Nul doute que si Ségolène Royal était un homme, elle ne serait pas ainsi à la tête de l’affiche. Quant à Nicolas Sarkozy, pas étonnant qu’il apparaisse comme le seul candidat en mesure de secouer la France, ce pays où les leaders politiques donnent l’impression de petites vieilles timorées, rencognées à la fenêtre de leur balcon et farouchement hostiles à tout changement. Mais la peur qu’inspire son allure de Robocop fait grimper la cote de François Bayrou, qui rassure par son image familière de politicien proche des gens.
Par Belkis Kiliçkaya , correspondante en France du quotidien turc Sabah
Comment ces trois-là parlent-ils de la Turquie ?
Bayrou dit en toute sincérité que, pour lui, Ankara n’a pas sa place au sein de l’Union européenne. Il y a quelques années, il avait estomaqué la communauté turque de France en suggérant qu’à défaut d’adhésion, on octroie à ce pays une aide au développement de 30 millions d’euros. Une aumône que n’importe quel homme d’affaires turc pourrait facilement distribuer à une quelconque œuvre caritative en France. A commettre une telle bévue, Bayrou prouvait ainsi, soit qu’il ne connaît absolument pas la Turquie, soit qu’il n’a aucune idée des échelles économiques en général...
Ségolène Royal, elle, a été sévèrement critiquée pour avoir affirmé qu’elle partagera l’opinion des Français, le moment venu du référendum sur l’élargissement.
Pourtant, comparés aux idées de Sarkozy, ces propos ne méritaient certainement pas une telle levée de boucliers. Il est clair qu’il n’a pas passé une seule minute à se demander où en seront la Turquie, l’Europe et le monde dans les quinze ou vingt ans à venir. Pour Sarkozy, les deux seuls intérêts de ce dossier sont, primo, de servir à montrer qu’il partage le sentiment populaire mais, surtout, de prouver, par son rejet de l’adhésion turque, qu’il ne serait pas aussi atlantiste qu’on l’accuse de l’être.
A première vue, Ségolène Royal, tant par son attitude propre que par la position du Parti socialiste, aurait donc des chances d’être une présidente plus favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union. J’ai pourtant la conviction qu’il faut dépasser les apparences et ne pas prendre au pied de la lettre l’extrême dureté de ton de Nicolas Sarkozy. Pour Ankara, son éventuelle accession à l’Elysée pourrait bien ne pas être si catastrophique que cela.
Car le ministre de l’Intérieur, dont les racines remontent jusqu’à Salonique, ancienne ville ottomane, est aussi habile que pragmatique, et doté d’un fort pouvoir de persuasion. Et il n’est pas rare que les hommes politiques, une fois élus et maîtres de la situation, fassent quelques retouches à leurs programmes de campagne. Après tout, cela fait partie des usages habituels de la politique mondiale.