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Wikileaks à propos des syndicats turcs : « mettez en garde, arrêtez et punissez tous les membres du KESK »

lundi 3 septembre 2012, par Industrial Relations in Turkey, Trad. Aurélien Roulland

Les fuites de câbles diplomatiques publiées par Wikileaks en novembre 2010, ont offert une opportunité unique d’entrapercevoir les communications diplomatiques des ambassades et des consulats américains au sujet des syndicats de travailleurs turcs. Ces câbles donnent dans un premier temps une idée de comment les mouvances des travailleurs turcs sont perçues par les diplomates américains, et dans un second temps, il nous fournit aussi de nouvelles informations sur l’oppression de l’État sur les syndicats turcs ainsi que sur d’autres questions relatives aux relations industrielles turques.

Combien d’organisations de travailleurs turcs ?

Révélations de Wikileaks à propos des syndicats turcs {JPEG}Une première et intéressante observation que nous pouvons faire, basée sur les fuites diplomatiques, est la connaissance apparemment limitée de certains diplomates sur les acteurs principaux des relations industrielles turques. Comme nous le savons, la Turquie dénombre six confédérations de syndicats majeures, 3 dans le secteur privé (Türk-Iş [1], Hak-Iş [2] et DISK [3]) et 3 dans le secteur public (Kamu-Sen [4], Memur-Sen [5] et KESK [6]) à la fois basées sur l’adhésion et la participation aux institutions de dialogue social. Néanmoins, dans différents câbles, les diplomates font allusion aux « trois » principales confédérations de syndicats, ignorant ainsi l’existence de Kamu-Sen, Memur-Sen et Hak-Iş.

Les préjugés américains à propos des syndicats turcs : ils seraient conservateurs et sur le point de disparaître.

Différents câbles diplomatiques US analysent l’état du mouvement syndical turc dans le contexte de l’accession à l’UE, après une grève majeure ou en relation avec les futures initiatives diplomatiques américaines. Ces câbles nous donnent une idée de comment les mouvements de travailleurs turcs et les principales confédérations sont perçues par les diplomates américains. Un premier câble de mars 2003 qui titrait : « Travailleurs turcs : maintenir le statut quo », décrit le mouvement ouvrier turc comme essentiellement intéressé par la préservation de ses acquis . Les raisons de ce « manque de dynamisme » seraient la législation actuelle et la politique gouvernementale qui n’encouragent pas l’activisme syndical. N’ayant discuté que les rôles de Hak-Iş et Türk-Iş, le diplomate fait le commentaire suivant : « Comme la plupart en Turquie, les organisations ouvrières sont en mode ‘attendre et voir’. Plutôt que de s’embarquer dans de nouveaux programmes, les organisations de travailleurs, comme à leur habitude, démontrent rarement une capacité à des approches innovantes aux nouvelles problématiques qui se présentent à elles. Avec la constante tendance à la déférence des ouvriers et des autres « ONG » envers les autorités de l’État, ceci montre que le ‘mouvement’ ouvrier en Turquie manque de dynamisme pour faire avancer les ‘intérêts’ des ‘travailleurs’. »

Un câble de 2010 qui titrait « Grève chez Tekel : le dernier souffle du mouvement ouvrier ? », parlait de l’affaire de TEKEL et de ses implications pour le mouvement ouvrier et le gouvernement AKP. Selon ce câble, les travailleurs de TEKEL avaient gagné le soutien du public, le gouvernement AKP était sous pression car il ne voulait pas être perçu comme un parti qui est ennemi des travailleurs. Malgré cela, Erdoğan a réagi avec rien de moins qu’un ultimatum envers les grévistes les contraignant à se disperser avant le 1er mars contre la promesse d’une « rencontre » avec les dirigeants syndicaux. Rien dans le câble n’explique cependant en quoi ce puisse être « le dernier souffle » du mouvement ouvrier. De façon similaire, un câble rapportant la grève réussie du secteur public du 25 novembre 2009 titrait « Commentaires variés sur la grève du 25 novembre 2009 ». Le contenu de ce câble déclarait clairement que la grève était un succès et que le mouvement ouvrier est probablement en train de gagner son combat pour le droit à la grève et des négociations collectives dans le secteur public.

Nous pouvons conclure que le mouvement des travailleurs turcs est généralement perçu comme plutôt conservateur, passif et démissionnaire.

Cependant, que cette perception soit en adéquation avec la réalité est moins clair, comme le montre les titres suggestifs des différents câbles fréquemment contradictoires.

Le climat syndical défavorable de Turquie et l’oppression du gouvernement sur le KESK

Dans de nombreux câbles, la Turquie est présentée comme un pays dans lequel organiser les travailleurs n’est pas une activité de tout repos. Ne se contentant pas des obstacles législatifs, l’état turc et le gouvernement recourent à ce que Hak-Iş appelle « un harcèlement de premier niveau » tel que de provoquer des dysfonctionnement de son et de vidéo dans les manifestations. Un autre câble rendant compte de la situation à Antalya en 2010 déclare en outre que les travailleurs et les organisateurs des syndicats de l’industrie sont fréquemment confrontés à des menaces d’employeurs des secteurs publics et privés pour ne pas rejoindre ou fonder des syndicats. De plus, la taille énorme du marché informel du travail est aussi présenté comme une autre raison de la faiblesse de l’activisme syndical dans certains secteurs.

