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Violences envers les femmes : les limites d’une législation

lundi 15 janvier 2007, par Tibère Geoffrey-Vaillant, Umay Aktaş

© Turquie Européenne pour la traduction
© Piyale Madra pour le dessin

La loi relative à la protection de la famille exige des mesures de protection pour les victimes de violences, et prévoit jusqu’à 6 mis de prison à ceux qui enfreignent cette décision. « Cela fait 8 ans que nous nous battons pour que la loi soit appliquée », disent les juristes. Les responsables de l’application de la loi doivent recevoir une formation adéquate.

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Piyale Madra

Ummu K. 33 ans, égorgée par son mari ; son tort était de prendre trop souvent un bain. Esra, 18 ans, tuée par son frère pour avoir parlé au téléphone avec un ami. Leyla Karaca, étranglée sous les yeux de ses fils avec une serviette par son mari pour avoir tardé à préparer le petit déjeuner. F.T., à Diyarbakir, abattue de plusieurs coups de feu par le frère de son compagnon, avec lequel elle vivait sans être mariée.
Ces crimes ne sont que quelques uns des 18 meurtres relatés par les journaux depuis le mois d’août, parmi de nombreux autres actes de violence. Et leurs points communs est que leurs auteurs sont les maris, fiancés, pères et frères des victimes. La cause de l’augmentation de ces assassinats se trouve dans les textes de loi, parfaits sur le papier, mais non appliqués en pratique. L’article 4320 de la loi de protection de la famille votée en 1998 n’est pas appliqué comme il le devrait. Les avocats en sont encore à communiquer au juge par écrit cet article de loi qui devrait en fait être connu de tous.

Des lois à montrer en exemple à l’Europe

D’après l’étude portant sur 48 000 personnes faite par le Ministère d’état responsable de la condition féminine et de la famille, les violences faites aux femmes s’élèveraient à 7 %. Mais la simple prise en compte des meurtres rapportés par les journaux prouve que cette proportion est très éloignée de la réalité. D’après les juristes, cet accroissement quotidien des meurtres est le symptôme que la loi n’est pas appliquée de manière efficace.
L’avocate Hülya Gülbahar, de la plate-forme femmes du TCK, explique que dans le code pénal turc (TCK-Türk Ceza Kanunu) se trouvent des lois relatives à la violence faite aux femmes qui pourraient être prises pour modèle en Europe, mais qui ne sont pas appliquées d’une manière efficace :
« La loi 4320 relative à la protection de la famille date de 1998. Selon cette loi, des mesures de protection doivent être prises pour toute personne victime de violences économiques, psychologiques, sexuelles ou de toute autre nature. La personne concernée par cette décision risque de 3 à 6 mois d’emprisonnement si elle ne s’y conforme pas. Cela fait 8 années que nous nous battons pour que ce texte soit appliqué. Lors des procès, nous présentions ce texte de loi aux juges en complément. Le mois dernier, le tribunal des affaires familiales de Gaziantep a pris une mesure d’éloignement du domicile à l’encontre d’un mari auteur de violences psychologiques. Ce fut pour la presse une décision exemplaire. »

Une plainte n’est pas nécessaire

« Il y a quelques jours, Müjgan Cetindel d’Izmir fut battue en pleine rue par son mari pour avoir acheté à crédit des couches pour bébé. Si les personnes qui ont recueilli sa déposition avaient été plus consciencieuses, elles auraient dû noter que cet acte de violence n’était pas isolé, mais relevait d’une oppression caractérisée. Une mesure de protection de cette femme aurait dû être prise, une procédure publique aurait dû être ouverte à l’encontre du mari qui aurait du être jugé. Sous prétexte que la femme n’a pas porté plainte, rien n’a été fait. Or, selon la loi, il n’est nul besoin que la victime porte plainte. La loi reconnaît comme suffisante la déposition de ceux qui ont été témoins des faits. Ceux qui prétextent « la femme ne porte pas plainte, que peut on faire ? » commettent eux-mêmes un délit. Tant que les violences familiales ne seront pas perçues comme intolérables, la loi, quelle qu’elle puisse être, ne sera pas appliquée. Quand la police autrichienne est témoin d’un acte de violence, elle prend sur le champ une mesure d’éloignement à l’encontre de son auteur. Chez nous, il faut 3 jours pour prendre une mesure de protection. »

L’avocate Gülbahar précise que pour que la loi soit dissuasive, trois principes essentiels doivent être respectés : « Les peines doivent être appliquées à la lettre. Des réductions de peine de 1 à 5 ans sont décidées sous des critères subjectifs comme celui de bonne conduite. Les réductions de peine constituent le plus grand problème. Nous vivons dans un pays qui applique une réduction de peine à un homme coupable de viol à l’encontre d’une fillette de 12 ans qui a volé des prunes dans un jardin. Il faut accroître le nombre de points d’information sur les centres d’accueil pour femmes."

“La circulaire sur la violence n’est que poudre aux yeux”

L’avocate Canan Arin insiste sur l’absence de volonté politique pour mettre fin aux violences, et cite le Danemark en exemple : « pour une population de 5 millions d’habitants, le Danemark possède 45 centres d’accueil pour femmes. Le gouvernement à prévu pour cette année une somme de 40 à 45 millions de couronnes pour lutter contre la violence faite aux femmes. Cela n’a pas suffi et il a rajouté 8 millions. Aucun des gouvernements de la République de Turquie n’a dépensé un seul centime. Une des raisons de l’accroissement constaté des crimes contre les femmes est cette attitude passive du gouvernement. Ils accordent trop de place aux comportements machistes, au sentiment de supériorité de l’homme sur la femme. La circulaire du premier ministre concernant la violence faite aux femmes est de la poudre aux yeux destinée à l’extérieur. S’ils sont aussi sincères qu’ils le prétendent, ils doivent augmenter le nombre de centres d’accueils pour femmes. Qu’ils se mettent au travail en responsables d’état, et fassent des statistiques. »

Le juge : “pauvre homme, où va-t-il bien pouvoir aller ?”

Certains juges, face à l’exigence de l’article 4320 répondent : « le pauvre homme, ou va-t-il bien pouvoir aller ? »
D’autres exigent des preuves qui ne figurent pas dans la loi. Les personnes chargées du respect de la loi devraient recevoir une formation interne de sexualité sociale. L’article 4320 parle de « personnes vivant sous le même toit ». Assurément, il n’est nul besoin d’être marié pour cela. L’article de loi suivant, comportant l’appellation « conjoint », certains juges recherchent un acte de mariage officiel. Nous nous heurtons là à l’intitulé de la loi. Celui-ci ne doit pas être dévolu à la protection de la famille. L’intitulé de la loi doit être changé en conformité avec la terminologie du droit international, et ce sont les appellations « victimes de violences » et « auteur de violences » qui doivent être employées.

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