Logo de Turquie Européenne
Accueil > Articles > Articles 2012 > 03 - Troisième trimestre 2012 > L’époque des vendanges et de la récolte du miel a tourné au vinaigre à (...)

L’époque des vendanges et de la récolte du miel a tourné au vinaigre à Şemdinli

mercredi 15 août 2012, par Nilay Vardar, Trad. Aurélien Roulland

Alors que les combats font rage entre les forces gouvernementales et les militants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) dans la province d’Hakkari au sud-est Nilay Vardar la reporter de Bianet a voyagé au cœur de la zone de conflit pour relater des évènements que les médias grand public ont largement ignorés.

Je me trouve à Şemdinli au carrefour de trois pays.

JPEG - 40.1 ko
Şemdinli
Photo Bianet

Ce n’est pas facile d’arriver d’Istanbul dans le district de Şemdinli qui se trouve à peu près à une heure de voyage de l’Irak et de l’Iran. Şemdinli est là où les rangées de montagnes s’inondent d’un début de verdure, après un voyage de cinq longues heures de minibus à travers des routes sinueuses.

Les gens du cru, dans la ville qui se résume à deux avenues et 20,000 habitants, sont proches des kurdes d’Irak et d’Iran. La plupart des jeunes et des hommes sont bilingues et parlent aussi le turc, mais la majorité des femmes ne comprennent que le kurde.

Je suis arrivée à Şemdinli samedi au crépuscule, alors que les affrontements entraient dans leur 13e jour , J’ai appris que le district était relativement plus calme en comparaison aux jours précédents ; « les manœuvres » ou la visite planifiée de députés de l’opposition du Parti Républicain du Peuple (CHP) sont parmi les raisons invoquées.

JPEG - 20.9 ko
Un hélicoptère de combat à proximité de Şemdinli
Photo Bianet

Un panache de fumée venu du Mont Goman n’a jamais semblé s’estomper malgré que soient suspendus les tirs d’artillerie et les bombardements durant la journée. Les hélicoptères de combats tournent en continu autour des collines, pendant que les véhicules destinés aux opérations spéciales sont en patrouilles constantes plus bas.

Dès que je suis du logement des professeurs en traversant la montagne, des membres des unités spéciales sont descendues et m’ont demandé « Qui es-tu ? Pourquoi es-tu venue ? Combien de temps vas-tu rester ? » Ils se sont retirés, cependant, après avoir vérifié mes cartes de journaliste et d’identité.

Le centre du district n’est pas envahi par le foule comme habituellement en journée ; il devient presque désolé après « l’iftar », le repas du soir traditionnel qui marque la fin du repas quotidien durant le mois de Ramadan.
J’ai lu que, normalement, les rues sont pleines à craquer jusqu’à minuit pendant le Ramadan.

Le feu d’artillerie a commence à 23 heures samedi et a continué jusqu’au matin. Même ceux qui n’y sont pas habitués comme moi deviennent s’habituent à l’assourdissant feu d’artillerie suivi au bout d’un moment ,en fond, par des hymnes kurdes.

Les affrontements font rage sur une étendue de 600 kilomètres carrés, incluant le Mont Goman et le Mont Efkar au travers du centre du canton.
Plus de 500 villageois ont été forces d’évacuer leurs foyers dans les jours qui suivirent l’irruption du conflit.

Le PKK (Le Parti des Travailleurs du Kurdistan) a ouvert des « points de contrôle » sur plusieurs routes de villages, et même sur la route de Yüksekova. Les « points de contrôle », présentés comme la raison principale ayant déclenché le conflit, sont un moyen pour le PKK d’affirmer sa présence, selon ce que j’ai entendu.

« Attaque et sauve-toi » s’est transformé en « attaque et reste ».

JPEG - 48.1 ko
Un village à proximité de Şemdinli
Photo Bianet

Le député BDP (Le Parti de la Paix et de la Démocratie) Esad Canan qui nous a accompagné dans notre voiture lors de notre voyage de Yüksekova à Şemdinli nous a confié que le PKK avait repensé sa tactique de « attaque et sauve-toi » en « attaque et reste », ce qui lui a permis d’établir « des zones sous [son] contrôle » à Şemdinli.

Canan a aussi affirmé que l’absence de réponse des officiels à l’évocation du problème était due à la perte de contrôle de l’État sur la région.
« Nous [n’étions pas autorisés à] franchir les limites de nos districts avec le maire, et cela montre que l’état nous cache quelque chose », a-t-il dit suite à leur tentative avortée d’entrer dans un quartier du centre ville de Şemdinli.

