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Que comprendre des paroles de Büyükanit ?

mardi 20 février 2007, par Marillac, Murat Yetkin


© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction
© Radikal 15/02/2007

Correspondant du quotidien Radikal pour Ankara, Murat Yetkin fut il y a peu chargé de couvrir la visite du chef d’Etat-major des armées turques, le Général Büyükanit dans son voyage aux USA. L’occasion de faire le point sur les positions de ce personnage important dans la vie politique turque alors que le pays traverse une période troublée et délicate et ce, au seuil d’échéances électorales capitales .

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Le discours prononcé il y a deux jours par le Général Büyükanit, le chef d’Etat-major à l’Ambassade de Turquie dans le cadre d’une visite officielle aux USA qui devait commencer le lendemain, revêt à divers points de vue une importance significative.

Il convient tout d’abord de s’attarder quelque peu sur les paroles que Yasar Büyükanit a prononcées le jour où il a pris la tête de l’armée turque, le 30 août dernier : « nous nous devons de vaincre nos peurs. »
Il en a précisé le sens ces derniers jours. La Turquie fait aujourd’hui face aux pires menaces et problèmes auxquels elle ait pu être confrontée depuis la fondation de la République en 1923. Mais la situation n’est pas désespérée.

Après avoir listé menaces et problèmes, il a posé cette question cruciale : allons-nous résoudre seuls toutes ces questions ou bien à l’aide de notre réseau de relations internationales ? La réponse était évidente : « malheureusement, les dimensions internes et externes de nos problèmes sont par leur nature même indissociables. »

Mais dans une telle situation, il serait malvenu de s’abandonner aux griffes du désespoir. Parce que la Turquie, contrairement à ce que peuvent en dire les plus désespérés, n’est pas un pays au seuil de la partition, ou de la décomposition de ses institutions laïques et démocratiques.

1- Pour autant qu’il reste à la Turquie des forces vives capables de la protéger, personne ne sera en mesure de parvenir à sa partition.

2- Aucune personnalité, ni aucune institution ne sera jamais en mesure de priver la Turquie du régime que définit sa constitution.

Selon Büyükanit, le peuple turc doit aujourd’hui vaincre les peurs avec lesquelles il a commencé de vivre. « Il ne faut devenir les esclaves de nos sentiments et de nos peurs », a-t-il rappelé. « Je ne dis pas cela en tant que politicien mais comme soldat. Nous, nous finirons par avoir le dessus sur ces peurs. »

C’est bien la première fois qu’un chef d’Etat-major délivre un tel message : non, le pays n’est pas au bord du gouffre ; le peuple doit avoir confiance en lui ; l’armée se tient à ses côtés.

Elections présidentielles

Bien évidemment que le second point du message de Büyükanit dans lequel il insistait sur l’impossibilité pour quiconque de modifier l’ordre institutionnel, était une référence à peine voilée à l’élection présidentielle et à la possibilité pour Erdogan de devenir le premier personnage de l’Etat.

Exactement comme le secrétaire général du CHP (Parti Républicain du Peuple), Deniz Baykal qui, expliquant les points forts de l’engagement de son parti pour les élections générales à venir, faisait l’hypothèse que l’élection présidentielle ne donnerait pas l’occasion d’une crise, il semblerait que Büyükanit laisse entendre qu’il n’y a aucun problème à ce que Erdogan monte à Cankaya (palais présidentiel) pour autant qu’il n’entame pas de démarche visant à s’attaquer au principe de laïcité.

Cette position peut-elle servir de réponse à ces questions entendues aux USA sur la possibilité d’un coup d’Etat en Turquie ? Büyükanit semble résolument préparé à répondre à des questions délicates allant dans ce sens, questions qu’on ne manquera pas de lui poser dans le cadre d’une réunion organisée par le think tank Washington Institute où le lobby pro-israélien ne pèse pas peu.

La réponse que j’ai reçue hier lorsque j’évoquais que de tels bruits courraient aux USA fut assez intéressante : « sur quelque sujet que ce soit, tenter de recueillir l’aval ou la permission d’une autre nation, c’est une insulte à sa propre patrie. Tout le monde doit bien comprendre cela. »

Avant d’en venir aux conclusions que l’on peut tirer de tout cela, il convient de rapporter les paroles de Büyükanit ne laissant pas d’évoquer la fermeture de la base d’Incirlik ou l’annulation de contrats d’armement en cas de vote au Congrès d’une reconnaissance du génocide arménien : « c’est une question qui nous attriste. Nous ne désirons pas faire pression sur le Congrès. Mais je le dis en tant qu’homme qui travaille depuis 50 ans avec les USA dans le cadre d’une relation entre alliés : un tel vote nous blesserait. Le reste, ma foi, dépend de questions liées à la marche des relations internationales. […] »

De tout cela, il est possible de tirer les remarques suivantes :

1- La Turquie fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter ce vote sur la question du génocide arménien. Mais si la loi venait finalement à passer, ce ne serait pas non plus la fin du monde et cela ne signifierait pas la fin des relations avec les USA comme pourraient s’en réjouir nombre de nos adversaires.

2- L’arrivée à la Présidence de la République d’Erdogan ou de la personne qu’il aura choisie ne conviendra pas à toute une partie de la société turque. Mais tant que le prochain Président de la République ne s’attaque pas aux principes constitutionnels fondamentaux, l’armée ne le considèrera pas en lui-même comme une menace pour le régime.

3- Depuis l’ère Kivrikoglu (chef d’Etat-major lors du coup d’Etat « post-moderne » du 28 février 1997) – Özkök (avant-dernier chef d’Etat-major ; celui des différents paquets d’harmonisation démocratique avec les normes de l’UE), l’armée voit dans le maintien des liens avec les USA et l’UE l’une des garanties pour la préservation d’un régime laïque et démocratique. Avec Büyükanit, la constance de cette vision semble encore renforcée.

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