L’écrivain turque Rosie Pinhas-Delpuech a participé hier après-midi à une rencontre avec des lecteurs à la bibliothèque du Marsan.
L’an passé, l’auteur Eddie Harris était venu évoquer l’« autre Amérique » et son voyage initiatique. Hier, c’était au tour de l’écrivain Rosie Pinhas-Delpuech d’entrer dans l’arène à la bibliothèque du Marsan. Face à une quinzaine de lecteurs attentifs, cette dame aux yeux clairs, auteur de trois ouvrages (« Insomnia », « Suites byzantines » et « Anna. Une histoire française ») a parlé, une heure et demie durant, de son pays de naissance, la Turquie mais aussi de ses pays d’adoption, Israël et la France où elle s’est définitivement installée en 1984.
Organisée dans le cadre de la saison de la Turquie en France et en partenariat avec Lettres du monde et Musiques de Nuit, la rencontre s’est tissée autour d’un fil rouge : la langue. Ou plutôt les langues.
« J’ai trouvé ma musique »
« Je suis née à Istanbul - une ville pont entre deux continents - au sein d’une famille juive venue d’Espagne, non musulmane dans un pays musulman », explique Rosie Pinhas-Delpuech en préambule. À la maison, la grand-mère parle une langue judéo-espagnole ; le père, le français ; la mère, l’allemand. Il y a conflit de mots.
« C’était comme de choisir entre deux parents musiciens, l’un veut que vous fassiez de la flûte, l’autre du violon. C’était d’autant plus dur qu’il s’agissait du français et de l’allemand et que la guerre n’était pas si lointaine. »
Finalement, c’est par l’apprentissage du turc, la langue « du dehors », celle de l’école obligatoire, que « l’enfant » - tel qu’elle le décrit dans son livre « Suites byzantines » - s’ouvre au monde. « Même s’il y a des relents autobiographiques dans mes ouvrages, ma démarche est d’abord littéraire », précise l’auteur.
Adolescente, c’est à Nanterre, en France - « sorte de Jérusalem familiale » - que Rosie Pinhas-Delpuech décide de poursuivre ses études de philosophie et de lettres mais elle s’aperçoit que son amour pour l’Hexagone « n’est pas réciproque ». « J’ai alors découvert Israël qui n’avait que vingt ans d’existence. J’ai fait un temps la navette entre les deux pays. » Avant de changer de vie. « J’ai quitté l’enseignement et je suis devenue traductrice littéraire. D’abord, en hébreu, car j’avais peur d’oublier la langue. » Puis en anglais et en turc.
Lorsque l’auteur laisse enfin libre cours à la plume, qui la titille de plus en plus, c’est pourtant le français qui s’impose. « J’avais trouvé ma musique, ma langue d’écriture. C’est dans la langue que se niche le désir… »
Dans ses ouvrages, Rosie Pinhas-Delpuech tente, dit-elle, de recréer « l’esthétique brisée de la vie humaine. Je casse les histoires. Je les arrête là où je pourrais les poursuivre car le monde dans lequel je vis n’est pas organisé. Il est fait de parcours brisés, de hasards, il est chaotique. »
« De culture musulmane »
Quel regard porte-elle sur la Turquie du XXIe siècle ? « Lorsque j’ai quitté Istanbul dans les années 60, il y avait 1 million d’habitants. Aujourd’hui, il y en a 12 millions. À l’époque, il y avait une grande part de minorités, musulmans, chrétiens, juifs… De nos jours, cette variété a disparu. L’islamisation de la Turquie me fait de la peine. C’est un pays de culture musulmane, pas islamiste, soyons précis sur les mots », explique-t-elle avant de poursuivre. « Cependant, je me sens très bien dans l’Istanbul d’aujourd’hui. C’est une ville ouverte. »
Avant de conclure la rencontre, une lectrice, travaillant avec des demandeurs d’asile au Cada, conte à l’auteur son quotidien, le poids des mots (des maux ?) qu’elle ne comprend pourtant pas, la charge émotionnelle qu’ils portent. Rosie Pinhas-Delpuech répond émue. « La langue, c’est quelque chose qu’on peut transporter avec soi. C’est un refuge. »
Les livres de Rosie Pinhas-Delpuech sont publiés aux éditions Bleu autour.