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Economie : le miracle turc ?

lundi 12 mars 2007, par Magda Branet

Source : Boursorama.com

Miracle turc ? « Ces dernières années, la Turquie a fait d’énormes progrès sur la voie de la stabilité macroéconomique et de la croissance. Sa Banque centrale, de plus en plus crédible, a réussi à contrôler l’inflation, la ramenant des sommets de plus de 100% par an atteints au milieu des années 90, à 9,6% en 2006 », explique Magda Branet, stratégiste Europe émergente et Turquie chez Axa Investment Managers. Pour maintenir la confiance des investisseurs après la correction de mai 2006 et attirer des capitaux qui servent à financer un déficit chronique, la Banque centrale turque n’a ainsi pas hésité à porter son taux directeur à 17,5%, ce qui n’a pas empêché l’économie de poursuivre sa croissance. Depuis le début de l’année, les marchés continuent de relayer cet optimisme général sur la Turquie mais les élections présidentielles prévues en mai (comme en France) constituent un élément d’incertitude. Alors que faut-il attendre de l’économie turque cette année ? Un nouveau géant est-il en train d’émerger ? Côté européen, dans quel état se trouve l’économie des pays d’Europe orientale, alors que la Roumanie et la Bulgarie viennent d’entrer dans l’Union européenne ? Magda Branet répond à toutes ces questions.

- La lutte contre l’inflation semble redonner de la vigueur aux marchés financiers turcs. La banque centrale turque aura-t-elle les moyens et la capacité de continuer sa politique ?

- Bonjour, alors que l’on nous parle de plus en plus de la crédibilité de la banque centrale Turque, du potentiel dynamique de ce marché, les investisseurs doivent-ils craindre la corruption dans l’économie turque ?

Effectivement, la banque centrale turque a connu un grand succès dans sa lutte contre l’inflation. Il faut savoir qu’au début des années 2000, l’inflation était à deux chiffres (voire à trois). Aujourd’hui, on se situe à un niveau très honorable autour de 7%. De plus , la Banque centrale turque a adopté le système du ciblage de l’inflation avec une cible explicite annoncée au marché chaque année.

- Les pays d’Europe de l’Est (notamment la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque) sont-ils encore des pays émergents ?

Magda Branet : La République Tchèque en particulier a aujourd’hui un niveau de vie comparable à celui de la Grèce et du Portugal. Donc ce n’est plus un pays émergent au même titre que la Chine ou l’Inde. D’autres pays ont plus de chemin à faire comme la Pologne, la Hongrie et même la Slovaquie. Le PIB par tête de la Pologne représente environ 45% de la moyenne de l’UE15...
La Roumanie et la Bulgarie sont plutôt aux alentours de 25%. Ce sont quand même des pays qui font encore partie de la catégorie des pays émergents.

- En ce qui concerne la corruption peut-on avoir confiance en la transparence de l’économie turque ?

Magda Branet : Les deux derniers entrants dans l’UE font effectivement face à des problèmes institutionnels et sociaux liés à la corruption. Ceci dit, l’adhésion n’aurait pas été possible sans que les deux satisfassent un grand nombre de critères imposées par la Commission européenne portant notamment sur ces sujets-là. Dans le cas de la Turquie, les problèmes liées à la corruption ainsi que ceux posés par le non-respect des droits des femmes, des minorités, des syndicats ainsi que de la liberté d’expression sont également sous haute surveillance de la part des institutions européennes. Beaucoup de progrès restent à faire mais l’engagement politique sur le chemin de la réforme semble être présent.

- Les dirigeants politiques européens (Angela Merkel et Nicolas Sarkozy notamment) freinent les négociations d’adhésion de la Turquie. Cela peut-il remettre en cause la croissance turque ?

L’adhésion à l’Union constituerait une garantie de stabilité institutionnelle pour la Turquie. Cela représenterait effectivement un effet d’aubaine pour l’économie du pays à moyen terme. Ceci étant, le dynamisme turc est déjà en marche. C’est une économie à très fort potentiel en premier lieu grâce à sa démographie. En 2050, ils seront 100 millions. Ce serait ainsi le plus grand pays de l’UE.
L’Union profiterait largement de ce potentiel. En même temps, la Turquie serait le premier destinataire des fonds européens de par sa taille et de par le poids de son secteur agricole. Le débat sur l’adhésion reste ouvert. De toute manière, la Commission ne voit pas aujourd’hui d’entrée possible de la Turquie avant 2013.

- Les liquidités issues du carry-trade sont-elles aussi investies en Turquie ? Si oui, ne faut-il pas craindre pour la valeur des actifs financiers dans ce pays (par ricochet pour la lire turque) ?

