Ankara a réussi à s’attirer l’estime des chancelleries occidentales par son attitude au cours de la crise des caricatures. Au moment précis où s’ouvrent les chapitres concrets des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Susanna Bastaroli est chroniqueuse pour le journal autrichien Die Presse. Un éclairage singulier depuis l’un des pays les plus réfractaires à l’entrée de la Turquie dans l’UE.
© Die Presse, le 22/02/2006
Il y a quelques mois encore des doutes pesaient de tout leur poids dans le débat : aujourd’hui nombre de gouvernements de pays membres de l’UE regardent la Turquie avec espoir. Le pays à la candidature la plus débattue a tenu un rôle actif d’intermédiaire dans cette crise ouverte entre le monde musulman et l’UE par les caricatures de Mahomet. Pour une Turquie qui s’apprête à engager d’ici quelques semaines la partie concrète des négociations d’adhésion à l’UE, c’est une occasion heureuse et inattendue de préciser encore son profil.
Traditionnellement connue pour son approche critique envers la Turquie, l’Autriche elle-même se lance intensément dans la recherche de contacts avec la Turquie. La ministre des affaires étrangères, en charge pour ce semestre de la Présidence de l’UE, Ursula Plassnik devait officiellement prier son homologue turc, Abdullah Gül, d’avancer des initiatives concrètes propres à développer un dialogue constructif entre les sociétés occidentales et musulmanes.
Gül se rendra donc à Vienne le 8 mars prochain pour rencontrer la troïka européenne. Il participera également au sommet informel des ministres des affaires étrangères de l’UE qui se tiendra à Salzbourg les 10 et 11 mars. Ce représentant de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) est chargé d’avancer des propositions relatives aux possibilités d’une « alliance des civilisations ». C’est le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue espagnol, José Luis Zapatero qui avaient lancé l’idée d’un telle initiative destinée à renforcer les liens de compréhension mutuelle entre les sociétés occidentale et musulmane, l’automne dernier avec le soutien de l’ONU.
Dès le début des manifestations violentes lancées en réaction à ces caricatures du Prophète, Erdogan devait souligner le rôle d’intermédiaire que pouvait jouer son pays en se faisant de la Turquie l’avocat d’une « alliance des civilisations ». Il en a d’ailleurs fait la démonstration au travers d’une lettre ouverte cosignée par Zapatero et publiée par la suite dans le International Herald Tribune. Le chef du gouvernement turc y invitait à la fois les pays occidentaux et le monde musulman à la « responsabilité et au sang froid ».
« De l’intérêt de l’Allemagne »
Ankara devait également faire des efforts afin de prévenir tout débordement des manifestations qui ont eu lieu en Turquie. Et à dire vrai, l’ensemble des manifestations qui se sont déroulées dans ce pays ont été jusqu’à aujourd’hui pacifiques. Cet engagement de la Turquie a trouvé un certain écho dans l’UE également. En Allemagne, même les Chrétiens Démocrates connus pour le peu de chaleur qu’ils manifestent à l’endroit de la perspective d’adhésion de la Turquie à l’UE devaient se féliciter de l’attitude calme et apaisante du gouvernement turc dans cette crise.
C’est le porte-parole du groupe fédéral CDU-CSU, Eckart von Klaeden qui déclarait ces jours derniers que la rapprochement de la Turquie et de l’UE était manifestement de l’intérêt de l’Allemagne tant du point de vue de la politique étrangère que de la politique intérieure. » Le Danemark même, pays où ont été publiées les caricatures en question, est également satisfait de cet état des relations avec la Turquie. Le chef du gouvernement, Anders fogh Rasmussen devait déclarer qu’il trouvait extrèmement positif l’idée d’inviter Abdullah Gül au sommet de Salzbourg comme celle de choisir la Turquie comme intermédiaire dans la crise.
Si l’on considère cette crise encore d’actualité, on peut d’ores et déjà avancer que Gül a gagné l’estime des dirigeants et des opinions publiques européennes. Et la Turquie en a désormais grand besoin, à l’heure où les chapitres concrets des négociations d’adhésion à l’UE sont sur le point d’être ouverts.
© Die Presse, le 22/02/2006