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Turquie : Mehmet Ali Şahin sur la tombe de Nazım Hikmet, à Moscou.

samedi 28 novembre 2009, par Jean Marcou

Alors qu’il séjournait, le 24 novembre 2009, à Moscou, à l’occasion de la 34e session de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation de coopération économique des pays de la mer Noire, le président de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, Mehmet Ali Şahin, est allé se recueillir, au cimetière de Novodevitchi, sur la tombe de Nazım Hikmet, l’une des plus grandes figures de la littérature turque du 20e siècle.

Né à Salonique, au début du 20e siècle, dans une famille aisée, Nazım Hikmet après un passage par le Lycée de Galatasaray et l’école navale, participa à la guerre d’indépendance, avant d’aller faire des études de sociologie à Moscou où il fréquenta Maïakovski et Meyerhold. C’est là qu’enthousiasmé par la révolution russe, il devint communiste, ce qui lui valut rapidement de graves ennuis en Turquie. En 1938, notamment, il fut condamné à 28 ans et 4 mois de prison pour ses activités politiques, et passa les 12 années qui suivirent en captivité. Entretemps, Nazım Hikmet, qui publiait depuis le début des années 20, était devenu célèbre par ses écrits, ses pièces de théâtre et surtout sa poésie. Libéré en 1950, à la suite à une campagne internationale de soutien, il échappa à deux tentatives d’assassinat et dut quitter clandestinement la Turquie, alors qu’on voulait l’obliger à faire son service militaire à près de 50 ans ! Déchu de sa nationalité turque, il ne pourra jamais rentrer dans son pays, et mourra en exil, en 1963, à Moscou, où il est enterré dans le cimetière de Novodevitchi (le Père Lachaise russe), entre autres aux côtés de grandes célébrités de la littérature russe (Mikhaïl Boulgakov, Nicolas Gogol, Vladimir Maïakovski, Anton Tchekov…). C’est surtout pour sa poésie que Nazım Hikmet est resté célèbre, puisqu’il a été l’un des premiers auteurs turcs à utiliser la versification libre, et qu’il fut internationalement célébré, au milieu du 20e siècle, comme l’un des grands poètes de son temps.

La démarche remarquée de Mehmet Ali Şahin sur la tombe de Nazim Hikmet, tout en constituant un événement, n’est pas réellement pour surprendre, car la réintégration du grand poète dans le patrimoine littéraire national a commencé depuis un certain temps déjà. Non seulement son œuvre est connue et appréciée en Turquie, mais ce dernier a fait l’objet, au cours des dernières années, de nombreux ouvrages, biographies, documentaires, expositions ou films (notamment, le récent film « Mavi Gözlü Dev » de Biket Ilhan). Toutefois, 2009 restera certainement comme l’année de sa réhabilitation officielle. Le 5 janvier, en effet, le gouvernement a décidé de lui rendre sa nationalité turque à titre posthume, en estimant que les crimes dont on l’avait accusé alors ne seraient plus considérés comme tels aujourd’hui. Et le 3 octobre, lors du congrès de l’AKP, le premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, dans un discours emblématique où il a énuméré en particulier une liste d’intellectuels dissidents turcs, kurdes, alévis ou arméniens, représentatifs de la diversité qui est celle de la Turquie, avait cité le nom de Nazım Hikmet.

Regrettant que le poète ait été forcé de fuir son pays et de se réfugier de ce côté-là du rideau de fer, Mehmet Ali Şahin a rappelé qu’il avait marqué la littérature turque de son empreinte, en se disant par ailleurs convaincu qu’il avait la foi. « J’ai voulu prier sur sa tombe, parce que au-delà des idées qui étaient les siennes, je pense que c’était un homme qui avait la foi. », a-t-il déclaré en rapportant une anecdote qui accréditerait cette hypothèse. Certains s’étonneront que, même en ces temps de « Kurban Bayramı », un président de la Grande Assemblée Nationale éprouve encore le besoin de se persuader des convictions religieuses de ce poète disparu pour justifier sa venue sur sa tombe. Mais il est sans doute rassurant pour la Turquie contemporaine que la mémoire de Nazım Hikmet soit désormais unanimement honorée. C’est un signe des temps, la preuve en tout cas que ce pays regarde son passé et sa diversité de façon plus sereine qu’auparavant.

JM

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Sources

Source : Ovipot, le 27.11.09

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