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Turquie : l’heure de vérité se rapproche

vendredi 21 juillet 2006, par Marillac, Murat Belge

© Radikal, le 18/06/2006

© Turquie Européenne pour la traduction

Question européenne, question kurde, minorités, foulard : les problèmes ne manquent pas qui reviennent en force sur la scène politique turque. Murat Belge, historien de la littérature, éditeur et chroniqueur est également l’une des figures de proue de la société civile et démocrate en Turquie : il passe ici la conjoncture politique et sociale turque au crible d’une analyse qui fait de chacun des problèmes évoqués plus haut moins des enjeux en eux-mêmes que des leviers dont la manœuvre décidera de l’avenir du pays. Sur le seuil d’un grand changement.

Le milieu politique turc est en effervescence. On peut distinguer cette tension de celles qui ont précédé les coups d’état du 27 mai 1960 et du 12 mars 1971. Différentes parce que les dimensions du problème sont aujourd’hui bien plus larges. Le problème du 27 mai était de brider un pouvoir qu’on disait « dévoyé » (et qui en fait n’était autre chose qu’un représentant de l’ordre établi). Le 12 mars, il était question de mettre un terme à l’entreprise de guérilla initiée par un mouvement de gauche dont on avait exagéré la force, en fait très faible, mais lancé dans une lutte destinée à préparer le terrain d’intervention de la junte.
Le coup d’état du 12 septembre 1980 s’est déroulé dans un contexte plus violent que les précédents parce que au sein de la société, certains groupes de droite et de gauche se livraient en fait à ce qu’on a refusé d’appeler une guerre civile. Mais ce conflit, quelle que fut la tension qu’il suscita, ne fut jamais à même, en dehors des groupes s’affrontant, d’attirer à soi la société et de la sortir de son attitude globalement spectatrice.

Or aujourd’hui, la Turquie est parvenue à un point, un seuil qui la contraint à se confronter avec tout son passé. Si elle décidait jamais de franchir ce seuil, alors il serait question de lancer un processus, non pas limité à cette mise au point avec son passé, mais nécessitant la refonte de notre culture politique traditionnelle, de nos institutions politiques, de nos modes de gouvernance, en fait de toutes choses ; et cela non pas selon nos critères mais selon les « standards internationaux de démocratie ». Voilà bien pourquoi il s’agit-là d’un problème immense.
Ce très global concours de « tir à la corde » concerne pour une fois la totalité de la société plus que tout autre sujet de tension jamais connu dans la société turque jusqu’à nos jours. Cette implication de la totalité sociale turque n’est pas encore, aujourd’hui même, passée du virtuel à l’actuel, du possible au réel. Il ne met pas encore les masses en mouvement. En outre, les éléments les plus influents dans la société sont aussi ceux qui conçoivent de la manière la plus évidente qu’ils seront les premiers à souffrir de ce changement. Il leur est encore possible, comme à tout groupe social, de parvenir à un certain potentiel d’organisation et d’expression.

Une question d’éthique

L’importance vitale et la globalité de la lutte ont d’ores et déjà et depuis un certain temps rendu légitime l’emploi de toute arme. La pratique du fait accompli ne suffit pas, en vérité, à légitimer quoi que ce soit. Mais à partir du moment où il est devenu l’un des critères de légitimation et que, en définitive, peu de voix osent s’élever contre de telles pratiques, si le fait accompli n’est pas légitimé, il est au moins normalisé. Mensonge et désinformation sont au nombre des nouvelles règles.
Le fait de mener ce combat politique avec des armes telles le mensonge - la provocation en étant l’exemple le plus grossier - conduit de lui-même à poser la question du lien entre la politique et l’éthique. Mais le fait que je m’attarde ces jours sur ce lien ne signifie pas que je m’en arrête à des questions de moyens ou de méthodes mais que je souhaite mettre cette question sous les lumières de l’actualité dans ses plus larges dimensions parce que je reste persuadé de l’importance avec laquelle elle risque de peser sur l’éthique au sens général.

« Être de telle ou de telle autre manière », ai-je dit.
La tâche est si considérable qu’il est inenvisageable qu’elle ne puisse pas, dans le même temps constituer un problème éthique de tout premier plan. Les gens, les individus qui composent la société turque, comment choisiront-ils d’être dans cette lutte ?

Souhaiteront-ils décider eux-mêmes de ce à quoi ils croiront, penseront ? Ou bien n’auront-ils aucune objection à se contenter de ce qui leur est donné ? Souhaiteront-ils se diriger eux-mêmes ou bien rendre grâce d’être dirigés à ceux qui les mènent ?

La relation que l’on noue avec un régime repose dans son sens le plus large sur le lien que l’on noue avec la réalité. Il ne peut en aller autrement. Dans ce cas, souhaitons-nous vivre dans le monde réel, sans craindre la réalité ou bien dans un monde de peur, rempli de mensonges, comme des spectateurs ovationnant l’oppression en n’ayant d’égard ni pour le vrai, ni pour la conscience ?

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