Les affrontements qui en cours sont les plus longs qui n’aient jamais eu lieu, a-t-il ajouté. « Nous sommes revenus exactement au point des années 1990. L’ « OHAL » (état d’urgence) est de facto déclaré » a dit Canan.
Le députe Canan a aussi apporté un éclairage sur les raisons pour lesquelles le conflit s’était déclenché maintenant et pourquoi à Şemdinli en particulier.

« Şemdinli est là où le PKK a lancé le premier raid en 1984 en même temps qu’à Eruh ; cela porte une signification symbolique. Deuxièmement, c’est une réaction à la déclaration de l’État annonçant en avoir fini avec le PKK et la rhétorique du Premier Ministre Erdoğan menaçant d’une intervention contre la formation d’une entité kurde en Syrie » a dit Canan.
« Le PKK est en train de signifier à l’état de se préoccuper de Şemdinli plutôt que d’organiser des raids en Syrie », a aussi expliqué l’ex-député d’Hakkari Hamit Geylani, alors qu’il participait en notre compagnie à un repas « d’iftar » où nous dinions en compagnie de tous les autres reporters se trouvant sur le secteur.

Aucune explication, uniquement des allégations.

La question de savoir combien exactement de soldats et de membres du PKK ont perdu la vie lors des affrontements est toujours enveloppée de mystère. Les rapports [officiels] indiquent que 10 soldats sont morts jusqu’à maintenant, en incluant l’attaque du centre ville d’Hakkari. Mais on parle de sacs mortuaires enlevés des hôpitaux.

Ailleurs des témoignages abondent disant que les combattants qui sont tombés étaient des mercenaires et que les Forces Armées Turques ont tué par erreur 17 de ces soldats. Tout cela n’est que rumeur, cependant, les autorités ont bloqué tout accès à la région.

Le PKK a annoncé qu’il avait perdu 4 guérilleros. Les familles continuent à arriver à Şemdinli pour reprendre les dépouilles, mais les officiels leurs refusent l’accès à l’intérieur de la zone pour des raisons de sécurité.

On se réfugie dans les villages environnants, ou à Şemdinli

JPEG - 45.9 ko
Şemdinli - Femmes réfugiées pour échapper au combats
Photo Bianet

Malgré les déclarations du bureau du gouverneur du district affirmant que l’évacuation des villages n’a pas été ordonnée, les villageois ont déjà abandonné leurs animaux dans leurs champs, laissant leur portes ouvertes, pour se réfugier avec leurs proches dans les villages voisins, ou au centre ville de Şemdinli.

Certains villages sont toujours sur le front ; ils sont en panne de courant et arrivent à cours de provisions. Ceux qui ont tenté de quitter leur village sont dans l’incapacité de le faire parce que les forces de sécurité ne les y autorisent pas ; ou ils le font malgré tout en se mettant eux-mêmes de ce fait en grand danger.

Le Maire Sedat Töre dit que sas services ont fait installer un dispositif d’aide pour les familles déplacées qui leur fournit de la nourriture et des vêtements, mais ils sont aussi dans l’impossibilité de dire comment ils vont procéder dans l’avenir.

Le bureau du gouverneur du district est sur le point de délivrer un communiqué sur cette question.

Les villageois racontent leur histoire.

Ayşe Kaplan, 75 ans, du village de Aşağı Yiğitler, a dit que les bombes avaient commencé à pleuvoir sur eux d’un seul coup et qu’ils s’étaient immédiatement réfugiés dans leurs maisons.

La famille était restée enfermée entre ses murs durant deux jours tout en obstruant les fenêtres avec tous leurs tapis et leurs oreillers. Ils se sont uniquement aventurés au dehors pour faire leurs besoins et pour nourrir les animaux et revnaient s’enfermer à double tour. Voyant l’absence de sécurité, cependant, ils ont tout laissé pour se réfugier dans le centre ville, en laissant leurs animaux derrière.

Zübeyde Turan du village Yukarı Yiğitler était de ceux qui se sont enfuis en courant du village avec leur famille aussitôt que les bombes ont commencé à tomber ; tellement qu’ils n’ont même pas pris de changes (de vêtements) avec eux.

« Tu aurais dû voir nos vignes et nos jardins ; ils étaient tellement beaux » soupire Ahmet Kaplan, venant se joindre à la conversation.

