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Turquie - UE : hypo et hypercrises

mardi 5 juin 2007, par Marillac

Un vent nouveau semble se lever sur l’Europe. Si, si ! Accordons au moins aux ailes de ces nouveaux moulins la verdeur de leurs premiers tournoiements.
Ce temps maudit de l’hypocrisie et des blocages de toutes sortes aurait vécu !

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Arrêtée dans son élan en 2005, c’est bien l’UE bouc émissairisée et populistisée qui devrait le plus profiter de ces promesses.
Mais, inchallah, cette Turquie dont on a souvent fait le « günah keçisi » (chèvre pécheresse ?!!!) de toutes nos impuissances continentales, devrait également ne pas peu s’en féliciter.

Pour aborder ces multiples hypocrisies, envisageons tout d’abord la litanie des hypocrises en latence entre l’UE et la Turquie.

a- Dire aux Cappadociens que leur territoire relevant de la seule « Asie Mineure », un processus d’adhésion à l’UE ne peut avoir d’aboutissement tectonique (à moins que, hypothèse peu réaliste, un séisme ne vienne vider le Bosphore de ses eaux…) : il faut dire la vérité aux gens.

L’affirmation est simple ; et on ne fait de politique qu’avec des choses simples. Encore faut-il avoir le courage de les asséner. Et d’en assumer les conséquences :

b- Expliquer aux Cappadociens les raisons de l’adhésion à l’UE de cette île de Chypre située à la verticale de leur région d’origine…En cherchant là aussi à dénouer toutes les hypocrises. Or elles sont foule.
Les terres chypriotes seraient-elles marquées, comme le prétendent les apôtres de l’Enosis et de l’homogénéité nationalo-culturelle pan-helleniste, du sceau de l’Orthodoxie ?
Non, vous savez bien que ce n’est pas une question de religion. Juste de géographie : la Turquie c’est l’Asie Mineure. Oui mais Chypre ? Ce n’est pas l’Asie Mineure. C’est donc la religion.
Allez trêve de plaisanteries et d’impolies arguties !!! Il faut dire la vérité aux gens. Et aux Turcs aussi : vous êtes musulmans et vous ne pouvez pas adhérer à l’Europe (attention au distinguo : nous utiliserons le terme Europe pour désigner la réalité- unité culturelle –historique et religieuse continentale et le sigle UE pour désigner la construction politique ayant pour devise l’unité dans la diversité). Voilà, c’est dit. Cela soulage.

c- Parler un langage de vérité s’impose encore à Chypre. Et là encore de deux choses l’une :
- Soit on choisit la position grand européenne et culturaliste au titre de laquelle on se place sur la ligne Enosis des dinosaures de l’EOKA et on poursuit la politique de pourrissement actuelle. A la différence près que l’on ose affirmer ces valeurs et refuser tout haut les principes de réunification de l’île tels que formulés dans un Plan Annan (2004) d’ores et déjà accepté par les Turcs. La position est, certes inquiétante, mais cependant cohérente : l’homogénéité culturelle est respectée, Chypre divisée et la Turquie écartée. Le processus d’adhésion de la Turquie n’est plus instrumentalisé dans le sens des objectifs de l’Enosis : c’est un bien. Sauf qu’il n’est plus dès lors d’adhésion à l’UE mais de simples retrouvailles en terre d’Europe…

- Soit on choisit tout aussi franchement la position qui correspond le plus à celle du projet européen de dépassement des frontières, dans laquelle on inscrit résolument l’objectif d’une solution équilibrée et porteuse d’avenir sur l’île. Mais cela nécessite de reconnaître les efforts de la Turquie dans la voie d’une solution. Comme de cesser de brandir l’impératif catégorique (il faudra s’y résoudre un jour, c’est l’évidence même) de la reconnaissance d’une administration chypriote exclusivement grecque.

