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La Turquie et le Brésil défendent l’accord qu’ils ont signé pour résoudre la question nucléaire iranienne

mardi 25 mai 2010, par Jean Marcou

La diplomatie turque s’est à nouveau illustrée, au début de la semaine passée, avec la signature de l’accord tripartite Iran, Brésil, Turquie, qui est sensé permettre un règlement de la crise nucléaire iranienne. Cet accord, qui a été conclu le 17 mai, organise l’échange en territoire turc de 1.200 kilos d’uranium iranien faiblement enrichi contre 120 kilos du même combustible enrichi à 20%, qui serait fourni par les grandes puissances (France et Russie) et destiné à un réacteur nucléaire de recherche à Téhéran. L’accord entend répondre à une proposition de l’AIEA qui, en octobre dernier, avait offert à l’Iran d’envoyer 1.200 kg de combustible nucléaire faiblement enrichi en Russie, pour y être converti par la France en un uranium répondant aux besoins du réacteur de recherche de Téhéran. L’Iran avait alors refusé cette proposition en jugeant ses garanties insuffisantes.

La conclusion de l’accord du 17 mai n’a pourtant pas empêché, dès le lendemain, les Etats-Unis de convaincre les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU de mettre à l’étude un nouveau projet de sanctions contre l’Iran. Recep Tayyip Erdoğan, pour sa part, a appelé la communauté internationale à soutenir l’accord tripartite signé la veille, en estimant qu’il fallait désormais cesser de parler de sanctions contre l’Iran. Le 19 mai, Barack Obama a appelé le premier ministre turc au téléphone. Tout en reconnaissant les efforts faits par la Turquie et le Brésil sur le dossier nucléaire iranien, il a exprimé son “inquiétude persistante”, en jugeant l’accord insuffisant. La communauté internationale a accueilli diversement l’accord tripartite. Tandis qu’Israël le qualifiait de “tromperie”, les organisations internationales (ONU, AIEA) l’ont salué, tout en attendant d’en savoir plus sur ses conséquences concrètes. La Chine et la Russie y ont vu un acquis positif mais n’ont pas rejeté l’initiative américaine de nouvelles sanctions. L’UE et les Etats membres ont salué la démarche de la Turquie et du Brésil, en estimant cependant que l’accord ne répondait que trop partiellement aux questions posées par l’AIEA à l’Iran.

Dans une lettre envoyée au président Obama, le 21 mai, le premier ministre turc lui a demandé de ne pas rejeter l’accord tripartite. Il reconnaît que ce dernier ne règle pas tout, mais y voit “une occasion importante de surmonter le problème nucléaire iranien par des moyens diplomatiques”. Au cour du week-end, la conférence d’Istanbul sur la Somalie a été l’occasion d’un nouvel échange de vues entre les différents protagonistes du dossier iranien. Le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, a notamment rencontré son homologue turc, Ahmet Davutoğlu, le 22 mai, et obtenu de sa part un compte rendu détaillé des négociations qui ont précédé l’accord du 17 mai. Il est pourtant resté prudent sur les effets de cette initiative, en observant que l’Iran avait annoncé qu’il continuerait à produire de l’uranium enrichi à 20%. Il a donc remercié la Turquie et du Brésil pour leurs efforts, mais estimé qu’ils avaient tout au plus permis de clarifier la situation en montrant qu’en dépit de l’acception d’un échange de combustible, l’Iran n’avait pas renoncé à produire de l’uranium enrichi.

Téhéran doit envoyer aujourd’hui à l’AIEA une lettre qui est sensée lancer la procédure d’échange de combustible nucléaire en permettant l’envoi dans un délai d’un mois de 1200 kg d’uranium faiblement enrichi en Turquie pour obtenir en échange, dans un délai de 11 mois, 120 kg d’uranium enrichi à 20%, en provenance de Russie et de France. Pendant le week-end, le chef de la diplomatie turque a rencontré le directeur général de l’AIEA et affirmé que la lettre rédigée par l’Iran répondait aux exigences formulées par l’accord du 17 mai. De son côté, Recep Tayyip Erdoğan a continué à rechercher le soutien de la communauté internationale. Il a écrit aux leaders de 26 pays, notamment à tous ceux qui sont actuellement membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, pour les convaincre de la pertinence de la médiation turco-brésilienne, et pour les inciter à la soutenir.

Au delà même du contenu de cet accord tripartite et de son avenir, l’implication de la Turquie et du Brésil sont intéressants parce qu’elle confirme le rôle de puissances émergentes que ces deux pays ambitionnent de jouer. La médiation turco-brésilienne embarrasse d’autant plus les grandes puissances qu’elle apparaît comme une initiative d’Ankara et de Brasilia sur un dossier qui était jusqu’à présent la chasse gardée du groupe des 6 (les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité + l’Allemagne), investi par l’ONU pour traiter le différend nucléaire iranien. Les deux pays avaient déjà fait cause commune, les 12 et 13 avril 2010, lors du sommet nucléaire de Washington, en défendant l’idée qu’il fallait priviligier à tout prix une solution négociée avec l’Iran. La signature de l’accord tripartite du 17 mai 2010 confirme cette stratégie, car il concurrence la gestion du dossier par le groupe des 6 et risque de gêner la mise en œuvre des sanctions brandies par les grandes puissances. Il y a donc bien, en l’occurrence, un tournant pris, qui voit des pays émergents revendiquer une place dans le règlement des crises mondiales.

Dans cette affaire, on observe en outre que les stratégies brésilienne et turque sont assez voisines. En effet, depuis deux ans, ces deux pays essayent de s’imposer comme des interlocuteurs indispensables dans tous les grands forums internationaux. Alors qu’il achève son second mandat, le président Lula entend passer, en la matière, à la vitesse supérieur, en montrant que son pays est désormais capable de jouer un rôle important dans les crises mondiales majeures. Brasilia a d’autant plus d’arguments dans le dossier iranien que le Brésil est lui-même un pays du Sud qui développe un programme nucléaire civil à des fins pacifiques, tout en faisant partie des dix pays sachant produire de l’uranium enrichi. Pour sa part, Recep Tayyip Erdoğan n’a pas ménagé ses efforts depuis 2008 pour s’imposer comme médiateur dans le conflit nucléaire iranien. Cette démarche s’est accompagnée d’une dégradation des relations de la Turquie avec Israël, tandis qu’Ankara renforçait sa crédibilité et sa popularité au sein du monde arabo-musulman. Cette posture de défenseurs des musulmans face à l’impérialisme des grandes puissances occidentales est aussi susceptible d’être payante sur le plan électoral pour un premier ministre qui doit prochainement affronter des échéances électorales importantes.

JM

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Sources

Source : ovipot, le 24.05.10

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