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Pour Erdal Inönü

lundi 5 novembre 2007, par Ismet Berkan, Marillac

Erdal Inönü est mort le 31 octobre dernier. Physicien reconnu, universitaire et homme politique, il était aussi le fils de l’un des fondateurs de la République, Ismet Inönü.
Personnalité intègre et désintéressée, Erdal Inönü était une des figures portant les espoirs de renaissance de la gauche turque sous des couleurs socio-démocrates.
Même si les hommages unanimes se multiplient de droite comme de gauche, du côté turc comme du côté kurde, il est à craindre, étant donné la situation actuelle en Turquie, qu’ils ne soient pour la plupart que de pure forme.

- Erdal Inönü était l’homme qui avait ouvert les listes de son parti à des représentants kurdes en 1991 : l’intensité des passions nationalistes comme la vigueur des revendications kurdes conduisirent l’expérience tout droit à l’échec. L’homme continuera pourtant à prendre régulièrement des nouvelles des députés kurdes élus à ses côtés et emprisonnés par la suite.

- En 2002, quelques mois avant le premier triomphe de l’AKP, c’est lui que l’on vient voir (Kemal Dervis, notamment, ministre de l’économie et aujourd’hui patron de la CNUCED) dans l’espoir de favoriser une bien improbable réunification des gauches.

- En 2005, lors de la conférence sur la question arménienne tenue à Istanbul, l’homme alors âgé, refuse toute protection policière pour se rendre sur les lieux des débats, se déplaçant seul, à pied malgré les bordées d’injures et les œufs projetés par les nationalistes qui font le siège de l’Université.

- Ismet Berkan, rédacteur en chef de Radikal, lui rend l’hommage du journaliste et du citoyen turc.

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Vous savez il est des gens chez qui même de loin vous sentez la bonté. Erdal Inönü était de ceux-ci. Au sens le plus complet du terme, c’était un juste.
Si seulement nous ne nous étions pas connus par professions interposées moi comme journaliste lui comme politicien. Si seulement j’avais pu être son assistant ou son étudiant.
La dernière fois que je l’ai vu c’était il y a deux ans : il faisait la queue seul chez un des plus réputés vendeurs de köfte (boulette de viande) du quartier. Réfléchissez-y un peu. Fils d’un des proches d’Atatürk, de l’un des fondateurs du pays. Physicien. Recteur d’Université. Comme si cela ne suffisait pas, fondateur de parti, puis dirigeant politique. Deputé. Vice premier-ministre. Puis ministre des Affaires étrangères.
Et le voilà, ce jour, venu avec sa propre petite voiture jusque chez le marchand de köfte du coin, en train de faire la queue avec tout le monde…

Je me suis alors dit que tous ces « titres », fils d’une légende nationale, scientifique, ministre, etc… n’avaient en fait qu’une importance secondaire. C’est bien ce que je disais : Erdal Inönü était avant tout un homme. Un homme bon.
Il était en outre doué d’un sens de l’humour auquel nous sommes peu habitués sur la scène politique turque. Je me souviens d’un ami qui, se déplaçant avec lui en campagne électorale pour la première fois avait fait la remarque suivante : « c’est pas possible bon sang ! On dirait que ce type apprend tout pour la première fois, comme un enfant. » Nous nous étions alors fâchés. Mais aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que ce qui mettait Erdal Inönü à part dans la vie politique turque c’était ce qui avait donné à notre collègue cette impression de puérilité : sa soif d’apprendre, son approche dépourvue de tout préjugé, sa volonté d’écouter tout le monde…

Lorsqu’il décida de quitter la politique, tous ceux qui dès le début lui en voulaient, se sont jetés sur l’occasion de l’accuser d’abandon. Combien se trompaient-ils !!! Que peut-il y avoir de plus précieux qu’un homme sachant repousser les avances de l’avenir et d’un fauteuil ? Oui sans doute était-il fatigué. Fatigué de toutes ces disputes dans lesquelles les gens daignent se plonger pour la conquête d’un petit siège. Des bagarres absurdes au sein de son parti le SHP (Parti Social démocrate Populaire), les disputes stériles de tous ces gens soucieux de préséance. En se retirant, il a donné une leçon à tout le monde. Mais il en fut bien peu pour comprendre.

Dans un bus de campagne, dans un avion ou bien n’importe où, dès qu’il avait un peu de temps, il se plongeait dans des problèmes physiques et mathématiques. Il s’était fait un hobby de certains problèmes de physique théorique irrésolus.

C’était une façon de rester proche de sa première passion qui était la science. Mais c’était également une porte de sortie, une échappatoire à toutes les bassesses de la politique.

Le livre de la correspondance échangée avec son père est pour moi un livre à lire. Non pas pour des révélations ou des secrets, mais juste pour se rendre compte de la façon dont l’homme Ismet Inönü tremblait pour son fils, de la façon dont ils avaient élaboré une relation solide et relativement « égalitaire », respectueuse. C’est aussi de cette façon que vous apprendrez à mieux connaître Erdal Inönü.

Cela remonte à pas mal d’années, mais je me souviens de ma première rencontre avec Ömer Inönü, aujourd’hui décédé, lors de la présentation d’un documentaire consacré à Ismet Pacha à Ankara. C’était la même impression de modestie et de respect des personnes. De ce point de vue là, il était impossible de dissocier les deux frères, Erdal et Ömer.
C’est la Turquie tout entière qui va regretter Erdal Inönü.

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Sources

Source : Radikal,le 01-11-2007

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