İsmet Berkan, rédacteur en chef du quotidien Radikal, revient sur les derniers développements diplomatiques à Ankara dont la réception d’une délégation du Hamas devait constituer l’événement le plus marquant. De la Croatie à l’Asie centrale et de la fondation de la République à aujourd’hui, il interroge le besoin, pour la Turquie, de projeter ses vision et dimension stratégiques sur un plan mondial.
© Radikal, le 21/02/2006
Si je me souviens bien c’est dans les mémoires de l’un des nos regrettés ministre des Affaires étrangères Ihsan Sabri Caglayangil que l’on trouvait une telle histoire. Caglayangil, dans le cadre d’une visite à Moscou devait poser à Andrei Gromiko, son homologue soviétique, la question de savoir comment il se reposait. Gromiko le fait alors passer par une porte dérobée dans un pièce réservée à la détente. Et là se trouve un fauteuil de cuir en face duquel sur le mur et de la taille de celui-ci est disposée une immense mappemonde. « C’est ici que je me repose », déclare alors le russe. « Je me détends en regardant cette carte. »
Oui, bien sûr, à cette époque, Gromiko était le ministre des Affaires étrangères d’un des deux super-puissances. La flotte de ce pays évoluait sur les mers des quatre coins du monde. Les intérêts de ce pays se trouvaient également sur chacun des cinq continents. C’est la raison pour laquelle ses dirigeants pensaient, devaient absolument penser non pas localement mais à l’échelle du monde.
Lorsque vous lisez la biographie de Enver Pacha, l’homme dont on peut dire qu’il a presque coulé à lui tout seul l’Empire ottoman, vous vous rendez compte que même d’une façon différente d’aujourd’hui, en inventant des chimères et en en faisant des aventures, et bien il était de ceux qui pensaient à une échelle globale.
Pour avoir fondé la République à partir de rien, Atatürk ressentait le besoin d’une consolidation.
C’est la raison pour laquelle même si on ne devait pas échapper à un peu de fermeture sur soi, il a toujours considéré le monde sous une large perspective extérieure notamment dans sa recherche de collaboration avec l’Iran et l’Afghanistan ou d’alliance balkanique.
Mais avec le temps, la Turquie s’est refermée sur elle-même. Sans parler du monde en général, elle en est parvenue à ne plus même s’intéresser à son plus proche environnement. On craignait de s’intéresser à notre immédiat voisinage.
Considérez ne serait que la guerre en ex-Yougoslavie qui pour la Turquie fut source de turpitudes. Ankara a trop tardé à prendre position et à intervenir dans cette guerre. Après tant et tant de tergiversations, finalement Süleyman Demirel, comme Premier ministre puis Président de la République a pu jouer un grand rôle dans l’intervention américaine mais quand il fut question d’envoyer des soldats dans le cadre de la mission de maintien de la paix, il a été nécessaire de circonvenir une sérieuse opposition de tous ces penchants isolationnistes.
Et plus récemment encore, on a critiqué le voyage de notre Premier ministre en Australie et en Nouvelle-Zélande. S’il décide de se rendre un jour en Amérique latine, les partisans d’isolationnisme retrograde le critiqueront à nouveau en l’accusant de voyager aux frais de l’Etat.
Une importance symbolique
Et regardez bien c’est de la même façon que l’on critique la venue du Hamas en Turquie. Une partie importante de la critique procède de ces réflexes isolationnistes. Ceux qui s’en réclament sont aussi ceux qui sont contre le processus d’adhésion à l’UE, parce qu’ils ont peur.
Or la Turquie se met à agir ou au moins à réfléchir en direction de son environnement proche. Et il ne s’agit en rien de tentatives aventureuses. Au final, c’est bien le message que l’ensemble de la communauté internationale essaye de faire passer au Hamas qui a été délivré par Ankara et pas autre chose.
Regardez un peu le Kosovo alors que l’on entame les négociations qui en préparent l’avenir. Et personne pour demander son avis à la Turquie.
La Macédoine cherche à rentrer dans l’UE, la Turquie reste immobile, ne cherche pas à lui apporter son aide.
On ne peut rien dire de mieux quant au comportement d’Ankara vis-à-vis d’une Bosnie qui chercherait à emprunter le même chemin. Or il fut un temps où la Turquie avait contribué à la fondation de la Fédération croato-bosniaque, et par là d’une certaine façon à un apaisement relatif de l’état de guerre généralisé en Bosnie. Aujourd’hui, la Croatie a entamé ses négociations d’adhésion à l’UE mais plus personne ne parle de la Bosnie.
En Irak dans la période pré-électorale, la Turquie a joué un rôle très important en contribuant à la participation des sunnites à ce scrutin. La venue de la délégation du Hamas revêt, selon moi, une importance symbolique.
En résumé, la Turquie est obligée de s’occuper et de s’intéresser encore plus à son proche environnement.
Le Hamas a lui seul ne ramasse pas tout. Il existe aussi un vaste monde turcophone en Asie centrale avec lequel nos relations s’atténuent. J’ai parlé un peu plus tôt des Balkans.
Nous ne pourrons décidément pas faire l’économie d’une pensée à l’échelle mondiale.
© Radikal, le 21/02/2006