Le Juge et le Général

 Dernier rebondissement de ce qui tend à devenir l’affaire de Semdinli, sous-préfecture turque à la frontière iranienne dans laquelle une librairie devait faire l’objet d’un attentat en novembre dernier. Un attentat dont deux des auteurs s’avèrent être des gendarmes.
C’est l’ombre de ce que l’on appelle ici l’état profond, le système de collusion officieux entre les forces de sécurité, les milieux ultranationalistes et parfois la mafia, qui semblait refaire surface après quelques années.

Dans le collimateur figure notamment l’une des figures les plus connues et les plus puissantes de l’état major de l’armée turque, commandant en chef de l’armée de terre et futur chef de l’état-major (août 2006), le Général Yasar Büyükanit. Longtemps en charge de la lutte contre le PKK à la frontière irakienne, il devait déclarer connaître l’un des prévenus qui avait servi sous ses ordres comme traducteur kurde notamment. Le juge en a retenu une atteinte au bon déroulement de la procédure judiciaire.
Militaire charismatique et pragmatique - il l’est l’un des principaux responsables de l’inflexion de l’institution militaire sur Chypre et sur l’Union Européenne notamment -, « Yasar Pacha » devait accueillir ce réquisitoire historique de son flegme habituel, déclarant vouloir assurer lui-même sa défense, s’il était nécessaire de comparaître devant le juge. Pour cela , l’autorisation de l’état-major est absolument nécessaire.

 Semdinli et l’Etat profond sur TE

© Radikal, DHA - le 06/03/2006

VAN - Le réquisitoire préparé par le procureur principal de Van contenant une mise en accusation du Général Büyükanit et qui sera transmis au procureur militaire de l’état-major a reçu le soutien des avocats des victimes. Ce réquisitoire dans lequel le commandant en chef de l’armée de terre est accusé d’avoir tenté d’influencer la justice en déclarant qu’Ali Kaya, l’un des sous-officiers incriminés était un soldat qu’il connaissait, « un bon garçon », contient aussi un mise en accusation de trois officiers supérieurs de la région.

Les avocats des victimes, Cüneyt Caniş ve Murat Timur ont accueilli positivement le fait que le général Büyükanit ainsi que les commandants régionaux soient concernés par ce réquisitoire. « Nous avons toujours affirmé depuis le début de cette affaire que nous ne l’envisagions pas comme le fait de trois personnes isolées qui se seraient entendues. S’il devait y avoir des personnes qui les protègent et les surveillent, alors il serait nécessaire que ces personnes soient aussi concernées par l’instruction et la procédure judicaire. Cet événement est très important du point de vue d’une prise de conscience des citoyens. Quel le procureur ait élargi le domaine de l’instruction et qu’il ne se soit pas limité à un seul état de fait est, selon nous, de la plus haute importance », ont-ils notamment déclaré.

Caniş et Timur devaient également réagir au fait que le réquisitoire ait été transmis aux avocats de la défense sans qu’il leur soit communiqué : « Nous demanderons, lundi (aujourd’hjui, ndlr), au procureur général la raison de cet état de fait. S’il s’avère qu’il y a intention manifeste, quelle qu’elle soit, alors nous réagirons en fonction. »

Le procureur Ferhat Sarıkaya avait requis une peine d’emprisonnement à perpétuité contre le sous-officier Ali Kaya , prévenu dans le cadre des événements de Semdinli. Dans le réquisitoire devaient être soulignés les liens entres les événements survenus depuis le 5 août dernier et les explosions du 9 novembre 2005. Le procureur devait également définir les paroles du général Büyükanit - « je le connais (Ali Kaya, ndlr), c’est un bon garçon » comme une « tentative de peser sur la justice » à la suite de ce que la commission d’enquête parlementaire a qualifié « d’ingérence dans la procédure judiciaire ». Le procureur a fait suivre son réquisitoire au parquet chargé des affaires militaires.

 Le procureur a également requis contre le général de corps d’armée Selahattin Uğurlu (Ordre public - Van), le général de brigade Erdal Öztürk (Hakkari) et le colonel Eren Kubat (gendarmerie de Hakkari) pour abus d’autorité et mauvais usage de l’autorité. Les dossiers de ces trois officiers supérieurs seront envoyés à l’état-major de l’armée turque bien que les trois prévenus dans cette affaire, deux sous-officiers, Ali Kaya ve Özcan İldeniz et un repenti du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, en guérilla contre Ankara) aient déclaré avoir agi à l’insu de leurs supérieurs.

© Radikal, DHA - le 06/03/2006