« Benoît XVI a commencé, en Turquie, à gravir un long Golgotha. » Busbecq le chroniqueur fantôme et ubiquiste de la toile franco-européo-turque récidive avec une chronique fort inspirée portant sur le voyage en cours du Souverain Pontife en Turquie...
Première Station : à peine débarqué, rencontre avec le Premier Ministre Erdogan. Dans son genre, il est aussi « Bavarois » que Ratzinger : la main sur le pouvoir et la foi (la sienne) en bandouillère. Erdogan, d’entrée de jeu, tacle avec un rappel du Dialogue des Civilisations, engagé sous l’égide de l’ONU et organisé conjointement par l’Espagne et par la Turquie pour réunir dans chaque pays alternativement les plus respectées autorités de diverses religions. Ce que Erdogan n’a pas dit mais que Ratzinger a entendu : « Avec votre discours de Ratisbonne, vous avez détricoté d’un coup sec tout ce qu’on essayait patiemment de nouer depuis des mois. »
Deuxième Station : Entre deux militaires, déposer une couronne sur le tombeau d’Atatürk. Bref, rendre hommage à l’homme qui a vigoureusement écarté tous les religieux du pouvoir civil. L’homme qui a rendu la Turquie aussi laïque que la France et même un peu plus : ici, ce n’est pas la loi mais la Constitution qui instaure la séparation du religieux et de l’Etat.
Troisième Station : une visite au Président de la République, Ahmet Sezer. Un spécialiste du droit constitutionnel qui sait exactement depuis quand la Turquie a aboli le mélange entre Sultanat et Caliphat puis supprimé le Caliphat. Alors ce chef de l’Etat du Vatican, à la fois Sultan et Caliphe, forcément, ça ne le ravit pas. Pendant que l’interprête traduit, Sezer se demande si Benoît XVI, en visitant Sainte-Sophie, se mettra à genoux comme Paul VI en 1965 ou fera une prière silencieuse et discrète, comme Jean-Paul II en 1979 . Car si le Pape prie à genoux, forcément il y aura des Mususlmans pour exiger qu’ils puissent, eux-aussi, prier dans le musée - ce que la loi turque n’autorise dans aucun bâtiment de l’Etat.
Quatrième Station : Visite et discussion avec Bardakoglu, directeur général des Affaires religieuses. Un fonctionnaire qui encourage la participation des femmes imams... Le pape plutôt « tradi » qui veut réunir et renforcer la chrétienté va rencontrer l’imam qui croit au changement et à l’évolution de l’islam.
Cinquième Station : Mercredi, visite à Ephèse. Pour rappel, ce sont les citoyens d’Ephèse qui ont imposé le culte de Marie. Personne n’ose dire à Benoît que c’est en souvenir de la Déesse-Mère anatolienne puis de ses avatars grecs et romains.
Sixième Station : Jeudi, visite au Patriarche Bartholomée qui lui aussi trouve que Benoît en a trop fait, à la fois sur la candidature de la Turquie à l’Union européenne (dont lui, orthodoxe, attend au contraire une amélioration de l’attitude des pouvoirs publics turcs) et avec son discours de Ratisbonne. Car ce ne sont pas que les catholiques mais tous les chrétiens qui ont dû éponger les dégâts collatéraux. Avec beaucoup de ménagement, Bartholomée expliquera à Benoît que la chrétienté a beaucoup influencé l’Islam - bien plus que ne le comprennent les Chrétiens d’Occident. Bartholomée n’omet jamais d’adresser personnellement ses meilleurs voeux à ses amis turcs pour la fin du Ramadam.
Au moins, sur la vocation européenne de la Turquie, le pape a-t-il déjà mangé sa tiare. Trois jours avant d’arriver à Ankara - mais bah ! A tout pécheur miséricorde.
Septième Station : rencontre avec les catholiques d’Istanbul, qui lui rappelleront que c’est Mgr Roncalli, lors de la messe de Noël 1935, qui le premier a lu un Evangile en turc puis, plus tard, encouragé les sermons en turc. Devenu pape sous le nom de Jean XXIII, ce catholique-là n’a jamais changé d’avis : « J’aime les Turcs, j’apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a aussi sa placé préparée sur les routes de la civilisation. »