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Turquie : Les enjeux de l’affaire Ergenekon

vendredi 17 octobre 2008, par Jean Marcou

Affaire ErgenekonAlors même que l’ouverture d’un procès est annoncée pour le 20 octobre prochain, ces dernières semaines ont vu se poursuivre l’enquête, connue désormais sous le nom d’« Ergenekon ».

Deux nouvelles vagues d’arrestations ont eu lieu récemment. Le 20 septembre 2008, 19 personnes dont 6 lieutenants d’active et un cadet ont été incarcérées et surtout, le 23 septembre 2008, un nouveau coup de filet, concernant au total 17 personnes, a conduit à l’inculpation de nouvelles personnalités considérées comme laïques, parmi lesquelles un journaliste célèbre, Tuncay Özkan, un ancien maire d’Esenyurt (Istanbul), Gürbüz Çapan, un ancien chef de la police, Adil Serdar Saçan et un ancien mannequin, Duygu Dikmenoğlu. Toutefois, plus encore que ces arrestations spectaculaires, ce dernier mois aura été marqué par un autre genre de rebondissements dans cette affaire.

De récents rebondissements dans le cours de l’affaire Ergenekon

En premier lieu, au début du mois de septembre, le cours de l’affaire “Ergenekon” a été perturbée, par la menace de mise en examen pesant sur le procureur Zekerya Öz et ses adjoints, suite au décès de l’une des personnes incarcérées (Kuddusi Okır). Cette menace a amené certains observateurs à redouter qu’un éventuel dessaisissement du procureur Öz amène l’affaire « Ergenekon » à connaître le même sort que l’affaire de « Şemdinli » en 2005 (une enquête pénale dont le procureur avait été dessaisi, après que l’implication de militaires de haut rang ait été envisagée). Mais le procureur Öz, suspecté en l’occurrence de n’avoir pas respecté les droits de la défense dans la conduite de l’enquête, sera finalement maintenu dans ses fonctions par le ministre de la justice.

En second lieu, l’affaire « Ergenkon » a également été marquée, au même moment, par la décision du nouveau chef d’état major d’envoyer l’un de ses adjoints rendre une visite officielle à deux militaires à la retraite incarcérés dans le cadre de l’enquête : les généraux Eruygur et Tolon. Depuis cette initiative qualifiée pudiquement, tant par le gouvernement que par l’état major, de « visite humanitaire », la libération du général Eruygur, par ailleurs président de l’Association pour la pensée kémaliste, qui avait organisée l’an passé les grands « miting » laïques à Ankara, Istanbul et Izmir, a relancé les commentaires sur l’amélioration des relations entre le gouvernement et l’armée.

Un enjeu politique majeur

Ces ultimes péripéties, comme les dernières arrestations effectuées, ont relancé les interrogations sur les tenants et les aboutissants de l’affaire « Ergenekon ». Révélée par la découverte d’un dépôt d’armes et d’explosifs dans le quartier d’Umraniye, à Istanbul, en juin 2007, l’affaire « Ergenekon » (nom de la plaine mythique dont les Turcs seraient originaires en Asie centrale) éclate au grand jour, en janvier 2008, avec l’arrestation spectaculaire d’une série d’individus soupçonnés, de longue date, d’agir pour le compte de l’Etat profond. Pourtant, par la suite, alors même que les arrestations se multiplient et frappent de plus en plus des personnalités laïques, de nombreux observateurs commencent à voir dans « Ergenekon » la riposte du gouvernement aux procédures auxquelles il est alors confronté (recours contre la révision constitutionnelle levant l’interdiction du port du foulard dans les universités, menace de dissolution de l’AKP par la Cour constitutionnelle, cf. notre édition du 23 mars 2008).

Depuis, alors même que les procédures en question sont abouties, les supputations se poursuivent et l’affaire « Ergenekon » est devenue un enjeu politique majeur, dont la nature n’est toujours pas cerné avec précision et dont les issues peuvent donc être multiples. En effet, si le procès met à jour un réseau de grande ampleur menant des activités illicites pour le compte de certains secteurs de l’Etat, au nom d’une certaine conception de l’État, pour la première fois, on pourra dire que l’Etat s’attaque vraiment à l’Etat profond et le juge. En revanche, si un trop grand nombre d’arrestations se révèlent infondées et si les révélations s’avèrent décevantes, l’affaire risque de se dégonfler comme une baudruche et le pays se sentira une fois de plus floué.

Après les tensions politico-électorales de 2007 (élections présidentielles et législatives), les procédures juridiques et constitutionnelles du premier semestre 2008 (levée de l’interdiction du voile et procédure d’interdiction de l’AKP devant la Cour constitutionnelle), la Turquie traverse une nouvelle phase de turbulences qui se situe essentiellement sur les terrains médiatique et pénal (affrontement entre le premier ministre et le groupe de presse Doğan, affaire “Deniz Feneri”. L’issue de l’affaire “Ergenekon” se situe désormais indiscutablement dans cette nouvelle phase de tensions.

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Sources

Article publié sur le blog de l’OViPoT le 3 octobre 2008 sous le titre « Les enjeux de l’affaire « Ergenekon » »

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