme d’affaires iranien, nommé Babak Zanjani, dont l’entreprise principale est le groupe Sorinet [5]. C’est aussi le directeur de la First Islamic Investment Bank Ltd, basée en Malaysie, et utilisée par le vendeur.

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Babak Zanjani

Le vol cargo d’ULS Airlines partant d’Accra doit faire escale à l’aéroport Sabiha Gökcen, situé à peu près à une heure du centre d’Istanbul, pour un ravitaillement. Mais le brouillard sur cet aéroport force l’avion à être redirigé vers l’aéroport international Atatürk, touchant le sol vers 7 heures du matin.

Une ancienne liste noire

Quand les douaniers turcs à l’aéroport inspectent la cargaison, ils immobilisent l’avion au sol. Cela amène Sarraf et ses associés à des négociations confuses avec les autorités turques et Zanjani, d’après les enregistrements des conversations produits pour Sarraf pendant son interrogatoire.

Zanjani, First Islamic et une filiale de Sorinet, avaient été placées sur la liste noire de l’Union Européenne en décembre 2012, et par les Etats-Unis en avril 2013, pour ce que le département du trésor américain appelait le blanchiment de milliards de dollars pour le compte de l’Iran.

Dans les conversations enregistrées, les employés de Sarraf discutent de différentes options, incluant l’utilisation du jet privé de Sarraf, pour sortir rapidement l’or du pays. Finalement, le 4 janvier, Sarraf explique à ses employés, qu’il a résolu le problème. Il a appelé un ministre du gouvernement, et son chef de cabinet s’occupera de l’affaire, explique-t-il à ses employés, d’après ce que la police lui affirme être une conversation enregistrée reproduite dans la transcription.

Un appel à l’équipe

Un employé, que l’on nommera Fatih, reste pourtant l’air dubitatif.

« Y’a-t-il autre chose que le ministère ? » lui demande Sarraf, d’après la transcription. « J’ai appelé M. le Ministre, il y’a-t-il autre chose à faire ? »

Sarraf explique aux enquêteurs durant l’interrogatoire, qu’il n’a aucun souvenir de la plus grande partie de la conversation. S’il avait appelé quelqu’un, cela serait Zafer Caglayan, alors ministre turc de l’économie.

Les enquêteurs ont expliqué à Sarraf, qu’ils détenaient des preuves que Sarraf avait appelé l’équipe de Caglayan à l’aide. L’aéroport a reçu des appels du cabinet de Caglayan demandant à l’avion d’être débloqué, d’après une personne familière avec ces appels. La personne a demandé à ne pas être citée, car personne n’était autorisé à parler publiquement à propos de l’incident.

Sarraf avait même offert à Caglayan une montre Patek Philippe, d’une valeur estimée entre 350 000 et 400 000 dollars, et un piano de 37 000 dollars, dit la personne informée des finances de Sarraf.

Après l’arrestation de Sarraf en décembre, les quotidiens Taraf et Zaman ont publié ce qu’ils affirment être des extraits de vidéo de caméras de surveillance et de textos, montrant une montre à bracelet Patek Philippe 5101G que Caglayan aurait reçu de Sarraf. Ce modèle était vendu 370 000 dollars en 2011. Des photos de conférence de presse montrent bien Caglayan portant une montre similaire à son poignet.

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Une odieuse manipulation

Caglayan a démissionné le 25 décembre, affirmant dans une déclaration qu’il l’avait fait pour « gâcher cet odieuse manipulation » et « permettre à la vérité d’éclater ». Deux des conseillers de Caglayan ont expliqué le 16 janvier que l’ancien ministre ne ferait aucun commentaire sur des cadeaux quelconques, demandant à ne pas être nommés car il n’étaient pas autorisés à s’exprimer à la presse. Ils ont rajouté que les accusations faisaient partie d’une mise en scène et d’un complot.

Le 18 janvier 2013, l’avion atterrit à Dubai. En revanche, Omanye, l’entreprise ghanéenne, ne sera jamais payée, d’après une plainte déposée au civil envers Sara Turizm et Vahid Moradi Moghaddam, cité comme le propriétaire de Sara Turizm dans les documents du tribunal.

Moradi Moghaddam n’a pu être joint. L’adresse sur les documents du tribunal mène à un bureau vide dans un immeuble de Dubaï, et l’adresse de réexpédition à un autre bureau d’une entreprise également basée à Dubaï. Un habitant de l’immeuble affirme n’avoir vu aucun employé depuis des mois.

Des briques jaunes

Sara Turizm, de son côté, prétendra qu’Omanye lui avait vendu de l’or factice, fournissant en juin aux tribunaux ghanéens une analyse de l’or réalisée par l’Emirates Industrial Laboratory. L’« or » était composé à 99% de plomb, recouvert d’une couche de 96% de nickel. Dans une photographie d’exemple jointe au rapport, une brique de matériel brillant de couleur or est posée sur une table, sans aucun signe distinctif autre qu’un lettrage noir.

