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Luttes féroces au sommet de l’Etat : la Turquie menacée de blocage

lundi 7 avril 2008, par Marie-Antide

Hier, la Cour Constitutionnelle et ses 11 juges ont jugé recevable l’acte d’accusation porté contre l’AKP, parti au pouvoir, pour activités anti-laïques ainsi que la demande d’inéligibilité à l’encontre du Président de la République, de Premier Ministre, de ministres et nombreux cadres du parti AKP.

Erdogan « enpeloté »

71 personnes au total sont concernées, ce qui reviendrait à décapiter la classe politique dirigeante.

L’AKP dérange

L’AKP dérange parce que ses cadres sont issus de la mouvance religieuse, que leurs comportements s’immiscent dans le quotidien. Par mimétisme, par calcul, ou par conviction, on ne boit presque plus d’alcool en public, on utilise davantage d’expressions tirées du Coran, on salue en mettant la main sur le cœur, on va plus nombreux à la mosquée le Vendredi etc etc. Tous ces comportements renvoient l’image d’une Turquie où la vie quotidienne s’islamise, image qui met très mal à l’aise certains ;

L’AKP dérange parce que, fort de ces 47% de votes, ce parti est majoritaire à l’Assemblée et contrôle la Présidence de la République et son droit de véto ;

L’AKP dérange, enfin, parce que, fort de son autorité, le gouvernement de Recep Tayip Erdogan n’a pas hésité à lancer un très sérieux avertissement à l’ « Etat profond », ce pouvoir occulte instrumentalisé par certains pans de l’Etat et des réseaux d’extrême droite pour s’opposer à la démocratisation du pays.

En janvier dernier, une opération de police dans ces milieux se concluait par l’arrestation d’une trentaine de personnalités : général en retraite, leaders de groupuscules d’extrême droite, avocats ultranationalistes spécialisés dans la poursuite d’intellectuels au nom de l’article 301, représentant du Patriarcat orthodoxe turc, lui aussi repère d’ultra nationalistes … Ces personnes, semble-t-il appartenaient à un même groupe appelé « Ergenekon », du nom de la plaine qui serait le berceau des Turcs d’après la mythologie.

Etonnante coïncidence : au moment où cet avertissement était envoyé aux détracteurs nationalistes et kémalistes sur les activités peu recommandables de leurs extrémistes, Recep Tayip Erdogan manoeuvrait pour faire passer sa loi sur la suppression du voile à l’université et le ministre de la Justice demandait que toute la lumière soit faite sur le meurtre de Hrant Dink. Cette enquête sur l’assassinat en janvier 2007 du journaliste turc arménien suit son cours … et met à jour des ramifications dans l’Etat profond.

Au nom de la laïcité

La réaction des opposants de l’AKP ne s’est donc pas faite attendre : 8 mois après l’élection de l’AKP, leurs efforts ont abouti à cet acte d’accusation motivé par la conviction idéologique et au nom d’une laïcité érigée en dogme ou la rage de voir le pouvoir leur échapper … ou les deux. Il est plus que probable que l’AKP sera interdit dans 6 à 9 mois, le temps que la procédure suive son cours.

En attendant, le pays va s’arrêter : blocage politique bien sûr mais aussi incertitudes économiques. Dans un tel contexte, les investisseurs se rappellent très vite du déficit budgétaire, du chômage de plus de 10%, de l’inflation qui revient, de la crise financière qui fragilise le système bancaire … et des prévisions de croissance, qui, pour la première fois depuis plusieurs années, passent en 2008 sous la barre des 5%.

Et l’Union Européenne ?

Les turcosceptiques et les tenants de « l’Europe-aux-racines-chrétiennes » peuvent se réjouir de ce gâchis : ces luttes intestines mettent à jour des modes de fonctionnement qui éloignent davantage la Turquie des critères européens et vont véritablement entraver toutes velléités de progrès dans la poursuite des négociations avec l’Union. La Turquie creuse la tombe de ses aspirations européennes.

Je n’ai pas soutenu l’idée que l’Union Européenne, par ses tergiversations multiples, était responsable de la montée du nationalisme et de la radicalisation des positions en Turquie. Mais je suis convaincue qu’il est maintenant de sa responsabilité d’agir pour soutenir toutes les forces démocratiques qui existent dans ce pays : l’Union ne doit pas céder aux sirènes des turcos sceptiques et remettre en cause le processus d’adhésion, malgré les difficultés rencontrées par le pays candidat.

Le Président de la Commission Européenne, Jose Manuel Barroso, et le Commissaire Européen à l’Elargissement, Ollie Rehn, seront à Ankara les 10, 11 et 12 Avril prochains.

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