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Trois singes : des silences qui en disent long pour Nuri Bilge Ceylan

lundi 2 juin 2008, par Wilfrid Exbrayat

Voici deux ans, le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan dépeignait dans « Les climats » la désagrégation d’un couple ; avec « Les trois singes », le troisième de ses films en compétition à Cannes, il fait de même, mais dans le registre de la fable.

Une nuit, un homme de pouvoir (Ercan Kesal), fatigué par la route, écrase un passant. A l’approche d’une échéance électorale, il propose à son chauffeur d’endosser la responsabilité de l’accident et d’aller en prison à sa place moyennant une forte somme qu’il touchera à sa sortie.

Il tiendra parole. Mais, entre-temps, il aura eu une liaison avec l’épouse du chauffeur, qui s’entiche de lui au point de ne plus vouloir le lâcher. Le fils du chauffeur réglera la situation.

Du moins le fils survivant, car, comme dans « Un conte de Noël » d’Arnaud Desplechin présenté le même jour, la famille compte un fils mort en bas âge.

« J’aurais pu en dire plus sur ce point - la mort de l’autre fils - mais j’ai estimé que ce n’était pas important », a dit le cinéaste turc vendredi en conférence de presse. « J’ai voulu toutefois utiliser cet enfant comme une sorte de lien entre les membres de la famille. Ce n’est que lorsqu’ils souffrent que l’enfant devient réellement présent pour eux ».

L’enfant mort n’est évoqué que deux fois dans le long métrage : une photo de famille et un fantasme du père, la caméra montrant le bras menu d’un enfant se posant affectueusement sur lui avant que le dit enfant ne sorte, en flou, de la pièce.

Comme dans « Uzak » (Distant), Grand Prix à Cannes en 2003, ou « Les climats », en compétition en 2006, Bilge Ceylan installe des atmosphères pesantes et tendues par de simples et longs silences.

Les dialogues sont toujours a minima, juste de quoi dire l’essentiel. Tout le reste s’exprime par des regards, des respirations, entrecoupés de fugaces éclats de voix, rires nerveux ou brèves plaintes.

Transfert de culpabilité

« Au moment du tournage, on doit tourner à différents niveaux d’énergie, d’émotion, les acteurs doivent jouer à différents niveaux car on ne sait pas ce qu’on retiendra par la suite », a expliqué Nuri Bilge Ceylan.

« Je tourne la scène du scénario puis j’essaye l’improvisation, si les acteurs ont un bon potentiel en ce domaine. Parfois, rarement, l’improvisation marche beaucoup mieux que ce qu’on avait imaginé », a-t-il ajouté.

Photographe de formation, Nuri Bilge Ceylan porte comme à son habitude un soin tout particulier à ses cadrages, que ce soit des gros plans de visages, de regards, ou d’extérieurs, avec, comme dans « Uzak », l’obsédante présence du Bosphore sous des ciels de plomb.

« Tenter de comprendre la nature humaine et mieux nous comprendre nous-mêmes, la décrire à travers des écarts de ce genre, c’est ce que nous avons voulu mener à bien dans cette histoire », explique le cinéaste turc dans ses notes de production.

« Les trois singes », dont le titre était à l’origine « Daydreams », est également l’histoire d’un transfert de culpabilité : le corrupteur transfère la culpabilité d’un homicide involontaire sur son chauffeur, ce dernier va transférer la culpabilité d’homicide volontaire de son fils sur une tierce personne, une connaissance à lui.

Ce faisant, pour l’extérieur, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Pas vu, pas entendu, pas pris et surtout on n’en parle pas.

L’épouse, admirablement interprétée par Hatice Aslan, est la pièce centrale du drame : elle se vend pour s’assurer que l’homme de pouvoir respectera ses engagements. Mais elle transcende le marché en éprouvant des sentiments réels pour lui, mais non partagés.

L’époux, perpétuel indécis superbement campé par Yavuz Bingöl, passe du dégoût à une compréhension minimum vis-à-vis d’elle. Il revient au fils (Ahmet Rifat Sungar) de trancher le noeud gordien de non-dits qu’ont noué ses parents.

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Sources

Source : Reteurs, le 16 mai 2008

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