Rinaldo Tomaselli se fait ici le porte-parole d’un sentiment diffus de manipulation ressenti ces jours derniers à l’occasion de la venue du Pape en Turquie : « visite difficile, tension maximale, défilés d’islamistes... »
Ridicules manifestations de partis aux abois ou de syndicats aux quelques membres stipendiés, dont les quelques banderolles ont fait le tour tout rouge (sang ?!) des unes de la grande presse européenne. Pourquoi faut-il encore et toujours que chaque occasion de parler de la Turquie soit une démonstration de granguignolade journalistique ? Pourquoi un quotidien sérieux comme Le Monde fait-il le choix de barrer sa Une d’une photographie de quelques militantes islamistes toute drapées de rouge pour la souligner d’une discrète légende évoquant « l’opinion extrémiste turque » ?
Le produit Turquie est-il plus vendeur une fois enrobé des attraits « flatteurs » qu’on lui connaît depuis...au moins depuis Molière et son Mamamouchi ?
Certainement. Et à ce compte-là, poursuivons donc dans cette voie : et ne considérons simplement ce fameux « dialogue des cultures et des religions » comme un autre concept marketing, fort en tons pastel et autres tolérances...
Au lendemain de la manifestation contre la venue du Pape en Turquie, la presse d’Europe occidentale, et particulièrement la presse francophone, s’en est donnée à cœur joie en mêlant Union Européenne, massacre arménien, liberté religieuse et caricatures islamophobes. Si une manifestation réunissant selon les sources, entre 5 000 et 20 000 personnes (dans une ville de 15 millions d’habitants), donne autant d’encre à couler aujourd’hui, on peut bien imaginer les efforts qui seront nécessaires pour ne pas faire passer la Turquie comme pays hostile au reste du continent, lors de la prochaine visite pontificale.
Le phénomène de la désinformation manipulée n’est pas nouveau, mais il prend de l’ampleur, et pas seulement lorsqu’il s’agit de la Turquie. Le dimanche 26 novembre, les journaux télévisés de toute l’Europe annonçaient que la manifestation d’Istanbul avait réuni 300 000 personnes dans le quartier de Cağlayan, alors que les sources policières (non mentionnées) faisaient état de 5 000 à 10 000 personnes ! Le lendemain, les mêmes journaux et la presse écrite ne parlaient plus que de 10 à 25 000 personnes, sans toutefois faire mention des chiffres exagérés de la veille.
Comme le nombre de participants avait nettement chuté (95%), il fallait rendre l’ « information » plus corsée en décrivant le meeting comme un rassemblement de fanatiques assoiffés de sang. On pouvait lire dans les journaux francophones que les manifestants brandissaient des pancartes « hostiles à l’Occident », « islamistes » ou « irrespectueuses envers le Pape ». Certains journaux allaient encore plus loin en mentionnant des pancartes qui auraient pu être écrites, mais ne l’ont pas été !!!
Or, cette manifestation réunissait non seulement des croyants musulmans contrariés par les propos du Pape dans son discours de Ratisbonne, mais aussi des nationalistes, des anti-Union Européenne, et des laïcs opposés aux symboles des grandes religions, le tout dans un climat bon enfant et encadré par une meute de policiers et de volontaires civils.
Le meeting de Cağlayan devait réunir, selon les organisateurs, un million de personnes. Ce fut un fiasco total, avec une participation médiocre, démontrant le peu d’intérêt que le Turc moyen porte à ce que la presse de l’Ouest du continent veut présenter comme un événement historique. Pour bien s’en rendre compte, il suffisait d’aller, ce dimanche 26 novembre, sur l’une des plus grandes artères d’Istanbul, l’avenue Istiklal, à 3 km à peine de Cağlayan, pour constater que près de 2 millions de Stambouliotes s’y baladaient en faisant du lèche-vitrine, loin des banderoles anti-papistes, de Ratisbonne et des envoyés spéciaux des chaînes de télévision.
Istiklal Caddesi : cette rue de 1,25 km voit défiler chaque jour 1,2 millions de personnes, pres de 2 millions les fins de semaine.
A qui profite la manipulation ?
Jusqu’à récemment, les médias d’Europe occidentale ne s’en étaient pris principalement qu’au gouvernement turc, quelquefois avec raison, dénonçant un manque de démocratie, des lois peu conformes aux accords internationaux, et une passivité dans d’épineux problèmes minoritaires. Or aujourd’hui, la presse et parfois des parlementaires des pays membres de l’UE s’en prennent directement au peuple turc en le diabolisant, ce qui est tout à fait nouveau.
On peut analyser la chose sous des angles divers, mais ce qui frappe, c’est que plus la Turquie se conforme aux lois de l’UE, plus la turcophobie gagne du terrain. C’est notamment le cas en Scandinavie, en Pologne, en Autriche et en France, pays où l’extrême-droite a nettement progressé ces dernières années. Les groupes néo-nazis se font de plus en plus entendre et les rassemblements ouvertement racistes sont loin d’être exceptionnels.
Bien que les gouvernements des pays membres de l’UE ne soient pas d’extrême droite, ils ménagent leur électorat respectif en créant des embûches supplémentaires à l’adhésion de la Turquie. Mais, ce qui est encore plus mesquin, c’est de vouloir présenter le peuple turc comme l’incarnation du fanatisme religieux, peu enclin à rentrer dans une Europe chrétienne et proche, culturellement, de l’Arabie Saoudite. En bref, tout le contraire de ce qu’il est vraiment.
D’une manière générale, les journalistes de l’Ouest de l’Europe rajoutent de l’huile sur le feu, et c’est comme cela qu’on arrive à une manifestation de 300 000 personnes « hostiles au Pape et à l’Occident », dans les rues d’Istanbul sous le soleil pâlot d’un après-midi d’automne… En réalité : un meeting de 15 000 citoyens non violents, soit le 0,1 % de la population stambouliote.
La victoire en chantant…
Le voyage du Pape dans le pays de la tolérance religieuse a un poids considérable et est chargé de symboles. On peut espérer que la première visite de Benoît XVI dans un pays laïc ouvre le chemin d’une meilleure compréhension entre les mentalités des différentes parties de l’Europe, ainsi qu’un rapprochement entre les croyants de différentes religions.
A l’heure où ces lignes sont écrites, S.S. le Pape Benoît XVI est déjà arrivé à Ankara, première étape de sa visite turque. Il a été accueilli chaleureusement par le Premier Ministre Tayyip Erdoğan, à sa descente d’avion. Lors de l’entretien qui s’ensuivit, le Pape a déclaré : « Bien que le Vatican ne fasse pas de politique, nous aimerions voir la Turquie dans l’Union Européenne ». Ce qui est déjà considéré par tout le monde comme un premier pas dans le rapprochement entre l’Est et l’Ouest du continent, une sorte de victoire de la Raison.
La suite de la visite sera ponctuée de rencontres avec les autorités des Eglises orientales, le Grand Müftü et le Grand Rabbin, ainsi que le Président de la République laïque de Turquie.
Le site Le Guide d’Istanbul