Un câble de janvier 2010 intitulé « le comptage des (adhérents aux) syndicats de travailleurs reporté » est particulièrement intéressant car il montre le chantage et les pressions exercées par le gouvernement sur les syndicats. Le fait que le gouvernement AKP ait ajourné la publication du nombres officiels des adhérents aux différents syndicats, a été perçu par certains comme un chantage sur les syndicats. Ces chiffres sont cruciaux pour les différentes organisations de travailleurs puisqu’ils déterminent quel syndicat a le droit de participer aux négociations collectives au sein des différentes industries turques. La suspension de le publication de ces chiffres eut-être considéré comme un chantage afin de pousser les syndicats à accepter des initiatives législatives ayant besoin de leur approbation afin d’être votées. De surcroît, le report de ce recensement est favorable aux syndicats puissants pour lesquels les anciens chiffres (surévalués) restent ainsi les seuls disponibles. De cette façon, on ajoute une pression supplémentaire sur la petite mais davantage combative confédération DISK qui est bien plus férocement opposée à certaines des initiatives législatives de l’AKP que Turk- Iş et Hak-Iş.

La confédération du travail du secteur public KESK est particulièrement ciblée par ces stratégies gouvernementales et étatiques en vue d’affaiblir le mouvement des travailleurs. Ainsi, deux câbles révèlent l’extrême oppression que le KESK doit subir. D’abord, une communication secrète de 2002 à propos des territoires en état d’urgence en Turquie révèle le caractère organisé de l’oppression du KESK. Ce câble détaille le contenu d’une « correspondance secrète » entre un gouverneur OHAL [7] et plusieurs autres gouverneurs. Ici, le gouverneur OHAL ordonne de « mettre en garde, arrêter et punir tout membre du KESK (…) prenant part a des arrêts ou des ralentissements du travail ». Cette note confirme la volonté de répression des militants et des représentants KESK alors qu’aucun autre syndicat n’a été mentionné dans la note. Le KESK est ainsi clairement ciblé par certaines parties de l’administration étatique. Ensuite, un câble de décembre 2004 concernant la procédure en dissolution intentée contre « Eğitim-Sen » [8] décrit comment ces affiliés du KESK ont eu à subir un procès pour avoir réclamé l’ « éducation dans la langue maternelle » comme l’une de leurs revendications statutaires. Finalement, le syndicat ne fut pas dissout par le juge.

Ces câbles diplomatiques qui ont été rendu publics confirment ainsi ce que différents rapports sur les droits syndicaux de l’ ITUC [9] avait déjà constaté : L’état et le gouvernement turc interfèrent activement dans les tentatives de syndicalisation.

Les confédérations syndicales de gauche KESK et DISK semblent être ciblées particulièrement par l’ingérence de l’état et du gouvernement, mais même le pieux syndicat Hak-Iş semble être confronté au harcèlement d’acteurs étatiques.

Un atout ou un désavantage ? Hak-Iş, Memur-Sen et le gouvernement AKP

Ainsi Hak-Iş et Memur-Sen sont considérés comme des confédérations syndicales « pieuses », « conservatrices » et « pro-gouvernementales », leurs relations avec le gouvernement d’un côté et les autres confédérations syndicales ouvrières de l’autre, sont parfois difficile. D’une part, ces deux confédérations sont fières de leurs relations de proximité avec le gouvernement, surtout que le président de Hak-Iş s’est présenté lui-même comme un « proche » d’Erdoğan. D’autre part, cette proximité a mené au retrait du soutien initial de Hak-Iş et Memur-Sen à de la grève du 4 février 2010.

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Sources

Industrial Relations in Turkey - Turkish Unions & Wikileaks : « warn, arrest and punish any member of KESK » - Non daté
Traduit de l’anglais par Aurélien Roulland
L’article original contient d’autres liens menant vers des informations détaillées issues de Wikileaks sur chaque syndicat turc.

Notes

[1Türk- Is : Türkiye Işçi Sendikalari Konfederasyonu (TÜRK-İŞ - Confédération des syndicats turcs) est une confédération syndicale turque affiliée à la Confédération Syndicale Internationale et à la Confédération européenne des syndicats.

[2Hak-Iş : La Confédération des syndicats turcs (HAK-İŞ) est l’un des quatre syndicats nationaux importants en Turquie. Elle a été fondé le 22 octobre 1978 et compte environ 340,000 membres. Hak-Iş est affilée à la Confédération Syndicale Internationale et à la Confédération Syndicale Européenne.

[3DISK : La Türkiye Devrimci İşçi Sendikaları Konfederasyonu (DİSK - Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie) est une confédération syndicale turque affiliée à la Confédération syndicale internationale et à la Confédération européenne syndicale.

[4Kamu-sen : né le 24 juin 1992, la Türkiye Kamu Çalışanları Sendikaları Konfederasyonu, Confédération des syndicats de travailleurs du secteur public de Turquie.

[5Memur-Sen : Memur Sendikaları Konfedarasyonu, la confédération des syndicats de fonctionnaires.

[6KESK : Kamu Emekçileri Sendikaları Konfederasyonu (Confédération des syndicats de travailleurs du secteur public).

[7OHAL : Depuis 1942 la Turquie a fréquemment été mise sous des lois d’urgence, que ce soit tout le pays ou des provinces spécifiques. Selon les articles 119-122 de la constitution de 1982 les 4 types de lois extraordinaires sont les lois martiales (sıkıyönetim), l’état d’urgence (olağanüstü hal, OHAL), la mobilisation (seferberlik) et la situation de guerre (savaş hali).

[8Eğitim-Sen : Syndicat de l’éducation.

[9International Trade Union Confederation , nom anglophone de La CSI - Confédération Internationale des syndicats

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