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Turquie : La question kurde débattue devant le Parlement.

lundi 16 novembre 2009, par Jean Marcou

La semaine politique qui vient de s’écouler en Turquie a été marquée par le début des débats au Parlement sur « l’ouverture démocratique », l’initiative que le gouvernement a lancée, depuis le mois de juillet, pour résoudre la question kurde. Dans un pays où le mot « Kurdes » est resté tabou pendant longtemps et où, caricaturalement, les officiels n’admettaient, tout au plus, que l’existence de « Turcs des montagnes », qui aurait pu penser qu’un tel sujet serait un jour inscrit sur l’agenda politique du Parlement ? Pour autant, tout le monde sent bien qu’une aventure périlleuse commence. Les premières discussions et les incidents, qui les ont émaillées dans les travées de l’assemblée, l’ont bien montrés.

Les 10 ou 11 novembre 2009, le discours introductif du ministre de l’Intérieur, Beşir Atalay, qui est depuis le début en charge du projet gouvernemental, a provoqué une tempête de protestations sur les bancs de l’opposition. Beşir Atalay s’est attaché à présenter la politique du gouvernement, non seulement comme un projet pour les Kurdes mais également comme une initiative visant à un accroissement des libertés fondamentales dont tous les citoyens pourraient tirer bénéfice. En rappelant que le gouvernement, qui était à l’origine de cette initiative kurde, avait été porté au pouvoir par les Turcs, et donc représentait l’opinion publique turque, une idée qu’il a résumée par la phrase, « l’AKP est le parti de la Turquie », le ministre de l’Intérieur a provoqué une bronca dans les rangs de l’opposition, où les députés se sont mis à le conspuer, en tapant sur leurs pupitres. Les membres du groupe MHP, en particulier, accusant le gouvernement de collusion avec le PKK, ont demandé des comptes à Beşir Atalay sur le retour des groupes de rebelles kurdes et surtout sur les manifestations euphoriques qui ont suivi et qu’ils ont qualifiées « d’inacceptables ». Des bousculades ont interrompu les débats à plusieurs reprises et, sur les bancs du CHP, des banderoles arborant des slogans kémalistes sont même apparues, ce qui a amené le président de l’Assemblée, Mehmet Ali Şahin, à intervenir et à demander aux parlementaires qui les avaient déployées de bien vouloir les replier ou de sortir.

Pourtant les choses sérieuses n’ont commencé sur le fond que le vendredi 13 novembre 2009, lorsque le ministre de l’Intérieur s’est mis à dévoiler les premières mesures constitutives de la fameuse « ouverture démocratique », et que les leaders des autres formations parlementaires (DTP, MHP, CHP) ont réagi officiellement. Dans les restaurants d’Istanbul, presqu’autant que pour un derby entre Galatasaray et Beşiktaş, les yeux des clients étaient alors rivés sur les écrans LCD, qui retransmettaient en direct les débats parlementaires.

Les décisions, qui ont été annoncées par Beşir Atalay, n’ont pourtant rien de très spectaculaires. Elles ont, selon lui, deux objectifs principaux : en finir avec le terrorisme et développer la démocratie. Elles consistent concrètement en une suite de mesures qui visent à accroître les libertés fondamentales et à mettre en œuvre, en particulier, les instruments internationaux de protection des droits de l’homme auxquels la Turquie a souscrit ces dernières années. Elles se traduisent aussi par la mise en place d’institutions indépendantes destinées à protéger les droits fondamentaux. Les champs d’action privilégiés sont la lutte contre la discrimination, l’élimination de la torture et la possibilité d’agir contre les forces de sécurité en cas de violation des droits de l’homme. Ces propositions ont été présentées comme un premier train de mesures destinées à amorcer une dynamique. Toutefois, pour accentuer la crédibilité de la dynamique en qeustion, quelques décisions beaucoup plus symboliques ont été annoncées également, comme la suppression des check-points militaires qui jalonnent les routes des provinces du sud-est de la Turquie, l’autorisation de l’usage de langues autres que le turc dans les services sociaux et religieux et pour les campagnes électorales, et surtout la réhabilitation des appellations kurdes des lieux géographiques dont les noms ont été turquisés. Tout en rappelant qu’il n’était pas question de remettre en cause les principes énoncés par les trois premiers articles de la Constitution (caractère unitaire, social et laïque de l’Etat, définit par les principes d’Atatürk, ou caractère officiel de la langue turque), le ministre a appelé de ces vœux, non seulement l’adoption de révisions constitutionnelles, mais carrément l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

