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Rattraper le train en marche

vendredi 18 mai 2007, par Thomas

J’avoue, je sors d’une flémingite aigüe. La vrai flemme, celle qui fait dire « boarf, à quoi bon ». Un moi sans bloggage, en suivant l’actualité turque d’un oeil morne et las. Avouons le, j’ai mal choisi mon moment, l’actualité a été riche en délires en tout genre.

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Ce qui m’a décidé à rebondir ? Nicolas Sarkozy et son « si vous expliquez aux habitants de Cappadoce qu’ils sont européens, ça va renforcer l’islamisme ». Il est regrettable que Madame Royal n’ait pas réagi, mais c’est tout à son honneur d’avoir affirmé vouloir tenir la parole de la France, tout en insistant sur le fait que la Turquie n’était pas prête.

Difficile de le nier : dans l’ambiance éléctrique qui prédomine, il est difficile d’y voir clair. La bourse d’Istanbul joue au yoyo, les investisseurs s’inquiètent, les intellectuels turcs se déchirent. Et Baskin Oran continue d’avoir raison.

Les militaires qui se fâchent aujourd’hui ont promulgué, après une sévère épuration du corps politique (à grands coups de gégène sur la « vermine marxiste »), une constitution approuvée en 1983 par le peuple avec une unanimité digne des élections sous Saddam Hussein. Elle est toujours en vigueur et organise donc la vie politique turque.

Les méchants super méchants de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, au pouvoir depuis 2002) profitent d’un système électoral bancal qui leur offre la majorité absolue à l’assemblée en ne rassemblant que 30% des voix lors d’élections législatives à 1 tour écartant de l’assemblée tous les partis situés en dessous du seuil des 10%. D’un autre côté, ils n’y peuvent rien, ils n’ont pas inventé ce système destiné à virer la gauche et les Kurdes de l’assemblée.

Fort de leur poids, ils veulent propulser un des leurs à la présidence. Difficile de leur en vouloir.

Mais, eyvah eyvah, les Kemalophiles ne sont pas DU TOUT contents. La Turquie est en danger, la république menacée, etc. etc.

Qui est aujourd’hui le président turc ? Ahmet Necet Sezer, spécialiste du Veto à toute réforme démocratique depuis 2002. Un Kémaliste, un Laïc pur et dur, pour qui laïcité veut dire pas de femme voilée à Cankaya et pas de lois pour rétablir les minorités chrétiennes dans leurs droits.

D’un autre coté, il y a bien la laïcité française qui mugit sur les racines chrétiennes à tout bout de champ, loin de moi l’idée de juger.

Mais bref, dans un Etat basé depuis 1980 sur une « synthèse turco islamique » douteuse, sur un Kemalisme érigé en dogme indépassable contre les ambitions même de leur gourou, difficile de pleurer quand les islamistes deviennent une force politique sans rivale. Au Pakistan, en Egypte, en Algérie, la répression des forces démocratiques par des régimes militaristes a abouti à la montée des partis islamistes, seule force de contestation possible. Dans un contexte sensiblement différent, la Turquie a connu un phénomène semblable, même s’il est difficile de comparer l’AKP aux frères musulmans ou au F.I.S.

On a aujourd’hui une « gauche » qui appelle l’armée à intervenir par un nouveau coup d’Etat et se permet de sortir des énormités telles que « he, Turc ! Défends ton identité ! N’épouse pas un Kurde, ne commerce pas avec ces gens ! ». Tout un programme de paix et de fraternité.

Dans les centaines de milliers de manifestants à Istanbul et Ankara, il n’y avait pas que des méchants, loin s’en faut. Il y avait aussi de braves jeunes gens répètant l’oeil fixe et brillant des slogans d’avenir comme « Ne A.B ne A.B.D, Bagimsiz Türkiye » (ni U.E ni USA, Turquie indépendante). Quand on voit sur le site de Turk Solu, « gauche turque » Mustafa Kemal, Deniz Geçmis (arrêté et exécuté par l’armée) et Nazim Hikmet sur la même banderole, on comprend pourquoi la gauche turque n’est pas promise à un avenir brillant.

Ce qui frappe le plus, c’est que jamais au grand jamais des centaines de milliers de personne n’ont manifesté contre la guerre au Kurdistan, la possibilité d’invasion de l’Irak, les villages vidés, les droits des Alevis, l’ingérence de l’armée, etc. Ces manifestations ont eu lieu avec la bénédiction de l’armée républicaine, la seule au monde à se considérer comme « garante de la démocratie », et à se proclamer invincible sans jamais avoir battu d’autre ennemi que les chypriotes grecs.

L’Enorme problème turc, à mon sens, c’est qu’une dictature laïque semble moins mobiliser contre elle qu’une démocratie musulmane. L’AKP a beau être détesté par les « vrais » islamistes, il reste caricaturalement considéré comme une menace pour la laïcité turque. Pourtant pas de charia depuis 2002, on attend toujours. Les preuves les plus concrètes de l’utra célèbre « agenda secret » sont des projets pour limiter les ventes d’alcool (déja surtaxé par la république laïque, mais bon...) et des tentatives de favoriser les Imam Hatip, les fameuses écoles de prédicateurs.

En effet, c’est très mal. Mais d’un autre coté les écoles laïques donnent des cours de religion musulmane sunnite depuis le coup d’Etat, sans faire mention des alevis, yezidis, chrétiens orthodoxes, arméniens, et autres assyriens, tous présents sur le territoire turc et de ce fait citoyens turcs. Je n’ai jamais vu personne, ni prof borné, ni atatürkçü (kémaliste), ni lycéenne en basket, manifester contre ça.

Les revendications pour les minorités et contre le dogme de 1980 (n’accusons pas le pauvre Kemal, il n’est pas responsable de ce Kemalisme prison caricaturé aujourd’hui) sont restées le fait de partis ultraminoritaires type ÖDP (Parti de la Solidarité et des Libertés), mettant sur le même plan droit des kurdes et des transexuels, joyeux rêveur ne laissant rien présager de bon pour l’avenir de la social démocratie turque. La courageuse tentative pour manifester le 1er mai à Taksim pour la première fois depuis le massacre de 1977 (34 morts) aura causé 700 arrestations.

Des elections anticipées auront lieu le 22 juillet, suite à la décision contestée de la cour constitutionnelle (nommée aux 2/3 par l’actuel président Sezer) d’annuler le premier tour de l’élection présidentielle. Entre temps, l’AKP va proposer l’élection du président au suffrage universel, pour la première fois de l’histoire républicaine.

C’est ici que ça va commencer à être drôle : QUI face à Abdullah Gül ? QUI est le garant de la laïcité, de la démocratie, du progrès ? Deniz Baykal (patron du CHP, Parti Républicain du Peuple, premier parti d’opposition et défenseur de l’orthodoxie kémaliste) ???? Sezer encore ??? Kenan Evren va-t-il reprendre du service ?

On parle d’une alliance CHP-DSP-SHP... qui signiferait, puisqu’ils se sont systématiquement opposés à elles, une annulation de toutes les réformes démocratiques engagées depuis 2002 par le gouvernement des méchants islamistes de l’AKP.

Ca promet. En tous cas je promets de suivre ça, fini les vacances bloggeuses !

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