« En cas de refus européen de poursuivre des négociations d’adhésion, la Turquie saura trouver un autre cours ». Un plan B à l’UE, en définitive. Voilà une peu le refrain qu’entonnent d’amers dirigeants turcs, parfois allègrement enfarinés par leurs homologues européens.
De telles paroles sont aptes à faire pousser de gros soupirs de soulagements à bon nombre de responsables dont la sensibilité s’exacerbe sur cette muqueuse que l’on nomme opinion publique : ça y est, ils s’en vont, décampent et lèvent le siège d’une psychologie européenne encore frappée du sceau viennois.
Certes le sujet turc n’est plus trop à la mode ces derniers temps : la faute à une Turquie en proie à ses propres démons ; ou « grâce » à l’imagination débordante de tous ceux qui sont si prompts à mettre des bâtons dans les roues d’Ankara…Mais passons.
Le plan B, ce fameux partenariat privilégié dont on nous rebat poliment et généreusement les oreilles en guise d’esquive ?
On se contente de bien peu en Europe aujourd’hui : de plan B croqué en deux mots comme de partenariats privilégiés brossés en trois lendemains de déroute électorale (souvenons-nous du revirement de l’UMP, d’Alain Juppé hier, au lendemain des dernières régionales, de Michel Barnier aujourd’hui qui a dû, sur le sujet changer au moins 4 fois de position : la dernière étant la bonne, puisque sarkozyste…)
Un plan B ? Evidemment. Olmaz olur mu ? Peut-on faire sans ? Mais motus sur le fond.
Un peu comme cette mode du partenariat accommodé à toutes les sauces verbales, cache-sexe du refus brutal d’une candidature turque pourtant acceptée il y a 8 ans.
Après tant de cohérence, la simple évocation d’un plan B pour la Turquie peut passer pour initiative sensée.
Sans pour autant résister à plus ample examen.
En matière de plan B, Ankara s’y connaît : en 1964, les Turcs reçoivent un télégramme du Président Johnson qui menace de ne pas faire jouer la clause de solidarité de l’OTAN en cas d’attaque soviétique répondant à un débarquement turc à Chypre.
« Un monde nouveau est en train d’émerger. La Turquie y prendra la place qui lui revient », lance-t-on alors à Ankara.
Le monde nouveau attendra quelques trois décennies avant de daigner émerger : et la Turquie tiendra toujours sa place auprès de l’Oncle Sam. Plan B ou plan T ?
Une panoplie complète
Aujourd’hui, rebelote. Petite histoire de communication pour marchés financiers, taux d’intérêt et Européens crédules : du style, aucun souci, les critères de Copenhague deviendront les critères d’Ankara.
A suivre, quelques options.
Plan B 1 : une alliance Russie-Turquie-Iran
Avancée il y a deux ans par un Général en vue, cette idée repose sur la vieille chimère panturquiste. Celle d’une éventuelle fusion avec l’Azerbaïdjan, faisant de la Turquie la puissance pétrolière lui redonnant une dimension impériale.
Objectif : le contrôle du cœur de l’Eurasie, véritable plate-forme énergétique mondiale, le contrôle des marches chinoises en Asie centrale.
Mais entre trois acteurs très différents, aux relations éventuellement conflictuelles (tant que nous y sommes souvenons-nous du Touran et de l’Iran), le rapprochement ne peut être que stratégique. Et placé sous le contrôle nécessaire et l’arbitrage très vigilant des EU, déjà présents en Asie centrale.
L’émergence d’un monde nouveau ? Plutôt la perpétuation de l’ancien : sous dominance américaine, et inexistence européenne (en Eurasie).
Plan B 2 : une communauté islamique
Le vieux rêve islamiste de reconstitution de l’Empire ottoman. Autre chimère impériale.
Irréalisable sans un puissant tutorat américain censé prévenir d’éventuels désordres stratégiques (notamment avec l’Iran). D’où la perpétuation de la contradiction entre l’ouverture aux pays arabes et le maintien de l’alliance avec Israël, position incontournable pour les Etats-Unis dans la région.
L’émergence d’un monde nouveau ? Non plus. Le silence européen. L’unilatéralisme américain.
Plan B 3 : un partenariat avec l’UE. Privilégié, renforcé, spécifique, etc.… On y est. Accrochez-vous.
L’émergence d’un monde nouveau ? Pas plus : cela s’appelle déjà l’accord d’association européano-turc (1963) ou l’OTAN en termes stratégiques. C’est-à-dire une alliance sous coupe américaine.
Donc plan B ni pour la Turquie, ni pour l’UE.
Plan B4 à B40 : ce sont les options retenues par l’humoriste turc, Cem Yilmaz. La plus originale étant celle d’une alliance avec les Martiens. Mais sur le long terme, cela va sans dire.
Mettons-nous donc bien d’accord : la panoplie des plan B à l’UE pour la Turquie, mais surtout celle des plans B à la Turquie pour l’UE ne s’étend guère au-delà des chimères, vieilles lunes et autres OVNI.
Et cela, Ankara comme Bruxelles en ont parfaitement conscience.
Et Nicolas Sarkozy ? C’est pour bientôt.