Tous les regards étaient tournés vers le chef du gouvernement et le chef d’état major, lors des célébrations du 86e anniversaire de la proclamation de la République, jeudi 29 octobre 2009. C’était, en effet, la première fois que les deux hommes se retrouvaient, depuis la relance de l’affaire du « plan d’action pour combattre la réaction », à propos duquel Recep Tayyip Erdoğan, qui était, ces derniers jours, en déplacement au Pakistan et en Iran, avait réagi en annonçant qu’il s’entretiendrait à son retour avec le général Başbuğ.
Les deux hommes n’ont cessé de se côtoyer pendant la journée du 29, lors des différentes cérémonies officielles qui requéraient leur présence. Ils ont en particulier tenu une rapide réunions en présence du président de l’Assemblée Nationale, Mehmet Ali Şahin, et du président de la République, Abdullaht Gül, lors de la traditionnelle réception qui s’est tenue à la résidence de ce dernier.
Mais les choses sérieuses ont commencé en fin d’après-midi, lorsqu’ils se sont retrouvés en tête-à-tête au siège du gouvernement, après les festivités officielles. Il ne s’agissait pas là d’une rencontre ad hoc d’ailleurs, mais de la réunion hebdomadaire qu’ils tiennent désormais, tous les jeudis, depuis un an environ. Pourtant, au vu des récents développements de l’affaire du « plan d’action pour combattre la réaction », cette rencontre, qui a duré une heure et demie, avait bien sûr une importance toute particulière. C’est la raison pour laquelle elle donné lieu à un communiqué gouvernemental particulièrement commenté.
Celui-ci n’a toutefois rien de spectaculaire, il annonce que l’entretien entre les deux hommes a porté sur l’affaire du « plan d’action pour combattre la réaction » ainsi que sur d’autres sujets touchant à la sécurité de l’État. On sait, en particulier, que la question kurde a été évoquée, plus précisément l’accueil réservé au groupe de rebelles qui a rendu les armes, au poste frontière de Habur, le 19 octobre dernier. Le communiqué rappelle surtout que l’enquête concernant le « plan d’action pour combattre la réaction » est menée par les juridictions civiles et militaires, dans le respect de leurs compétences respectives, et dit vouloir attendre les conclusions de cette enquête en demandant pour l’heure que l’on évite les commentaires qui visent les hommes et les institutions concernés.
Ce nouveau développement apparaît donc comme une sorte de trêve entre le gouvernement et l’armée. Il s’est d’ailleurs accompagné de gestes d’apaisement de part et d’autre. Le gouvernement n’a pas transformé l’entretien en une mise en accusation de l’armée et n’a pas notamment demandé au chef d’état major de relever de son commandement le général Hasan Iğsız, qui est à la tête du premier corps d’armée et que la lettre anonyme, qui a récemment relancé l’affaire, a accusé d’être le véritable commanditaire du plan. De son côté, le commandement militaire a laissé témoigner, devant la justice civile, les 7 personnes (6 officiers et un fonctionnaire) soupçonnées d’avoir tenté de faire disparaître les preuves du caractère authentique du plan. Celles-ci sont en effet allés témoigner, le lendemain, au bureau du procureur de Beşiktaş, à Istanbul.
A priori, on peut penser que cette trêve donne un répit inespéré aux militaires. Elle ne les dédouane pourtant pas pour autant des explications qu’ils vont devoir fournir à la justice, et ne desserre pas vraiment l’étau qui est en train de se refermer sur eux. Quant au gouvernement, on peut estimer que cette pause lui permet d’éviter un emballement de l’actualité politique, au moment où il est aux prises avec une série de dossiers délicats (ouverture démocratique kurde, ratification des protocoles arméno-turcs, difficultés rencontrées par les négociations menées actuellement pour résoudre la question chypriote…).
JM