Des milliers de truites mortes

Nevzat Çiftçi du village de Bağlar est le seul à tenir un vivier à truites dans la région. Il est venu en centre ville pour chercher de la nourriture pour ses poissons, mais la gendarmerie ne l’a pas autorisé à revenir dans son village.
Une fois de retour dans son village, il s’est aperçu que des milliers de ses poissons étaient morts. Les dommages qu’il a subit s’élèvent à un total de près de 100 000 lires turques (environ 45 000 €). Il est revenu en ville mais ne peut retourner [au village].

Les principales ressources des habitants de le région de Şemdinli sont l’apiculture, le raisin, le tabac, les noix, et un peu d’élevage d’animaux. Tout le monde à loué (les qualités du) miel de Karakovan et affirmé qu’il était comparable au le miel d’Anzer ; je l’ignorais jusqu’à présent,.
Ils ont aussi loué (les haut plateaux de) Zozan et les montagnes de Cilo se caractérisant par des monts enneigés et des lacs.

La nature sur la corde raide

JPEG - 26 ko
Grappes de raisin à Şemdinli
Photo Bianet

C’est maintenant la haute saison pour les vendanges et la collecte du miel, mais ni les abeilles qui se sont envolées au loin ni les vignes et les forêts embrasées par le conflit n’ont à présent de fruits à donner.

Comme le conflit cause de gros dommages à l’environnement, dévastant des terres fertiles et à infligeant des dégâts aux moyens de subsistance locaux, l’Association pour la Nature de Culi située à Hakkari est aussi arrivé à Şemdinli afin d’évaluer la situation.

Les affirmations à propos de l’usage d’ « armes chimiques » et de « bombes au phosphore » ont sérieusement troublé tout le monde, selon Mesut Kıratlı, le président de l’association.

Si ces affirmations sont fondées, alors personne n’osera consommer les grappes de raisin restantes, dit-il, ajoutant que cela présenterait aussi des « dangers » à plus long terme de continuer de planter des récoltes dans le sol.

Plusieurs institutions internationales ont rendu visite à Hakkari afin d’explorer la flore et les innombrables espèces d’animaux de Şemdinli non répertoriés, mais les officiels leur ont refusé l’accès du fait que c’est une zone interdite, selon Kıratlı.

Le paysage naturel de Şemdinli est ainsi encore resté dans l’incognito à cause de cette raison, s’est-il plaint.

De l’autre côté de la montagne

J’ai tendu mon oreille aux jeunes dont les camarades du même âge, les parents et amis parcourent maintenant la montagne.

Toutes les écoles sont localisées dans une zone à côté de la gendarmerie, incluant le lycée. Un obus de mortier est même tombé l’année dernière à l’intérieur de la cour de l’école, ont-ils dit.

Ils se sont aussi plaint des classes surchargées et du fait que leurs professeurs changent jusqu’à 4 fois par an, parce que ces professeurs ont des difficultés à supporter les conditions de vie de Şemdinli, qui ne possède toujours pas une seule salle de cinéma.

Leur plus grande source d’amertume, cependant, reste la discrimination à laquelle ils doivent faire face. Un groupe d’étudiants de l’école se sont rendus à Istanbul pour voir un match encadrés par la police, mais les deux rangs où ils se sont assis étaient entièrement débarrassés de tous les autres spectateurs.

« Pourquoi ont-ils si peur de nous ? Ne pouvons-nous pas regarder un match ensemble ? » ont-ils demandé.

Ils veulent devenir ingénieurs, docteurs et professeurs, si les circonstances leur permettent, mais c’est leur conversations dérivent immanquablement vers « au-delà de la montagne »

*****

[ndlr de Turquie Européenne] : Cet excellent reportage est le premier d’une suite de trois consacrés aux affrontements qui ont lieu dans le Sud-Est de la Turquie. On peut saluer le travail rare de Nilay Vardar, jeune femme reporter pour Bianet, car il est exceptionnel que des journalistes se rendent sur place, soit qu’on les en dissuade, soit qu’ils on tout simplement peur ou pire, qu’il ne préfèrent pas savoir ce qu’il se passe réellement dans cette région. Le plupart des journaux « grand public » se contentent de reproduire les communiqués de l’armée. Cette attitude peu professionnelle n’est pas pour rien dans les préjugés à la limite du racisme dont souffrent les populations de la région de le part d’une grande partie des turcs.

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Time of Honey and Vine Harvest Gone Sour in Şemdinli
Şemdinli - BIA News Center marcredi 08 Août 2012
Traduction de l’anglais Aurélien Roulland

Nouveautés sur le Web

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0