Peter Bedzrah, le directeur general d’Omanye à l’époque de la transaction est mort en août, a expliqué Kwaku Adjei-Lartey, un avocat de la société, dans une interview. Ses successeurs à la tête de l’entreprise n’ont pu être joints pour commenter.

Les enquêteurs turcs ont continué à surveiller le téléphone de Sarraf. Ils entendirent notamment Sarraf se plaindre de rester bloqué dans les embouteillages, et comment il demanderait au ministre de l’intérieur de l’époque, Muammer Güler, une escorte policière, pour utiliser les lignes d’arrêt d’urgence, d’après la transcription.

Dans une conversation montrée à Sarraf, il parle à un employé avant la visite du fils de Güler, Baris Güler, en avril.

« Joli Sac »

« J’arrive avec le fils tout à l’heure », dit Sarraf.

L’employé répond « Ok je vais preparer le total. 800 »

« Prend un joli sac », répond Sarraf, « Nous allons faire un contrat de consulting maintenant, OK, pour 30 000 dollars mensuels pour deux ans. »

Les enquêteurs ont dit à Sarraf qu’ils pensaient que les 800 faisaient référence à 800 000 dollars payés à Baris Güler, comme le premier versement sur un paiement total de 1,5 millions de dollars. Sarraf a répondu qu’il ne se souvenait pas à qui était destiné l’argent, et s’il s’agissait de dollars ou de livres turques, d’après la transcription.

Il s’est rappelé être allé à Ankara pour le mariage du fils du ministre de l’économie d’alors, Caglayan, où la femme de Sarraf a chanté. Là-bas, il a rencontré Erdogan. Il a aussi raccompagné Baris Güler dans son jet privé, d’après la transcription.

L’explication du contrat

Son explication du paiement effectué à Baris Güler diffère cependant de celle de la police, tout comme pour les montants versés. Sarraf a expliqué que lui et Baris Güler se sont mis d’accord pour un contrat de deux ans pour un conseil juridique de Baris Güler et de son entreprise de conseil BBS Danismanlik [6], pour 660 000 dollars.

Baris Güler est en prison depuis le 17 décembre. Ce mois-ci, un tribunal a décidé qu’il devrait demeurer en détention, à cause de « preuves sérieuses pointant vers une suspicion de crime », a rapporté l’agence de presse étatique Anatolia le 20 janvier. Son avocat n’a pas répondu à nos différents appels sur son téléphone portable.

Muammer Güler n’a pas non plus répondu à nos messages répétés laissés à son bureau parlementaire ou à nos e-mails.

D’après la transcription, Sarraf a aussi demandé aux Güler une protection, après des menaces de mort d’une personne qu’il n’a pas nommée. Dans une conversation reproduite dans la transcription, le ministre de l’intérieur réassure Sarraf : « Baris m’a parlé du problème », dit Muammer Güler, « Je vais avertir ce type, n’ait aucune crainte - il n’y aura aucun problème. (..) Je vais lui arracher la tête, à ce mal élevé, sois en convaincu », dit Güler, d’après la transcription.

De l’aide à propos d’une dette

Une semaine avant le mariage, Muammer Güler a demandé à Sarraf de l’aider à propos d’une dette d’un associé de Sarraf envers son fils, d’après la transcription. L’associé de Sarraf, Ruchan Bayar, avait causé 2,2 millions de dollars de pertes à Baris Güler. Sarraf a expliqué à la police pendant l’interrogatoire avoir promis à Güler qu’il agirait comme un intermédiaire dans cette affaire. Güler a demandé plus tard à Sarraf de rembourser lui-même, ce qu’il a fait, d’après la personne informée sur ses comptes.

Il y’a eu d’autres transactions, affirme la police. Les enquêteurs ont listé un total de 400 000 dollars échangés à deux dates différentes, remis à un intermédiaire envoyé par Baris Güler, prétextant une surveillance physique.

Si Sarraf ne nie pas le paiement, il explique que celui-ci concerne l’affaire avec Bayar et ne reconnaît pas la devise utilisée. Il dit qu’il s’agissait en fait de 400 000 livres turques, d’une valeur inférieure à 200 000 dollars.

La transcription fait aussi référence à un total de 3,5 millions de dollars remis par Sarraf aux intermédiaires de Güler, citant une combinaison d’enregistrements audio, et une surveillance physique. Dans un enregistrement le 24 octobre, Sarraf raconte à un de ses employés avoir payé un homme de Güler, Özgür Özdemir, la somme de 3 millions d’euros d’après la transcription.

