Que les juristes de Turquie aient coupé tout lien avec le peuple de Turquie et encore plus tout lien avec le droit, c’est un fait que plus personne n’ignore.
Après les révélations sur les rapports entre le président de la Cour de Cassation et des groupes mafieux, après la décision de la Cour constitutionnelle d’invalider le premier tour de l’élection présidentielle pour un motif fallacieux, après les propos laudateurs tenus par le procureur en chef du Conseil d’Etat sur les coups d’Etat, après surtout ce dernier acte d’accusation dont rien ne peut disputer l’étrangeté, il n’est plus personne pour croire encore à « l’existence d’un véritable système juridique » en Turquie.
Je n’ai croisé personne qui ait encore osé le penser.
Et si nos professionnels du droit ont jamais l’aplomb d’oser le croire, je leur conseille alors de se lancer dans une petite tournée en Anatolie sans tromper personne sur leur véritable identité.
Ne nous restera plus qu’à mesurer leur niveau de déception !
Nous savons bien désormais que ce que font nos juristes et magistrats n’a à peu près rien à voir avec le droit.
Mais avec quoi leurs actes ont-ils donc un quelconque rapport ?
Motivations juridiques et extra-juridiques
Si ce dernier acte d’accusation que le monde entier ne manque et ne manquera pas de tenir pour complètement ridicule n’a pas de rapport avec le droit, de quoi procède-t-il donc ?
Est-il possible qu’un procureur se soit lancé seul dans une entreprise d’une telle absurdité ?
Moi, personnellement, j’en doute. Et je ne m’étonnerais pas d’apprendre qu’il se soit lancé dans une telle absurdité après avoir consulté certains cercles à l’intérieur de l’Etat.
Mais il n’est pas non plus possible que tous ces personnages soient tous et à ce point aveugles.
Ils ne peuvent pas ne pas voir qu’en cas d’interdiction de l’AKP, à la première élection, le parti qui remplacera l’AKP arrivera en tête avec un score dépassant les 50%.
Il serait faux de croire qu’ils ne peuvent pas voir ce que tout le monde voit. Ils ont pleinement conscience des conséquences de leurs actes.
Et c’est la raison pour laquelle leur seul objectif ne peut pas être de faire fermer l’AKP.
Ils doivent avoir en tête un autre plan comprenant notamment une mesure d’interdiction des consultations électorales sur au moins les 5 ans suivant l’interdiction.
Sans cela, il serait complètement absurde de se lancer dans une telle action de fermeture.
Et donc, la question vraiment inquiétante est la suivante :
Que comptent-ils donc faire pour bloquer toute possibilité électorale sur 5 ans ?
Et derrière y a-t-il un prolongement militaire à cette clique ?
Et si un tel plan existe vraiment, le sens en est vraiment clair.
Cela signifie que dans les deux ou trois semaines à venir, nous devons nous attendre à un événement véritablement « terrible ». Une chose suffisamment « terrible » pour justifier un report de toute élection à un horizon quinquennal.
Un événement terrible
Une possibilité très angoissante. Mais pour la mise en œuvre d’un tel plan, cela ne suffit encore pas. La Turquie n’est pas en mesure de se suffire à elle-même en toute autonomie, voire indépendance.
Elle est forcée de dépendre d’un soutien extérieur, politique ou économique. Et l’UE comme les USA ont clairement fait savoir qu’ils ne soutiendraient pas la perspective d’un tel plan. Or les apprentis putschistes ont évidemment dû envisager un tel cas de figure.
C’est là que nous rencontrons la seconde question :
Cette question nous rappelle ce que des officiers en retraite ne cessent de souligner en écumant les plateaux de télévision : Moscou, bien évidemment…
Y aurait-il au sein de la bureaucratie et de l’armée turques des gens assez fous et désespérés pour pouvoir envisager à la seule fin de faire perdurer leur propre pouvoir, la possibilité pour la Turquie de changer de camp et de renverser les alliances ?
A vrai dire, je suis dans l’incapacité d’affirmer qu’il n’est personne pour penser de telles choses.
Mais s’il en est vraiment…
Cela signifie que dans les jours et les semaines qui suivent, nous risquons d’être les témoins d’un très sérieux rapport de forces, si en effet, les cadres d’Etat en Turquie se divisent entre ceux qui soutenus par l’Occident sont des défenseurs de la démocratie et les putschistes qui font de l’œil à la Russie…
Nous allons vivre des tiraillements dans un sens et dans l’autre.
Alors que les partisans du coup d’Etat se préparent à un événement suffisamment terrible pour faire sortir la Turquie de son orbite traditionnelle… Les partisans de la démocratie vont se lancer dans une course à l’arrestation de tous les membres du réseau Ergenekon non encore appréhendés. Et sans doute même que les deux mouvements auront lieu dans le même temps.
Apprêtons-nous à vivre quelque chose d’important dans les jours qui suivent.
Mais quoi qu’il arrive, il est clair que la Turquie va effectuer un virage qui risque bien d’être définitif.
D’après moi, l’acte d’accusation du procureur est l’équivalent d’un acte de décès pour l’Etat kémaliste. L’impossibilité pour ces forces putschistes de rester calmes un moment, le fait qu’elles n’aient de cesse d’inventer des problèmes, et de préparer des coups d’Etat, tout cela a cette fois sérieusement alerté non seulement les cadres politiques et administratifs qui veulent voir la Turquie rester un allié de l’Occident, mais aussi le monde occidental qui souhaite une Turquie stable.
Je crois que tout le monde a aujourd’hui compris qu’on ne pouvait plus vivre avec au sein de l’Etat des bandes de putschistes et qu’il nous fallait alors impérativement parvenir à une solution juridique à cette situation.
Et cette solution d’intervenir rapidement.
Que les putschistes mettent leur plan à exécution ou qu’ils soient attrapés sans qu’ils y soient parvenus, la Turquie devra absolument donner un coup d’accélérateur à ses réformes démocratiques et arracher l’Etat à ses racines et réflexes néo-kémalistes.
Je pense qu’en voulant interdire l’AKP, c’est le kémalisme qu’a condamné le procureur en chef de la Cour de Cassation.
Ils paieront le prix d’avoir ignoré à la fois le monde et la Turquie par la perte de tous leurs moyens d’action. Vous verrez. Et maintenant, ce qu’il nous reste à faire…
Prendre toutes les mesures pouvant les empêcher de passer à la seconde phase de leur plan. Et de renouer enfin avec un calme bien nécessaire.