C’est Ahmet Türk, le leader des Kurdes du DTP (Demokratik Toplum Partisi – Parti pour une société démocratique), qui a pris le premier la parole après Beşir Atalay. Il a demandé au gouvernement de dévoiler rapidement tous les aspects de sa politique et surtout d’expliquer comment ces derniers allaient être mis en œuvre. Rappelant que la question kurde était le résultat des lacunes de la démocratie et de l’état de droit dans ce pays, il a estimé que tous les citoyens de celui-ci tireraient profit de l’ouverture proposée. Après avoir déclaré qu’il n’y avait pas de difficultés de cohabitation entre Kurdes et Turcs, il a surtout pointé du doigt le mal fait par l’idéologie officielle et l’appareil d’Etat, qui sont, d’après lui, responsables de l’existence aujourd’hui d’une organisation comme le PKK. Ahmet Türk a, par ailleurs, déclaré que les Kurdes n’avaient aucun problème avec le drapeau et les frontières actuelles de l’État turc. Selon lui, même s’ils sont à l’avenir éduqué aussi dans leur langue maternelle, ils conserveront le turc comme langue d’usage, et resteront attachés aux valeurs communes qui contribuent actuellement à l’unité de la société turque.

Comme on pouvait s’y attendre, les commentaires de Devlet Bahçeli, qui, vient d’être reconduit pour la 9e fois à la tête du MHP (Milli Hareket Partisi – Parti du mouvement nationaliste), ont été à l’opposé de ceux d’Ahmet Türk. Le leader nationaliste a voué l’AKP aux gémonies. D’après lui, lorsque la formation de Recep Tayyip Erdoğan est arrivée au pouvoir, en 2002, on était en train d’éradiquer le terrorisme, alors qu’aujourd’hui, on en est venu à démolir l’Etat nation turc. Qualifiant l’entreprise engagée par le gouvernement de « plan de destruction » et de « menace grave », il lui a reproché de céder aux demandes du PKK, comme si ce dernier était représentatif de tout le peuple kurde. Cela l’a amené à accuser le projet « d’ouverture démocratique » d’être en train de créer artificiellement une minorité, alors même que, selon lui, en Turquie, les origines ethniques ne constituent pas un obstacle à l’accès aux responsabilités et que le « problème de l’Est » vient surtout d’un retard de développement économique.

La réaction du leader du parti CHP (Cumhuriyet Halk Partisi – Parti républicain du peuple), Deniz Baykal, était attendue. Le parti kémaliste, en effet, a donné l’impression de louvoyer ces dernières semaines sur le sujet. Une partie de ses membres (notamment le leader stambouliote du CHP, Gürsel Tekin) ont reproché à Deniz Baykal d’avoir rejeté l’initiative gouvernementale et, au début du mois d’octobre, ce dernier a nuancé sa position (cf. notre édition du 8 octobre 2009). Mais, depuis, l’esquisse de ce changement de position ne s’est pas confirmée. Accusant le gouvernement d’avoir un plan secret, le leader CHP s’est rapidement perdu dans une querelle de procédure avec le premier ministre, en lui demandant un tête-à-tête sur l’ouverture kurde publiquement retransmis (cf. édition du 17 octobre 2009). En outre, lundi dernier, juste avant le début des débats au Parlement, l’un des vice-présidents du CHP, Onur Öymen, a provoqué un tollé, en citant la répression contre les Kurdes alévis de Tunceli (Dersim) en 1937, comme un exemple de lutte contre le terrorisme. Deniz Baykal n’était donc pas très à l’aise à l’assemblée, le 13 novembre. Pour l’essentiel, il s’est contenté d’accuser à nouveau le gouvernement de manque de transparence, lui reprochant même de mener des négociations secrètes avec le PKK et avec Abdullah Öcalan en personne. Le leader kémaliste a aussi redit ses craintes de voir l’État abandonner son fondement unitaire pour s’en remettre à une logique privilégiant la distinction ethnique, un leit-motiv qu’il n’a cessé de mettre en avant, ces dernières semaines.

JM

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Sources

Source : Ovipot, le 14.11.09

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