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Turquie : les oubliées du génocide arménien

jeudi 12 mai 2011, par Laure Marchand

Les Petits Enfants - Actes SudEn 1915, des Arméniennes n’ont dû la vie qu’à leur conversion à l’islam ou à leur mariage avec un Turc. Un recueil de vingt-cinq récits nous rappelle leur histoire.

Rescapées du génocide, elles ont traversé le siècle dernier dans le silence, « les lèvres scellées » par la douleur. Leur existence a été passée sous silence par l’idéologie négationniste d’Ankara : des Arméniens ont échappé aux massacres planifiés en 1915 par les autorités ottomanes de l’époque et ont eu la vie sauve en étant convertis à l’islam.

Il s’agissait souvent de belles jeunes filles « intégrées » dans des foyers turcs, plus de force que de gré. Mariées à un musulman, elles sont devenues officiellement turques et ont enfoui leur souffrance dans leur âme meurtrie. « Les Petits-Enfants », une délicate collecte de vingt-cinq récits, sauve in extremis du déni historique ces preuves vivantes et dérangeantes.

Le destin de ces grands-parents a été transmis de génération en génération. Parfois, il a été soufflé par le voisinage. Ces survivants qui ont « en eux le reffet de la douleur », comme le raconte Ali, un petit-fils, ont légué des larmes glissant sur un visage ridé, des contes pour enfants terrifiants, des bribes macabres du génocide de 1915. Un bébé qui tête le sein de sa mère morte, une femme qui empoisonne son lait pour que ses deux fils meurent dans ses bras et pas dans ceux du bourreau...

Pour les petits-enfants, la révélation des origines a été un traumatisme. A 45 ans, Deniz a encore le sentiment qu’« on lui a volé une partie de sa vie ». Assumer une identité arménienne face au rouleau compresseur de la propagande nationaliste turque reste une épreuve. Toutes les histoires, à l’exception de deux, ont été confiées sous le sceau de l’anonymat. Chuchotées, encore. Signe que la peur rôde toujours. Le jour où elles seront dites au grand jour, la société turque sera capable d’endosser sa responsabilité historique.

Mais l’existence de ce recueil est la preuve que le tabou entourant 1915 est tombé en Turquie, que la parole se libère. Ces secrets de famille ont été récoltés par Ayse Gül Altinay, universitaire turque engagée dans la reconnaissance du génocide, et Fethiye Cetin, Arménienne d’Istanbul. Avocate de la famille de Hrant Dink, journaliste arménien assassiné à Istanbul il y a quatre ans, cette dernière a publié en 2004 « le Livre de ma grand-mère » pour raconter comment son aïeule lui avait dit que, petite, elle s’appelait « Heranus ». L’ouvrage a donné du courage aux Arméniens cachés de Turquie. « Les Petits-Enfants » parle de ces convertis qui ont tellement voulu se dissimuler qu’ils sont désormais totalement assimilés, de ces islamistes dont les parents fréquentaient l’église.

Mais combien sont-ils à cacher leur part d’« arménité » ? Dans certaines régions d’Anatolie, il se murmure que chaque famille compte une Arménienne. Le génocide coule dans le sang des Turcs. L’accepter les aidera à, enfin, effectuer leur devoir de mémoire.

- Les Petits-Enfants, par Ayse Gül Altinay et Fethiye Cetin, traduit par Célin Vuraler, Actes Sud, 320 p., 23,80 euros.

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Sources

Article Original : Turquie : les oubliées du génocide arménien - Source : « Le Nouvel Observateur » du 5 mai 2011

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