« Oui Papa »

Le jour d’après, Özdemir arrive au bureau de Sarraf près du Grand Bazar d’Istanbul, avec ce que la police affirme être une mallette vide. Quand il quitte les lieux un peu plus tard, celle-ci était pleine d’argent liquide, disent les policiers dans la transcription. Un peu plus tard, les employés de Sarraf ont préparé 500 000 $ pour être remis à un autre intermédiaire de Güler, affirme la police.

Pendant son interrogatoire, les enquêteurs ont montré à Sarraf une transcription de ce qu’ils ont affirmé être les deux Güler se parlant avant la remise à Özdemir le 25 octobre.

« Est-ce que ça s’est passé comme on a dit ? », demande Muammer, le ministre de l’intérieur
« Oui, oui Papa », répond Baris

En réponse à la question de ses interrogateurs, Sarraf a nié la transaction et a affirmé ne pas avoir donné de l’argent à Baris Güler ou Özdemir.

La crainte d’être surveillé

Özdemir n’a pas pu être joint. Bayar, l’associé, n’a pas répondu à nos différents appels à Baymonte Kiymetli Madenler AS, une entreprise de métaux précieux à Istanbul qui le liste comme un des associés.

Dans la même conversation, les Güler expriment la crainte d’être surveillé, montre la transcription.

« Peut-être qu’il y a aussi quelqu’un qui t’écoute. », dit le ministre de l’intérieur
« Ils pourraient aussi écouter Özgür. », une référence à Özdemir, l’intermédiaire, dit Baris
« Ne refais plus jamais ça, vraiment. », dit son père Muammer Güler
« Oui, je sais. », dit Baris
« Ok fils, OK, je vais le chercher, et voir qui c’est. », dit Muammer dans l’enregistrement de la police, « Fais attention, mon fils. Fais attention quand tu lui parles, fais attention. »

Si les accusations envers Sarraf n’ont pas été rendues publiques, elles sont listées à la première page de la transcription.

« Une corruption endémique »

La large enquête de corruption est au point mort depuis que policiers et procureurs ont été renvoyés et mutés fin décembre et au début du mois. Une seconde vague d’arrestations prévues n’a pas eu lieu après que le nouveau chef de la police ait refusé d’appliquer les décisions du tribunal d’arrêter des personnes, d’après le procureur général, Muammer Akkas. Il a depuis été muté également.

« Dans certains pays, on observe de la corruption au bas de l’échelle et dans d’autres on observe de la corruption au plus haut niveau », explique Oghuzan Dincer, un économiste turc à l’Illinois State University, à Normal (Etats-Unis), qui étudie la corruption, dans un e-mail. « En Turquie, il y a les deux. Ce que nous avons en Turquie est une corruption endémique. »

Malgré le poids de ses affaires en Turquie, Sarraf a débuté ailleurs. Le site de son entreprise dit qu’il a commencé sur les marchés financiers et monétaires de Dubaï en 1996. Ses activités en Turquie ont commencé en 2008 avec la compagnie maritime Royal Denizcilik AS, d’après son site internet.

Des jours sombres

Au moins 11 entreprises, y compris Safir, l’entreprise de commerce d’or, sont enregistrées au nom de Sarraf d’après le registre turc du commerce. Comme leur capital est privé, aucune information sur leurs chiffres d’affaires ou leurs résultats n’est disponible.

Le nom de naissance de Sarraf, encore utilisé par les journaux turcs, est Reza Zarrab. Il est devenu citoyen turc en 2007, et a changé son nom en Riza Sarraf. Bloomberg News utilise son nom officiel.

Les actifs mobiliers de Sarraf, estimés à environ 18 millions de dollars, dans la transcription, ont été gelés, d’après la personne informée sur ses comptes. Ce qui signifie qu’il n’est plus à jour dans les paiements pour son jet privé, affirme la personne. Ils ont depuis été dégelés, rapporte le quotidien Habertürk aujourd’hui [7].

Pour Gündes, sa femme, l’expérience a été une épreuve, a-t-elle raconté à ses fans lors d’une récente émission d’un programme de talents musicaux turcs, où elle faisait partie du jury.
« Je suis très choquée et triste. », a-t-elle dit lorsque le public a commencé à scander son nom.
« Nous nous sommes mariés, en nous aimant énormément. Oui, nous traversons des jours très sombres. J’espère que ces jours passeront très vite. »

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Voir en ligne : Turkey Crisis Puts Jailed Millionaire at Heart of Gold-Smuggling Ring

Notes

[5Babak Zanjani, le destinataire de la cargaison du vol Ghana-Dubaï a aussi été placé en détention en Iran, dans le cadre là encore, d’un scandale de corruption et de guerre des clans au sein de l’Etat Iranien. - Lire l’article

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