Mais attention, jouer la carte de la franchise sur ce dossier c’est débloquer le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.
Si l’on cherche à jouer la vérité sur la question de cette adhésion également, en cherchant à « réorienter » (Lamassoure) le processus d’adhésion vers autre chose (?), il conviendra de donner auparavant à Ankara des gages nécessaires sur Chypre.
A moins de ne viser que la partition sur l’île, de n’envisager que la première solution et de réorienter ex-ante l’ensemble du processus.

d- On ne voit d’ailleurs pas comment la « réorientation » ou ce que l’on appelle le partenariat privilégié pourrait se passer de garanties et d’actes forts (concernant l’ensemble des contentieux turco-européens) sous peine de n’avoir d’autre sens que celui de cache-sexe de relations nécessaires mais pourtant hostiles : une stratégie parfaite de perdant-perdant.
On ne voit d’ailleurs pas, et l’exemple chypriote est éclairant, comment un partenariat privilégié pourrait se fonder sur une vision culturaliste grand européenne, une logique d’exclusion, sauf à n’être qu’une énième hypocrisie : ce qui fait nécessairement de ce partenariat privilégié un cadre ouvert et en cela pas si lointain du classique processus d’adhésion. Etrange, non ?

Passons donc maintenant de ces hypocrises à l’hypercrise dans les convulsions de laquelle se débat aujourd’hui la Turquie.
La réaction en chaîne vient de loin pour aboutir en ce printemps 2007 à cet apex de cristallisation des positions antagonistes en Turquie.

Semdinli automne 2005 : deux sous-officiers plus ou moins liés aux organismes interlopes de la contre-guérilla sont pris en flagrant délit de dynamitage d’une librairie ► Attentat contre le Conseil d’Etat : un juge est tué ; première manifestation anti-islamiste ; le chef d’état-major souhaite voir encore plus de monde dans la rue : ce que l’on appelle l’état profond (Semdinli) joue la diversion ; il sent que sa pelote est à portée du gros chat de la société civile, de la presse et de leurs toutes nouvelles libertés ► Nomination du général Büyükanit à la tête des armées turques ; été 2006 dans une atmosphère de tension islam – laïcité ► Juillet 2006 : condamnation de Hrant Dink à une peine de prison avec sursis pour insulte à l’identité turque selon une procédure éclair alors que le dossier du futur commanditaire de son assassinat est mis en « attente » sur quelque étagère de la Justice turque ► Janvier 2007 : assassinat de Hrant Dink par une nébuleuse dont la Justice se refuse à démêler la pelote ► avril 2007 : candidature de Abdullah Gül à la Présidence de la République ; première manifestation pro-laïque à Ankara ► 27 avril : mémorandum de l’état-major des armées turques ; on parle de e-coup d’Et@t ► annulation du premier tour de l’élection présidentielle par la cour constitutionnelle pour une sombre affaire de quorum ► marée humaine pro-laïque à Istanbul ► élections anticipées annoncées pour le 22 juillet 2007 ► Mai 2007 : attentat à Ankara ; il ne manquait plus que la question kurde… A suivre.

Résultat : on ne parle plus de Semdinli (en 1996, après l’accident de Susurluk où l’Etat profond s’était encastré à l’arrière d’un camion, on avait vite calmé l’émotion populaire par la mise en scène d’un coup d’Etat post-moderne contre le gouvernement islamiste de l’époque dès février 97, en lançant une politique de désislamisation à grande échelle… Diversion, diversion quand tu nous tiens) ; avec l’attentat contre le Conseil d’Etat, on relance la phobie néo-kémaliste du voile et de l’intégrisme ; avec Hrant Dink, on ressuscite celle des ennemis de l’intérieur. Le décor est peu à peu posé pour une opérette en forme de coup d’Etat : la justice peut se fendre de décisions absurdes et l’état-major publier des énormités en page d’accueil de son site Internet. Plus c’est gros mieux ça passe.

Bref, la situation est bloquée. Bien bloquée. Les acteurs et leurs personnages ont disparu derrière les trop larges costumes de leurs identités nationales et culturelles. Ils n’en attendent plus qu’une bénédiction – confirmation internationale pour savourer le triomphe de la folie mise en scène sur le travail patient et raisonné de la démocratie. Vous savez, le fameux 69 qui lie si bien les conservateurs européens aux conservateurs turcs dans le cadre archaïque et romantique des visions orientalistes : la division du monde en irréductibles différences de culture (on disait race autrefois), schéma qui rend laïcité et islam incompatibles et par là, la société civile turque éternellement impuissante, débile et stérile…
Comment débloquer cette si fâcheuse position ? Cette si fâcheuse coalition des hypo et de l’hypercrise ?

Si ces questions sont les bonnes et s’il convient bien de mettre sur la table l’ensemble des double langages, là encore, peut-être faut-il dire la vérité aux gens. A tous. Et si l’on veut faire couler ce Nouveau Souffle européen jusqu’en Turquie, il va falloir s’armer d’un bon et solide bourdon.

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