Un attentat en plein Diyarbakir (sud-est) a violemment frappé la Turquie en ce début d’année 2008. Alors que l’armée turque a lancé une série d’opérations dans le nord de l’Irak contre les bases du PKK, cet acte est attribué à l’organisation terroriste kurde. Perihan Magden livre ici un papier en forme de cri de rage. Désespéré. La rédaction
5 morts et 80 blessés annoncent les journaux de vendredi [4 janvier]. Jeudi soir, dans les principaux bulletins d’information, on a monté le bilan à 7 victimes. Puis difficilement, celui-ci a été ramené à 4 puis poussé à 5. 5 victimes dont deux enfants, c’est bien cela ?
Or s’il est question de 80 blessés, nous pouvons dire (bien tranquillement) que le nombre de victimes risque bien de monter jusqu’à 10. Comme je peux affirmer que le fait de chercher à sauver les apparences en jouant sur les chiffres m’inspire une profonde nausée.
Une bombe programmée pour une explosion de forte intensité a été déclenchée dans un lieu très fréquenté à une heure de passage : et nous avons perdu beaucoup de personnes, souvent des enfants.
Ces tentatives de jouer sur les chiffres du bilan me rendent profondément malade. C’est la même chose quand on nous annonce le nombre de nos jeunes morts dans les montagnes avec des chiffres probablement gonflés.
Mise en spectacle
Nous voilà tombés en plein cœur d’une compagnie publicitaire. La bien bottée et peu muette achète et achète des armes d’Amérique ou d’Europe. Et tourne la planche à billets, pour honorer rubis sur l’ongle l’achat des derniers trucs les plus performants. Jets et autres. Le top. Et puis ensuite, qu’il neige, qu’il vente ou qu’il fasse nuit, elle balance son lot fort coûteux de bombes, de balles et de feu sur tous ceux des grottes, des montagnes et des cavernes. Et puis elle filme et « sert » films et bulletins d’information. Et nous de suivre cela et d’en être affectés. Nous nous apaisons. Nous nous réjouissons. Nous nous épanouissons.
C’est bien cela, non ?
Le fin du terrorisme ? Nulle part au monde est-elle ainsi intervenue. A-t-elle ainsi pu être provoquée. Et il en ira ainsi chez nous. Nous ne faisons sans cesse que donner l’occasion à cette Régie publicitaire et à ses campagnes grossies, absurdes et illogiques de nous prendre comme otages.
On savait que le terrorisme allait toucher nos villes. On avait les informations.
Ah, mais regardez donc, là voilà, le terrorisme qui frappe ! Rien qu’on n’ait pu savoir ! Rien qu’on ait pu prévoir ! Il n’est pas jusqu’à l’explosif dont on n’ait pas été informé de la nature. On en a trouvé des quantités dans les grottes !
Il n’y a d’ailleurs rien qu’ils ne sachent dans et en dehors du pays ; qu’il s’agisse de ce qu’il va se passer comme de ce qu’il s’est passé. Ils savent tout cela comme ils connaissent leurs jets et leurs bidules.
La seule chose qu’ils ne sachent pas faire, c’est la PAIX. Et parce qu’ils ne savent pas cette seule chose, voilà des décennies que la guerre ne peut pas prendre fin chez nous. Elle ne peut pas prendre fin. De jeunes Kurdes meurent. De jeunes Turcs meurent. Le nombre de morts ne cesse de grimper. Pas de quoi se vanter. On ne peut pas se vanter du nombre de victimes.
Tout cela est réciproque.
En ville, chaque soir on incendie des voitures. Dans les villes, des voitures brûlent à grand feu. Le terrorisme a depuis longtemps annoncé qu’il allait arriver en ville et prendre de nombreuses vies. En brûlant des voitures. En faisant sauter des poubelles. Le terrorisme a annoncé longtemps à l’avance que la terreur d’Etat ne l’achèverait pas mais contribuerait plutôt à l’exciter : nouvelle sanglante.
Et je suis ulcérée aujourd’hui d’entendre le chœur hypocrite des pleureuses de la paix.
Qu’il nous vienne des Kurdes ou des Turcs. Leurs minauderies : « que vienne la paix. Nous nous sommes en faveur de le paix. Nous, nous ne voulons que la paix », le même refrain, vide, faux, sans fond ni sentiment, sans âme. Porté avec la même voix au timbre énervant. Répété sans cesse, agité comme une toupie ou un chapelet. Non, ceci, je ne le SUPPORTE PLUS.
LA PAIX EST INCONDITIONNELLE.
Pour les deux parties au conflit.
De la même façon que tu ne peux être un partisan de la paix en faisant de tes attaques un spectacle, en « servant » la mise en scène de tes actions les plus dures à tous les médias, tu ne peux pas parler de la paix.
« S’il s’était passé ceci. Ou cela. Si ces gens avaient agi ainsi. S’ils avaient donné ceci…. » Ce n’est pas avec des si que l’on fait la paix.
Que l’on peut vouloir la paix. On ne revendique ainsi que du maquignonnage. Et au final que la perpétuation de la guerre. Et de la littérature de guerre.
Le terrorisme vient de faire connaître pour la nouvelle année, le lieu de la poursuite de son action : la ville. Je n’attends rien de tous ceux qui comptent profiter de cette guerre, de tous ceux qui comptent ajouter par le biais de cette guerre, la force à la force, et le titre au titre…
J’aurais pu espérer de la démocratie. On comprend cependant qu’ici il n’est aucune possibilité de jamais parvenir à une authentique démocratie.
Celui qui sait le sait. Ceux qui ne savent pas déjà n’y prêteront aucune attention. Mais je l’écris, cela me dépasse :
Le sang ne se lave pas dans le sang. Mais avec de l’eau. Par l’eau et par la paix. Par le silence des armes.