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Turquie : les point-clés

jeudi 1er février 2007, par Marillac

En novembre 2003, les USA refusaient l’offre turque de bons services militaires en Irak. Aujourd’hui, l’embourbement US chez le voisin méridional comme la perspective des élections de cette année relancent le débat de la nécessité d’une intervention. Depuis la fondation de la République, il y a 80 ans, la question irakienne ne cesse de se poser. Comme celles de l’Arménie, de la Mer Egée et plus tard de Chypre. La Turquie est tributaire d’un héritage stratégique que l’UE peut virtuellement liquider.

L’intérêt turc pour les questions irakiennes ne date évidemment pas d’hier : Atatürk, le fondateur de la Turquie républicaine, avait promis, dès 1919, la libération d’une Turquie comprenant le nord de l’Irak (Mossoul). Mais il restera entre les mains des Britanniques en 1923.
Cette région constitue, de fait, l’un des foyers d’une doctrine stratégique turque formée selon le quadrilatère des 4 K :
Kirkouk(Irak du Nord), Karabakh (Caucase), Karasu (Grèce), Kibris (Chypre).

Quatre points de tension

Ces quatre points-clés constituent autant de foyers de menaces que de points d’appui virtuels à la puissance turque,
(1) Ils représentent tous une partie de l’histoire et du paysage politique turc (Le Karabakh et le panturquisme, l’Irak et le néo-ottomanisme, …).
(2) Ils sont tous interdépendants au sein du quadrilatère : une évolution de l’un d’eux induit des variations sur les trois autres.
(3) Ils sont tous situés au dehors du territoire national : le territoire turc ne correspond pas à son espace stratégique.

(3) La Turquie républicaine hérite en cela d’un Empire Ottoman en plein déclin qui n’est plus maître de ses espaces : elle est le résidu territorial de l’Empire à la seule Anatolie.
Elle subit également la volonté du colonisateur britannique qui, dans le souci de protéger la route des Indes puis les champs pétrolifères (Mossoul, Kirkouk), crée l’Irak en cherchant :
- à mettre fin à toute hégémonie au Moyen-Orient : Atatürk perd le nord de l’Irak dans les salons de Lausanne. Et la Turquie, les moyens d’une puissance impériale : le pétrole et le contrôle des Kurdes d’Irak.
- à dissocier territoire et espaces stratégiques : la division du Kurdistan obéit à une stratégie « d’instabilité contrôlée » permettant d’établir entre les états centraux de la région un équilibre inspiré du célèbre « check and balances » (version british du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette !) tout en rendant nécessaire une tutelle / arbitrage étrangère dans la région. Washington paye, en partie, aujourd’hui le prix du cynisme britannique.

La Turquie républicaine est ainsi territorialement condamnée à un « partenariat stratégique » lui procurant de sérieuses garanties sur tous ses foyers stratégiques. Ce qui signifie trois choses :
a- Plus qu’un partenariat, il s’agit d’un tutorat, le partenaire nécessaire devant disposer d’une puissance globale. En l’occurrence Washington.
b- Ce partenariat est nécessairement unique et exclusif de tout autre : il est exclu de soumettre les différents foyers et donc la sécurité du pays à de possibles différends entre tiers. On ne peut pas reprocher à Ankara ses relations avec Washington sans avoir soi-même la moindre prétention de se substituer à Washington dans ce rôle de partenaire (auquel on n’a d’ailleurs de cesse d’inviter « nos amis turcs »).
c- Il s’inscrit dans une logique de puissance qui n’a pas pour fin de régler les problèmes mais de les faire durer.

L’axe Chypre-Kirkouk

Coupée de ses racines orientales (Irak et Asie Centrale, ottomanes et panturquistes), la Turquie fait le choix définitif du développement et de l’intégration à l’occident européen.
Or sur sa route vers l’Europe se dressent le voisin grec ainsi qu’un des côtés du quadrilatère.
L’adhésion à l’UE représente l’opportunité historique de réintégrer deux foyers stratégiques (Karasu, Kibris) dans l’espace de souveraineté ou de paix commune d’une Europe unie ; de réconcilier ainsi territoire et espace stratégique dissociés lors de la fondation de la République. Et cela sans le recours d’une impossible politique expansionniste dont la schizophrénie induit aujourd’hui encore toutes les chimères nationalistes sur la scène politique turque.
« Paix dans le pays, paix dans le monde », proclamait Atatürk.
Une telle intégration met aussi un terme à toute tentation orientale : Kirkouk et Karabakh passant du statut d’objectifs imaginaires à ceux d’enjeux pour la paix régionale (2). Est-il dès lors si étonnant d’entendre après les rebuffades européennes de l’automne dernier, le chef du gouvernement turc déclarer que la situation en Irak prime aujourd’hui sur les relations avec l’UE ? Partenariat privilégié disiez-vous ? Prenez donc vos responsabilités.
Une telle intégration permettrait ainsi une sortie de la logique impériale (impérialiste) qui a dominé et domine encore l’histoire de la région.
Tout en offrant une occasion de détente du débat politique turc : la démocratie étant un art très difficile en état de siège, lorsque dominent les passions et peurs obsidionales (1).

En décidant de s’élargir à Chypre en 1995, l’UE s’est engagée, malgré elle et sans en mesurer toutes les conséquences à en juger par l’inconséquence de ses positions répétées aujourd’hui sur la question, à peser mécaniquement sur l’avenir de l’Irak et du Moyen-Orient en général : elle a franchi depuis longtemps cette ligne du Bosphore que d’aucuns considèrent encore comme une frontière. Ses responsabilités comme les attentes qu’elle suscite sont énormes : ne lui manque que l’habit et la stature qui lui permettraient de les honorer.

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