Le gouvernement turc mène toute une série de contacts diplomatiques secrets sur la question chypriote. L’objectif restant d’ouvrir ports et aéroports aux navires et avions chypriotes contre une levée de l’isolation des chypriotes turcs. Murat Yetkin, correspondant du quotidien Radikal à Ankara, répercute ici pour ses lecteurs les bruits de couloir entendus dans les milieux diplomatiques : si les lignes bougent, elles le font loin des opinions publiques…
Le Premier ministre Tayyip Erdoğan et son ministre des affaires étrangères Abdullah Gül ont eu beau parler de chantage à propos de l’attitude européenne sur Chypre, on apprenait dans le même temps que depuis une semaine la question chypriote faisait l’objet d’un intense trafic diplomatique encore accéléré ces derniers jours.
Ce sont tous ces développements tenus secrets du grand public qui ont été évalués et discutés hier entre les deux têtes du gouvernement et Ali Babacan, le négociateur en chef pour la Turquie au sortir de la réunion du groupe parlementaire AKP à Ankara.
Selon les sources diplomatiques s’adressant à Radikal, le but des manœuvres actuelles serait en fait de briser l’isolation de Chypre du Nord contre une ouverture partielle ou totale des ports et aéroports turcs aux appareils chypriotes. Après l’entrevue du Président de la République turque de Chypre du Nord, Mehmet Ali Talat avec Kofi Annan à Genève, il semblerait qu’un groupe de pays membres de l’UE soit parvenu à la conviction selon laquelle on ne peut trouver de solution à la question chypriote dans le strict cadre européen et que les efforts diplomatiques se focaliseraient alors sur les moyens de relancer des négociations sous égide de l’ONU.
Parmi les informations, on note également le fait que cette accélération du trafic diplomatique a fait suite au conseil des ministres des affaires étrangères du 13 novembre. Nos sources précisent alors qu’un groupe de pays européens persuadés qu’on chargeait trop la Turquie sur cette question chypriote, aurait réagi à la perspective de laisser Chypre prendre en otage les relations turco-européennes. Ces pays se seraient décidés à agir lorsqu’ont été évoquées les possibilités de délivrer un ultimatum à la Turquie comme de geler jusqu’à 20 chapitres du processus de négociations.
On mesure aussi que la réaction inattendue de la diplomatie turque à cette annonce du nombre de chapitres gelables n’a pas peu contribué à faire bouger les lignes. « Nous avons dit à nos interlocuteurs que le gel de 3 ou de 35 chapitres ne changeait rien pour nous », a confié un diplomate turc, administrant la preuve de l’agacement d’Ankara.
La surprise française
Par voie de conséquence, et à rebours des discours prononcés, Ankara semble plus focalisée sur ce que Matti Vanhanen, le chef du gouvernement finlandais en charge de la présidence de l’UE jusqu’à la fin de l’année, a dit concernant le fait que la question turque ne serait pas abordée lors du Conseil Européen des 14 et 15 décembre prochains plus que sur sa phrase concernant « une date historique pour Chypre. »
Le fait que la Turquie ne soit pas au sommet du 14 et 15 décembre, signifie pour la Turquie que l’UE n’envisage pas de prendre une décision destinée à stopper officiellement les négociations. Il n’en demeure pas moins que le fait qu’elles soient, de facto, gelées depuis le 12 juin dernier, n’est pas sans embarrasser Ankara.
Le fait que la négociation d’une partie des chapitres, même simplement de facto, soit suspendue, signifie que le problème chypriote ne cessera pas d’être ramené devant la Turquie. C’est la raison pour laquelle, la diplomatie turque adopte une attitude consistant à chercher une solution à la partie de la question chypriote concernant l’UE, soit l’Union douanière, dans le cadre de l’UE pour en laisser tout le reste à des négociations placées sous égide de l’ONU. Le soutien apporté par Ankara à cette diplomatie secrète ne repose pas sur une autre stratégie.
Quant aux parties menant la danse diplomatique dans le cadre de l’UE, elles sont connues. Parmi ceux qui cherchent à acculer la Turquie se trouvent Nicosie bien sûr et Athènes, en tout premier lieu. A Ankara, on estime que sous le ministère de Mme Dora Bakoyannis, la Grèce a glissé vers une attitude moins constructive en direction de la Turquie pour des raisons de politique intérieure. Parmi d’autres pays qui brandissent le prétexte chypriote pour des préoccupations strictement intérieures, on retrouve l’Autriche, la Hollande et le Danemark. Quant à l’Allemagne qui prendra en charge la présidence européenne en janvier prochain, on peut dire qu’elle est un peu assise « entre deux chaises. »
Et la France. Et bien la France, par un mouvement dont sa diplomatie a le secret, il semblerait, aux dires de sources turques, qu’elle se soit rapprochée des positions d’Ankara.
De l’autre côté, on retrouve encore, l’Angleterre, l’Espagne, la Suède et l’Italie. On estime aussi que les efforts de ces pays auprès de ceux des membres qui ne manifestent pas un grand intérêt à la question chypriote peuvent s’avérer être d’une certaine influence.
On annonce en coulisses que la rencontre entre M. Gül et son homologue finlandais, M. Tuomioja à Riga le week-end prochain dans le cadre du sommet de l’OTAN pourrait être d’une importance capitale.