Le paysage politique turc nous fait la démonstration de ce qu’un nouvel équilibre est en train de s’établir en Turquie entre les civils et les militaires depuis les élections du 22 juillet dernier.
- Abdullah Gül
- Président de la République de Turquie
C’est aujourd’hui que la libéralisation du port du voile dans les universités commence d’être discuté en commission parlementaire pour les affaires constitutionnelles. Il semble que le Premier ministre Erdogan ainsi que le leader du MHP (extrême droite) Devlet Bahçeli se soient mis d’accord pour que cette réforme entre en vigueur à l’occasion du second semestre universitaire qui débutera le 3 mars prochain.
On s’attend à ce que le paquet de réformes concernant les articles 10 et 42 de la Constitution comme l’article 17 de la loi régissant la Conseil de l’Enseignement Supérieur suive un processus de ratification d’une semaine ou 10 jours au maximum. Malgré un probable recours du CHP (Parti Républicain du Peuple, gauche nationaliste) devant la Cour Constitutionnelle et de possibles recours qui ne devraient pas porter sur le fond, nous pouvons estimer que la levée de l’interdiction pesant sur le voile dans les universités a entamé un processus irréversible. Il revient donc de bien comprendre cet événement à la lumière des dernières déclarations et prises de position d’Erdogan, du chef d’Etat-major, Büyükanit ainsi que du leader du CHP, Baykal.
Hier soir sur NTV, le général Büyükanit faisait la déclaration suivante : « est-il une seule personne qui ne connaisse pas notre position sur cette affaire ? Dire aujourd’hui quelque chose reviendrait à répéter ce que tout le monde sait. Et c’est bien la raison pour laquelle nous ne dirons rien. » Baykal devait ainsi commenter ces paroles du chef de l’armée : les diverses expériences que nous avons connues ces derniers temps nous ont très clairement montré que sur la question de la garantie pour que la Turquie reste une république démocratique et laïque, aucune institution n’était en mesure d’agir en dehors du cadre légal de la souveraineté populaire. Cela est apparu très clairement. C’est la raison pour laquelle nous n’attendons rien de quelque institution que ce soit en dehors des cadres légaux. Que personne ne fasse ombrage. Nous n’attendons rien d’autre. »
Ces paroles de Baykal sont parmi les critiques les plus vives et les plus dures adressées ces dernières années à la chose militaire. Il en est même pour aller jusqu’à y voir l’expression d’une certaine déception. L’entourage de Baykal sait pertinemment combien le leader du CHP a éprouvé de gêne lors du mémorandum lancé sur Internet par l’Etat-major le jour-même où le CHP avait porté le premier tour de l’élection présidentielle devant la Cour constitutionnelle et combien ce coup d’Etat virtuel a pu causer du tort à son parti lors des élections du 22 juillet.
De là, nous pouvons passer au discours à la nation prononcé par Erdogan. Dans un tout autre contexte qui est celui de la lutte contre le crime organisé, il a déclaré : « l’existence de groupes et de personnes engagées dans de telles voies ne doit pas mettre en cause la confiance que nous portons en nos institutions. Nous ne permettrons pas que l’on s’en prenne ou que l’on salisse nos institutions. » Les paroles d’Erdogan rappelaient celles prononcées un jour plus tôt par Büyükanit.
Il nous faut voir les points suivants :
1- Les résultats des élections du 22 juillet sont la conséquence pour une part dur rapport de forces engagées dans la lutte pour l’élection présidentielle.
2- Ces résultats ont peu à peu révélé l’établissement de nouveaux équilibres dans le cadre de la lutte contre le PKK, de la collaboration avec les Etats-Unis, de la question kurde comme des élections municipales de 2009.
3- La mise à l’ordre du jour dans ce processus de la libération du voile à l’Université n’est assurément pas un hasard.
4- Le fait que le MHP ne tienne pas compte de la position des militaires au lendemain de l’élection présidentielle ne doit pas non plus être tenu pour une coïncidence.
5- Parallèlement, les équilibres civilomilitaires sont entrés dans une période de redéfinition.