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Turquie, une diplomatie à plusieurs visages

mercredi 2 juin 2010, par Chakri Belaid

Ankara veut devenir une puissance qui compte au Moyen-Orient. Une ambition qui ne date pas d’aujourd’hui. Pour ce faire, elle ne ménage pas ses efforts afin de stimuler ses relations diplomatiques, en particulier avec ses voisins musulmans, y compris les ennemis historiques d’Israël, son allié traditionnel dans la région...

Si l’on n’est pas présent partout, cela revient à n’être présent nulle part.

Telle semble être désormais la devise des dirigeants d’Ankara. La diplomatie turque, en effet, s’active partout depuis quelques années. Qu’il s’agisse de la visite en septembre 2008 du président Abdullah Gül en Arménie, pays avec lequel la Turquie n’a pas de relations diplomatiques directes depuis son indépendance en 1991. Qu’il s’agisse du rôle de médiateur que joue la Turquie entre la Syrie et Israël. Qu’il s’agisse de sa participation comme force de paix à la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban) depuis octobre 2006. Ou encore de la visite à Ankara du leader du Hamas deux semaines après la victoire du mouvement islamiste aux élections générales, à un moment où il est mis au banc de la communauté internationale... Une même volonté s’exprime : cultiver une neutralité, tout au moins apparente, afin de devenir un interlocuteur incontournable pour la paix dans la région du Moyen-Orient. Puissance économique et militaire, située au confluent de différents ensembles, la Turquie dispose de sérieux atouts pour prétendre à un tel statut. Depuis leur prise de fonctions au gouvernement, les dirigeants de l’AKP ont poursuivi une politique étrangère a priori fondée sur la doctrine de la « profondeur stratégique » théorisée par l’universitaire Ahmet Davutoglu, et qui consiste à développer autant d’alliances avec les nations musulmanes qu’avec le monde occidental, tournant ainsi le dos à une politique dirigée exclusivement vers l’Occident.

Des réconciliations assumées

Allié de la Turquie, avec lequel il a signé un accord de coopération militaire en 1996 (voir encadré), l’État hébreu et avec lui les USA ont pu cependant diversement apprécier ces nouvelles orientations diplomatiques, notamment en direction de l’Iran et de certains voisins arabes. L’accueil chaleureux fait à Bachar el-Assad en janvier 2004, premier chef d’État syrien à se rendre en Turquie, à un moment où la Syrie était ostracise par la communauté internationale, revêt même des allures de bravade à l’égard des dirigeants américains. Cependant, aucune orientation n’aura suscité autant de controverses que le renouveau du dialogue avec l’Iran. Bien que Téhéran et les six puissances engagées dans des pourparlers aient sollicité l’été dernier l’aide d’Ankara comme « auxiliaire » dans les négociations sur le dossier du programme nucléaire iranien, la Turquie continue d’être critiquée pour son rapprochement avec la république islamique. La visite de Mahmoud Ahmadinejad à Istanbul en août 2008 n’a-t-elle pas suscité le malaise des pays européens et des États-Unis, eux qui ont toujours évité les contacts directs avec celui qui a appelé à la destruction d’Israël ? « On ne peut pas ignorer l’Iran et la Syrie, acteurs essentiels pour la paix globale dans la région au vu de leurs relations avec le Hezbollah et le Hamas, si on veut être médiateur », objecte Soli Özel, professeur de relations internationales à l’université Bilgi d’Istanbul.Au-delà du nucléaire, Ankara et Téhéran, bien que puissances concurrentes, ont par ailleurs beaucoup à gagner d’une coopération plus profonde. La signature en 2004 d’un accord de coopération dans le domaine sécuritaire, incluant la lutte commune contre les rebelles kurdes, confirme la volonté de paix et de stabilité entre les deux États. Enfin, l’Iran est le second plus grand fournisseur de gaz. Il a signé avec la Turquie un protocole d’accord en juillet 2007, permettant à la Corporation turque du pétrole (TPAO) de pomper 20 milliards de mètres cubes de gaz naturel du champ gazier de Pars du Sud.

Une entente préservée

Quels peuvent être les effets de ces revirements de la politique étrangère turque au Moyen-Orient sur la collaboration très étroite entre Ankara et Jérusalem ? Depuis l’invasion de l’Irak en 2003, à laquelle Ankara était très opposée, les relations entre la Turquie et les États-Unis et Israël, ses alliés traditionnels, ont été émaillées de crises majeures : le refus du Parlement turc d’accorder le stationnement et le passage des troupes américaines sur son territoire ; la question kurde du Nord de l’Irak où Israéliens et Américains ont été soupçonnés d’aider la guérilla pour favoriser la creation d’un État kurde ; les assassinats ciblés en Cisjordanie et à Gaza de 2006. Y a-t-il un lien entre ces crises et le redéploiement volontaire en direction de ses voisins musulmans de la diplomatie turque ? Ce n’est pas improbable. Toutefois, il semble qu’elles aient été surmontées car elles n’ont pas remis en question les relations étroites de la Turquie avec ses alliés. Sa médiation pour une normalisation des relations entre la Syrie et Israël illustre le crédit dont peut se prévaloir Ankara auprès de Tel-Aviv. Par ailleurs, l’acceptation par Ankara, au même moment, du survol de son territoire le 6 septembre 2007 par l’aviation israélienne afin qu’elle détruise en Syrie un réacteur nucléaire destiné à produire du plutonium1 est sans équivoque : la Turquie ne souhaite pas voir émerger une puissance nucléaire et entend préserver le rapport de force existant dans la région où les deux alliés ont la suprématie militaire. Cependant, que pense l’armée turque, dont l’influence sur la politique étrangère et l’attachement à l’alliance avec Israël sont notoires, de ce renouveau diplomatique ? De quelle façon pèse l’état des négociations d’adhésion à l’Union européenne sur ces options nouvelles ? Jusqu’où peut aller le rapprochement de la Turquie avec son environnement musulman ? Quelle est la réalité de la réaction israélienne ?

1 Voir l’article de Pierre Razoux intitulé « Israël
frappe la Syrie : un raid mystérieux ».

LES DIFFÉRENTS ÉCHANGES ENTRE LA TURQUIE ET ISRAËL

Ce qui rapproche d’abord la Turquie et Israël, c’est l’accroissement des échanges commerciaux tout au long des années 1990, qui débouche sur la signature en 1996 d’un accord de libre-échange. Dés lors, le volume des échanges civils (touristiques, académiques, professionnels, sportifs et culturels) s’accroît également. Mais l’indicateur le plus spectaculaire de l’émergence d’une relation spéciale entre les deux États se trouve dans la signature, le 23 février 1996, puis en août de la même année, d’une série de traités militaires. Ces nouveaux accords conduisent à une coopération dans le domaine de l’industrie de la défense et confèrent aux relations israélo-turques une dimension stratégique, sans que pour autant se forme une alliance militaire au sens classique du terme. Aucune clause d’assistance mutuelle n’a en effet jamais été signée entre les deux pays. Ces accords comprennent notamment des échanges d’informations dans le domaine du renseignement, l’exportation d’armements israéliens vers la Turquie, des échanges de haute technologie militaire. Les pilotes de chasse israéliens peuvent utiliser pour leur entraînement l’immense espace aérien turc.

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