Le procès dit « KCK » a commencé aujourd’hui [lundi 2 juillet] au tribunal de Silivri. Parmi les prévenus figurent la professeure Büsra Ersanlı, enseignante à l’Université de Marmara, accusée de direction d’une « organisation » [illégale], et Ragıp Zarakolu, accusé d’avoir aidé et hébergé des membres d’ « organisations ».
Le procureur spécial Adnan Çimen a réuni d’autres affaires avec celle qui est exposée dans l’acte d’accusation qu’il a préparé, portant le nombre des accusés à 205. Parmi les nouveaux cas figure celui de la traductrice Ayse Berktay, accusée elle aussi d’être membre d’une « organisation ».
- Liberté de pensée, liberté aux universités et aux compagnons de Büşra
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L’audience est suivie par le vice-président du BDP Gültan Kısanak, les députés BDP Ertuğrul Kürkçü, Sırrı Süreyya Önder, Sebahat Tuncel, Ayla Akat Ata, Pervin Buldan ; par le député CHP Binnaz Toprak ; par le président du syndicat de la fonction publique KESK Lami Özgen [qui avait été arrêté la semaine passée – ndt], le vice-président du PEN International Eugen Schulgin, des représentants de l’IPA (Union internationale des éditeurs) et de Reporters sans Frontières (RSF).
Les prévenus présents dans la salle d’audience ont accueilli les visiteurs aux cris de « résister c’est vivre » proférés en langue kurde (« berxwedane jiyane »). Le président du tribunal Ali Alçık a alors interdit les applaudissements, les huées, les « débordements excessifs ».
La route d’accès au tribunal de Silivri ayant été fermée, des avocats et certains témoins n’ont pu atteindre le tribunal. Les avocats de la défense ont demandé que cet incident figure dans le procès-verbal.
Problèmes de langue
Les prévenus Kudbettin Yazbası et Mümtaz Aydeniz ont répondu à l’interrogatoire d’identité en kurde, leur langue maternelle. Le président Alçık, constatant qu’une langue autre que le turc était utilisée, a interrompu l’interrogatoire. Mehmet Emin Aktar, président du barreau de Diyarbakır, a fait remarquer que si cela signifie que cette langue, qui est parlée par vingt millions de personnes en Turquie, est inconnue [du président], le procès ne peut avoir lieu.
Prenant la parole, Meral Danış Beştaş estimé que le droit du parti BDP de participer à la vie politique qui est dénié dans ce procès. Les partis ne pouvant être jugés que par la Cour constitutionnelle, la cour [de Silivri] devrait logiquement prononcer son incompétence dans ce procès.
(...)
Pour pouvoir continuer l’interrogatoire d’identité dans la langue maternelle des prévenus, les avocats ont voulu requérir un interprète. La séance est alors interrompue.
Important soutien extérieur malgré les obstacles
13 heures : un important groupe de représentants de partis politiques – majoritairement du BDP - attend à l’extérieur. Ertuğrul Kürkçü, s’adressant à la foule, a déclaré que la représentation des droits démocratiques de Kurdes n’était pas seulement l’affaire des Kurdes, mais de toute la Turquie. Gültan Kışanak a remercié les participants, venus de tous les coins d’Istanbul, malgré l’interdiction faite aux autobus d’atteindre les abords du tribunal.
« A l’intérieur se déroule un procès honteux pour la démocratie. Le micro a été coupé à ceux qui voulaient se défendre en kurde. Puisqu’il n’y a pas d’assimilation en Turquie, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas se défendre dans sa langue maternelle ».
Après l’interruption de séance, Barış Özgüneş, membre du BDP, a pris la parole au nom de tous ceux qui veulent se défendre en langue kurde ; il a fait remarquer que tous les prévenus étaient habillés en noir, pour marquer le deuil du drame de l’incendie de Sivas dont c’est l’anniversaire [à Sivas, en juillet 1993, 37 intellectuels venus pour participer à une fête alévie ont péri dans l’incendie volontaire de leur hôtel - ndt]
« Ne pas pouvoir décliner son nom en kurde, c’est être nié »
« La langue n’est pas seulement un moyen d’expression ; c’est la vie d’un peuple, c’est un moyen sacré pour communiquer sa manière de pensée. Nous ne pouvons accepter qu’on prétende que c’est une langue inconnue, incompréhensible. Ne pas pouvoir décliner son nom en kurde, c’est se sentir nié dans son identité kurde. Pouvoir parler [kurde] dans la rue, à la maison, et ne pas pouvoir le parler au tribunal, c’est inacceptable ! » A ce stade le procureur Ramazan Saban a repoussé toutes les demandes des avocats notamment celle concernant l’incompétence du tribunal.
16h45 : C’est au tour du président du tribunal de rejeter toutes les demandes. Les avocats alors estiment que cela n’aurait aucun sens de participer à cette audience, et quittent la salle.
17h00 : Les interrogatoires d’identité des prévenus parlant kurde n’ont pas été réalisés. Par l’intermédiaire de la professeure Büsra Ersanlı, qui s’exprime en turc, 14 constats d’identité sont établis. Le président Alçık reporte l’audience au lendemain.
Au cours de la séance de demain (mardi 3 juillet) commencera la lecture de l’acte d’accusation de 2 400 pages.