Ô tempora, ô mores ! Une descente de police, effectuée le 29 septembre dernier, au large de Fethiye (sud-ouest de la Turquie) sur le « Savarona », l’ancien méga yacht d’Atatürk, a révélé que le navire servait de lupanar à un réseau de prostitution dirigé par un homme d’affaires kazakh ! Acquis en 1938 par l’État turc, le « Savarona » est l’un des éléments forts du décor mythique, qui entoure souvent l’image du fondateur de la Turquie moderne, bien que ce dernier n’y ait séjourné que quelques semaines avant sa mort. Propriété du ministère des finances, il était exploité depuis 1989 par l’homme d’affaires Kahraman Sadıkoğlu, l’une des plus grosses fortunes de Turquie, qui le louait pour des croisières de luxe. L’intervention de la police, qui a arrêté une dizaine de prostituées russes et ukrainiennes, a montré que le célèbre navire abritait en fait des croisières d’un genre bien particulier, ce qui a semé la consternation dans les médias turcs.
En réalité, l’incident intervient à un moment où le culte de la personne d’Atatürk est souvent écorné par une production cinématographique et littéraire foisonnante, et où les dogmes du kémalisme sont régulièrement entamés par les réformes du gouvernement de l’AKP. Pour diverses raisons (nationalistes, laïques, politiques ou affectives…) l’image du fondateur de la République reste néanmoins respectée par l’opinion publique, ce qui explique que le ministre des finances ait rapidement réagi en résiliant le bail d’exploitation du « Savarona », tandis que le ministre de la culture, qui devra désormais en assumer la gestion, proposait qu’il soit transformé en musée.
Pour sa part, l’exploitant du navire, Kahraman Sadıkoğlu, que l’on a accusé d’avoir tiré de gros profits du navire sans être trop regardant sur l’usage qui en était fait, a reproché aux médias d’avoir grossi l’affaire, en ayant recours à la publication de photos falsifiées des prostituées arrêtées. Il a également laissé entendre que l’incident aurait été provoqué puisque les personnes incriminées étaient sous la surveillance de la police depuis longtemps et qu’on les aurait laissé entrer librement sur le territoire turc, quelques jours avant l’arraisonnement du yacht. En fait, Kahraman Sadıkoğlu a surtout cherché à se dédouaner, de façon peu convaincante, en expliquant qu’il ne pouvait assurer une surveillance permanente pour éviter de tels débordements et, pour finir, en renvoyant la responsabilité de ce « naufrage » à l’Etat et aux grandes fondations qui n’ont jamais voulu dépenser une livre pour assurer l’entretien ou la reconversion du navire, alors que lui aurait investi lourdement dans sa restauration.
Pour l’heure, le « Savarona » a été ramené Istanbul où il a attend de connaître son sort.