Comme vous devez le savoir, l’insulte à l’identité turque a longtemps été un crime en Turquie. Mais cette jolie république, si prompte à défendre l’honneur de l’identité turque ne se préoccupe guère des autres groupes.
L’identité arménienne, ou grecque, comme vous voudrez, a souvent été humiliée par des représentants de l’Etat et ceux qui les soutiennent. C’est la même chose pour l’identité kurde. L’identité ethnique de 12 à 15 % des citoyens de Turquie, n’a pas seulement été interdite, elle a régulièrement été insultée par l’idéologie officielle. Les Kurdes ont été dénigrés comme étant des « bandes tribales », leur langue a été qualifiée de « primitive », leur histoire a été brocardée. Le seul « bon Kurde » étant celui qui s’était turquifié.
Cabale contre les « Kurdes d’Erdogan »
Ces derniers temps, nous pensions pouvoir espérer que les choses commençaient à changer. Les réformes impulsées par l’Union Européennes ont élargi les droits des Kurdes et commençaient à contraindre la main de fer de l’Etat à s’adoucir. Mais, il apparait qu’en réalité ce n’est pas si simple de changer les choses en Turquie. Les vieilles habitudes ont décidemment beaucoup de mal à mourir.
La décision prise par la Haute Cour d’appel exige de se réveiller. En décrétant que qualifier les Kurdes d’« ennemis intérieurs », ne constituait pas un délit, la Haute Cour a de fait défendu l’insulte à l’identité kurde.
Voilà l’histoire. Il y a près de cinq ans, un obscur journal nommé Haberturk a publié un éditorial d’Ugur Ipekci. La paranoïa était cette fois dirigée contre les Kurdes. Sa substance était d’éminents conseillers du Premier Ministre Erdogan, tels que Cüneyt Zapsu, Ömer Celik et Egemen Bagis. Selon l’auteur, ces personnalités de l’AKP, n’étaient pas seulement de mauvaises personnes, c’est leur ethnicité qui était suspecte. « Est-ce un accident si tous les conseillers du Premier Ministre Erdogan sont kurdes ? demandait avec curiosité le soit disant Ipekci (Ipekci signifie vendeur de soie en turc, NdT ). »La Turquie ne cherche pas son ennemi intérieur au bon endroit. C’est à son sommet qu’il suffit de regarder".
A la suite de cet article qui était un discours de haine manifeste, Monsieur Cüneyt Zapsu déposa une plainte près de la Cour d’Istanbul. Fin 2004, la Cour l’a rejetée, estimant qu’il ne s’agissait que d’« une simple critique ». Les avocats de Monsieur Zapsu ont alors porté l’affaire devant la Haute Cour d’appel, qui deux ans plus tard déclara, à la surprise générale la plainte justifiée et décida qu’un dédommagement devait lui être versé. Mais voilà ! Une haute chambre de la Haute Cour d’appel prit bientôt l’affaire en main et estima de nouveau qu’il ne s’agissait que d’une « simple critique »et non d’un discours haineux.
Mercredi le quotidien Taraf titrait en Une la signification de ce verdict : « La Haute Cour approuve l’anti- kurdisme ».
Connais tes ennemis
Cette semaine deux autres incidents pointent le même problème. Tout d’abord un procureur de la ville de Bolu, vient de débouter la plainte déposée par le député DTP (parti pro kurde) de Diyarbakir, Selahattin Demirtas. Monsieur Demirtas avait porté plainte contre un article publié par le Bolu Espress, un journal local, de toute évidence fou furieux. Sous le titre « Turc, voilà ton ennemi », un auteur signant des initiales I.E avait relevé le nom de plusieurs députés DTP pour en dire ceci :
« Grande nation turque, voilà ton ennemi. Tant qu’ils n’auront pas reconnu que le PKK est une organisation traître et terroriste, ces éléments »civils« seront les ennemis des Turcs et la cible de civils patriotes. Plutôt que de chasser les terroristes dans la montagne, mieux vaut se nettoyer de ces microbes, et dire » Un des nôtres, cinq des vôtres, OK ? « Ceux qui agiront ainsi seront de bons patriotes. Il est temps de débarrasser le corps de ses éléments gangrenés »
Evidemment, ce n’est pas seulement démentiel, c’est absolument criminel. L’auteur de l’article invitait implicitement « les bons patriotes » a tué des députés kurdes en raison de leur sympathie pour le Parti illégal des Travailleurs du Kurdistan (PKK).C’est un appel non seulement au meurtre, mais aussi – Dieu nous en préserve- à la guerre civile.
Pourtant le procureur de Bolu a juste trouvé cet article excellent.
Vous pensez peut-être que la loi est simplement appliquée de façon trop laxiste en Turquie. Oh non, ce n’est pas le cas. Les représentants de la loi sont au contraire tout à fait vigilants dans la République de Turquie. Ils viennent de le montrer encore cette semaine, à Yüksekova, une ville kurde de la frontière sud-est. Le maire de la ville avait installé un grand panneau sur lequel on pouvait lire « Joyeux Bayram (fête de l’Aid NdT) à Yüksekova ». Mais il y avait un problème, la phrase était en kurde « Cejna Remezane Li ve Piroz Be Saredariya Geveri ». C’est pourquoi la police a appelé le maire pour qu’il retire ce panneau. Comme il a refusé de le faire, la police l’a retiré.
Le cœur du problème
Pour résumer, dans ce pays vous ne pouvez pas dire « Joyeux Bayram » en kurde, mais vous pouvez dire « Nettoyons nous de ces microbes kurdes » en turc.
Tout ceci, une fois de plus, nous amène au cœur de notre problème. La République de Turquie existe pour protéger son idéologie, pas ses citoyens. Les seuls bons citoyens sont ceux qui se coulent dans l’idéologie officielle.
Ah, n’est-ce pas un monde merveilleux !