Réagissant aux propos peu amènes du chef du gouvernement turc sur la question chypriote, Murat Belge se permet, en toute humilité, de rappeler quelques fondamentaux quant à ce que devraient être les fameux principes d’une Union Européenne. A destination de ses compatriotes bien évidemment. Non sans égratigner des dérives vécues sous d’autres cieux...
Il y a peu c’est en voiture que j’entendis le premier ministre Erdoğan évoquer la question chypriote à la radio. Pour autant que j’ai pu comprendre, il se permet de défier l’Europe sur ce sujet. En d’autres termes, « l’Europe, disait-il, écoutera la parole de 600 000 Grecs et ne tiendra aucun compte de l’avis de 70 000 000 de Turcs (je tiens à écrire ainsi les chiffres pour bien souligner la différence retenue par Erdoğan) : c’est à eux de voir après tout ! »
Le premier ministre… Le gouvernement…La personne choisie parmi les membres du gouvernement pour faire avancer ces négociations avec l’UE… Mais le nombre de ceux qui ne savent pas ce qu’est l’Europe, qui ne la connaissent pas, ne la comprennent pas, ne se limite évidemment pas à ceux que je viens de citer. Quelle que soit sa fonction, qu’il s’agisse même d’une diplomate de métier, une personne dont le mot Turc figure sur la pièce d’identité au titre nationalité, s’il n’est pas impossible qu’elle comprenne ce qu’est l’Europe, éprouvera tout de même un certain nombre de difficultés.
Prenons cet exemple… L’UE a été en partie fondée sur le principe que les petits comme les grands Etats aient l’égale possibilité de s’exprimer. Le Bénélux ? Le Luxembourg qui tient les trois dernières lettres de cet acronyme sera - doit être – détenteur d’une personnalité dotée des mêmes droits que tous ses partenaires !
Titulaire de droits égaux. Titulaire du même droit à la parole. Mais à peine a-t-on dit cela que l’on note que ce principe est relié à un autre critère : à la justesse de la parole ; comme au respect des valeurs et principes qui ont présidé à la fondation de l’UE, etc…
Voilà la raison pour laquelle se lever un matin et déclarer à la cantonade « qu’eux sont 600 000 et nous 70 000 000 », ne peut pas correspondre à une parole prononcée dans le cadre des valeurs européennes. On dirait presque qu’il s’agit de mots destinés à en provoquer voire à en violer les principes.
Mais ce n’est pas la première fois, ni la dernière d’ailleurs. Et de telles réactions ne sont nullement le strict apanage du gouvernement.
Le droit du plus fort contre l’Europe
C’est en Turquie la conséquence directe d’une manière de voir dominante : « c’est le plus fort qui l’emporte. » Vous pourriez me rétorquer (et nombreux seront ceux qui le feraient, si je ne complétais pas mes propos) : « cette manière de voir nous est-elle si spécifique ? personne d’autre que nous ne la pratique-t-il ? »
Non, bien sûr que non. Ce sont des majorités qui un peu partout croient encore à cela et seulement à cela. Et c’est aussi la raison pour laquelle ces majorités choisissent parfois, pour les diriger, des chefs qui ne croient qu’à cela. Ainsi Bush junior. Et ce sont les succès de ces leaders-là que nous avons contemplé jusqu’à nos jours et que nous continuons d’admirer.
Mais au cœur, à la base de la construction européenne, ce ne sont pas les partisans du « nous sommes 70 000 000, ils sont 60 000, nous passerons donc en force » que l’on retrouve ; mais c’est plutôt le levain de tous ceux qui prônent une attitude inverse.
Il n’en reste pas moins que sur cette question chypriote, lorsque nous cessons de faire s’entrechoquer les chiffres et que nous ramenons le problème à sa vraie dimension, celle qui devrait être la sienne, après tant d’années, c’est nous qui sommes dans notre droit. D’accord, après tant de postures turques spécifiques à Chypre (aussi spécifiques que, la plupart du temps, sans rapport aucun avec la situation sur l’île), nous ne sommes pas en mesure d’attendre des gens qui nous ont connus sous ce jour-là de se débarrasser de leurs préjugés du jour au lendemain. Mais “dire le vrai” est un véritable avantage en soi : un incomparable avantage.
« De bien petits calculs »
Et la période que nous connaissons aujourd’hui relève d’une telle époque que dans bien des pays (je parle ici des pays membres de l’UE), bien des petits politiciens se lancent dans de bien petites politiques. D’où prendre nos exemples ? De ces gens-là ? Non. On ne pourrait produire d’exemples valables de ces expériences-là.
On ne fondera de politique européenne qu’avec le souci de rappeler - qu’ils comprennent ou qu’ils ne comprennent pas (la plupart choisiront de ne pas comprendre)- les principes et les valeurs européens à nombre de politiciens européens aujourd’hui écoutés ou dont le nom sert à nous rebattre les oreilles. Et cela n’adviendra pas à grand coup de « ils sont 600 000, etc… ».
La Turquie, selon la position à laquelle elle est acculée est également détentrice de la possibilité de faire savoir à l’Europe ce qu’elle doit être. Mais ceci ne peut se faire en tenant un tel langage. Seulement par le recours, non à une quelconque « Power politics », mais à une politique de long terme qui doit être, au fond, celle de l’Europe.