Magda Branet : Aujourd’hui, les taux de la Banque centrale turque se situent à 17,5%. La Livre turque a donc été un actif de préférence pour le « carry trade ». En ce moment, on évoque la fin du carry trade et donc un avenir problématique pour les monnaies à haut rendement (livre turque, réal brésilien etc.).
Cependant, la monnaie devrait rester soutenue à moyen terme par l’amélioration attendue des comptes extérieurs du pays sous l’effet conjugué des prix de l’énergie plus bas et d’une bonne tenue de l’économie mondiale. Aujourd’hui, la Turquie a malheureusement un déficit de comptes courants important de 8,3% du PIB mais appelé à s’améliorer en 2007.

- La Turquie connait très régulièrement des crises économiques. Depuis 4 années la croissance est forte pourtant même si les marchés restent positifs les Turcs semblent s’inquiéter et redouter une nouvelle crise en 2007 surtout avec les élections. Pensez vous que cela puisse se produire et pourrions nous connaitres les mêmes effets qu’en 2001 ?

Magda Branet : Le trouble politique entourant les élections peut effectivement affecter les actifs turcs, surtout dans un éventuel contexte global de restriction de liquidités et d’aversion accrue pour le risque. Cependant, l’ampleur de la crise a peu de chance d’être comparable à celle vécue en 2001.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont su gagner la confiance des marchés par des politiques économiques (fiscales et monétaires) très saines. De plus, le statut de candidat à l’entrée dans l’UE offre aujourd’hui une certaine assurance quant à la poursuite des réformes et à la stabilité des institutions.
Ces éléments étant appelés à se poursuivre, nous pensons qu’une éventuelle correction sur les marchés devrait être absorbée sans dégâts majeurs sur l’économie. L’exemple de la correction de mai/juin 2006 est très parlant à ce sujet.

- La Turquie dispose-t-elle d’un secteur tertiaire et d’une législation à la hauteur des enjeux européens ou de sa nombreuse population ?

Magda Branet : Non aux deux questions. Il faut savoir qu’aujourd’hui le secteur agricole seul représente encore 14% du PIB. Sur beaucoup de sujets, la législation n’est pas encore au point. Ceci fait d’ailleurs l’objet de négociations en vue de l’adhésion.

- Comment voyez vous le marché Turc à court, moyen et long terme ? Et quelles sont pour vous les entreprises turques les mieux placées ?

Magda Branet : A court terme, le marché pourrait continuer à souffrir du fait de la réduction de l’appétit pour le risque des investisseurs qui a d’ailleurs affecté tous les marchés en général. A moyen et long terme, pourvu que le rythme des réformes se poursuive, le marché devrait bien se porter, surtout si on table sur une adhésion avant 2020.

- On parle beaucoup de la Turquie comme d’un potentiel eldorado. N’y a- t-il pas un effet de mode qui s’éteindra plus tard comme un feu de paille ?
Magda Branet : Effectivement, il y a peut-être un engouement des investisseurs pour la Turquie comme pour d’autres pays émergents qui pourrait paraître excessif compte tenu des performances incroyables que l’on a vu ces dernières années. La bourse turque a fait +300% depuis 2003 ! Ceci dit, une partie de cet enthousiasme est justifié par l’amélioration des fondamentaux économiques et politiques du pays.

- L’economie americaine semble s’essoufler de plus les USA vivent au dessus de leurs moyens. Il ya eu recemment une correction « petite panique » sur plusieurs bourses. La bourse (en global) n’est -elle pas dans une bulle qui risque de se percer à la moindre perte de confiance envers les USA ?

Magda Branet : Beaucoup de marchés émergents sont aujourd’hui dépendants des flux de portefeuilles venant de l’étranger, c’est le cas pour la Turquie de par son déficit courant mais aussi bien de la Hongrie et de l’Inde. Ces pays-là sont vulnérables au changement de l’appétit pour le risque lié à la conjoncture global. Aujourd’hui, nous pensons que les Etats-Unis bien qu’en train de ralentir se portent bien. L’économie mondiale aussi, spécialement grâce à l’Asie émergente. Ceci devrait continuer à soutenir les marchés en général et les pays émergents également.

- Les marchés financiers d’Europe de l’Est ont-ils encore des perspectives de forte croissance ?

Magda Branet : Malgré la hausse des Bourses de la zone que l’on a connue ces dernières années, il reste certainement des poches de valeur à exploiter dans ces économies. On devrait voir plus d’émetteurs apparaître sur ces marchés dont la capitalisation boursière est appelée à se développer. Aujourd’hui, ces marchés sont en général peu diversifiés (voire le secteur énergétique dans le marché russe). D’autres secteurs, notamment ceux liés au réveil de la consommation interne et au développement du système financier devraient constituer des moteurs de performance à l’avenir.

- Avez-vous confiance dans la monnaie turque ? Comment croyez-vous qu’elle va évoluer ?

Magda Branet : Dans la mesure où le contexte global de croissance et d’abondance de liquidités se poursuit, les flux de capitaux vers le marché turc (que ce soit des investissements directs ou des flux de portefeuilles) devraient rester élevés. La baisse de l’inflation devrait se poursuivre également.Ces éléments constituent des soutiens pour la monnaie turque à moyen terme bien que des tensions ponctuelles puissent apparaître, comme on l’a vu ces derniers temps.

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