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Lettre d’Istanbul, 17 juin 2013 - Visions de la police turque.

lundi 17 juin 2013, par Etienne Copeaux

Sur le site Internet des élèves d’un lycée d’Istanbul, un jeune a expliqué que l’important c’est de résister, non de vaincre. « Ils nous chassent avec des gaz ? Peu importe. Reculons. Mettons-nous à l’abri, préservons-nous, pour pouvoir revenir... et résister ». Ce jeune expliquait ainsi la possibilité de préserver sa force et sa vitalité au mouvement. C’est en effet très simple : résister, mais sans chercher à résister à la violence. La violence qui frappe dans le vide est ridicule. Amis, suivons, suivez la sagesse de ce très jeune homme.

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La police turque est d’une brutalité sans limite et a tous les droits.
...Il est ainsi courant qu’il enlèvent leurs casques sur lesquels figure leurs matricules... - Photos http://galeri.uludagsozluk.com

La personne qui me rapporte ceci est d’une autre génération (la mienne), une époque, me dit-il, dont les mouvements cherchaient plus à vaincre - traduire renverser le gouvernement ou carrément le capitalisme. Souvent, en Turquie, dans un combat désespéré voire suicidaire dont le seul résultat est d’avoir laissé des « martyrs » qu’on commémore : Deniz Gezmis dont le portrait figurait sur l’AKM aux beaux jours du mouvement actuel. Mon interlocuteur approuve chaleureusement les propos du jeune lycéen, admettant que cette nouvelle génération nous apprend quelque chose. C’est vrai.

Je viens de « faire », et même deux fois, İstiklal dans toute sa longueur et il ne reste aucune trace de rien. Même chose dans les quartiers qui étaient assez chauds hier soir, Sıraselviler et Çukurcuma. Vraiment, on peut complimenter les services municipaux. Pour la propreté, mais surtout pour la capacité d’effacer le passé même tout récent, ils sont forts.

A l’entrée de la place de Taksim, au débouché de la rue Sıraselviler, nombreuses forces de police au repos. Je suis étonné. Ces Robocop n’ont AUCUNE TENUE. Ils sont vautrés sur les trottoirs, assis par terre, fumant et buvant. C’est étonnant car chez les CRS, en France, on laisse cuire les troupes au soleil ou au froid, debout, pendant des heures avant les manifestations, parfois on laisse même la population les insulter, pour que les policiers soient bien énervés. Le manque de tenue est sévèrement puni dans l’armée française et certainement dans la police. Je me souviens avoir vu quelquefois, dans ma rue Susam sokak, des policiers dans leur voiture de service, littéralement vautrés sur leur siège, se faisant servir le thés d’un simple claquement de doigts (je serais étonné qu’ils aient payé ces thés).

Ce manque de tenue n’est pas un détail. Cela montre qu’ils sont les rois de la rue, ils font ce qu’ils veulent. Le manque de tenue dénote leur dangerosité : manque de tenue, ils ne sont pas tenus.

Ma pensée vagabondait en voyant ces Robocop des Forces d’intervention rapide (çevik kuvvet) aujourd’hui. Non seulement ils n’ont pas de tenue, mais au cours des poses, ils se vautrent ainsi parmi la population, ils sont mêlés à la population, à la foule nombreuse des passants. Je ne peux pas imaginer, en 68 ou dans les années plus dures qui ont suivi, en France, un policier isolé parmi la foule : il se serait fait sévèrement insulter, si ce n’est agresser. Ç’aurait été dangereux pour lui.

Ici, dans ce contexte extrêmement tendu, les passants ne font rien, ne disent rien, ne les insultent pas. Une amie à qui je m’en étonnais me dit : Eh bien, tu n’as pas compris ? On est dans un État policier, les gens ont peur, tout simplement. C’est vrai, c’est tellement simple. Et je me souviens que, avec mon esprit de Français fraichement débarqué, j’avais « répondu » à un policier qui s’était adressé à moi sans y mettre la moindre forme, en me tutoyant et j’en passe. J’ai été confronté à une réaction violente, des gestes menaçants, une esquisse de claque, et je m’en suis sorti tout juste. je comprends ce que peut être, en Turquie, la peur de la police. Je l’ai mieux compris encore avec l’affaire Metin Göktepe, ce jeune photo-reporter tabassé à mort dans un commissariat en janvier 1996.

Je comprends... la preuve ? Je n’ai pas osé photographier ces Robocop vautrés.

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Sources

Lettre d’Istanbul, 17 juin 2013
susam-sokak.fr - Étienne Copeaux - lundi 17 juin 2013

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