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La question kurde à un tournant (1)

vendredi 17 mars 2006, par Hasan Cemal, Marillac

© Turquie Européenne pour la traduction

© Milliyet, le 14/03/2006

Journaliste au quotidien Milliyet (centre-gauche), Hasan Cemal revient ici sur la conférence historique qui vient de se tenir à Istanbul sur la question kurde en Turquie à l’initiative de trois universités samedi 11 et 12 mars. Journaliste d’expérience, il s’est longuement consacré aux Kurdes et au sud-est anatolien qu’il a sillonné durant la période de guérilla du PKK. Il devait publier un livre entier sur la question - les Kurdes, Dogan Kitap, 2001 - dans lequel il reprenait l’ensemble de ses chroniques, reportages et interviews. Il profite ici de l’occasion donnée par cette conférence pour faire un point de la situation et prédire un contexte radicalement neuf, lourd de menaces mais riche d’opportunités de normalisation.

Le PKK doit déposer les armes !

C’est une première que viennent à nouveau de réaliser les universités de Bogaziçi, Sabanci et Bilgi le week-end dernier après la conférence sur la question arménienne tenue l’année dernière.
De quoi était-il question ?
D’une conférence sur la question kurde.

Le problème encore aujourd’hui le plus criant en Turquie a été librement débattu dans une enceinte académique sous le nom de problème kurde, et ce, pour la première fois dans l’histoire de notre République, c’est-à-dire bien trop tardivement.
Ce ne fut pas la fin du monde. Ce fut une rencontre de haut niveau et très éclairante. C’est même devenu une conférence enthousiasmante plus particulièrement du fait des contributions des femmes kurdes.

Dans les années 60, j’étudiais les sciences politiques, sans avoir jamais entendu le terme de Kurde. Parce que dire Kurde ou Kurdistan, dire « je suis Kurde » signifiait la prison...Dans son allocution de bienvenue, Ümit Firat devait rappeler que les générations précédentes étaient tenues de n’aborder toutes ces questions qu’à huis clos.
En ouvrant la conférence, Murat Belge précisait, quant à lui, « qu’il fut un temps où les endroits où l’on abordait le plus la question kurde étaient les salons des hôtels. Désormais si nous nous réunissons ici en passant les cordons de police, nous sommes en mesure d’aborder cette question dans l’enceinte d’une université. Nous devons prolonger les recherches de solution portées par la société civile et démocratique. »

Ces paroles témoignaient des progrès accomplis. Elles portaient les graines d’un optimisme envers l’avenir. Pouvoir discuter et parler librement... Et pourvoir tout spécialement faire ceci dans un environnement académique...Et de là, pouvoir porter le problème sur la scène politique... Créer des plate-formes qui avec le temps soient en mesure de peser sur les politiques en dépassant les tabous, les clichés, préjugés et autres slogans...

N’oubliez surtout pas : l’indifférence ne fait rien disparaître ! Faire comme si quelque chose n’existe pas ne revient qu’à se tromper soi-même. Regardez un peu : pendant 80 ans ce sont le mot Kurde, la langue et l’identité kurde qui ont été ignorées. Mais ces réalités n’ont pas pour autant disparu. Toute sorte de discussion a été proscrite. Dans les cercles de l’Etat, nous avons laissé le monopole de la question kurde à la bureaucratie civile et militaire.

En outre, on a recouru à la violence et à la contrainte. Nous avons cru que tout se terminerait ainsi. Mais rien n’a cessé.
Le sang a coulé, des souffrances ont été infligées. Le développement et la démocratisation de la Turquie ont encaissé coup sur coup. Toutes les ressources que l’on aurait pu mobiliser pour la prospérité générale ont été consacrées à l’armement et ainsi perdues. La violence a engendré la violence.

Au cours de cette conférence de deux jours et dans ses coulisses, j’ai senti à nouveau toutes les peines que subissent les Kurdes. J’ai été affligé d’écouter la vie de tante Ayse mise en vers par l’avocat de Hakkari (province du sud-est à la frontière irako-iranienne, ndlr) Rojbin Tugan.
Mais n’oubliez pas : les souffrances ne sont jamais unilatérales. De plus, nous ne pouvons pas en rester aux souffrances. Si nos intelligences restent prisonnières du passé, nous ne serons jamais en mesure de fonder un avenir vivable. Répéter les souffrances ne peut pas éclairer la route qui s’ouvre devant nous ; elle ne peut que la fermer. Que faut-il donc faire ?

Une feuille de route ?

Au cours de la conférence, le Président du Parti pour une Société Démocratique (pro-kurde), Ahmet Türk a propose une feuille de route en trois étapes. Et il a ainsi résumé une proposition à laquelle le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, devait apporter son soutien :
« La première étape : que l’Etat cesse ses opérations ; que le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, séparatiste, partisan de la lutte armée entrée en guérilla depuis 1983, ndlr) revienne, comme en 1999, au cessez-le-feu.
La seconde : que l’Etat avance un projet démocratique, que le PKK repasse de l’autre côté de la frontière. La troisième étape : une fois ce projet mis en �uvre, que le PKK dépose les armes...
 »

Mettre le PKK d’un côté... Et l’Etat de l’autre... C’est une position censée placer les deux parties dans un processus de négociation...En sachant ce qu’Ankara peut répondre légitimement à une telle proposition (« On ne négocie pas avec une organisation terroriste »), se fendre d’une telle feuille de route ne peut pas servir à grand chose.
Il faut briser les routines et les slogans !

Comme je l’ai précisé durant mon intervention à la conférence, la priorité consiste en la démilitarisation du PKK. Le PKK enterre définitivement la hache de guerre, et annonce qu’il renonce à la violence. Et le processus s’enclenche à partir de là. C’est seulement ainsi que peut s’entrouvrir la porte d’une normalisation politique susceptible de faire descendre de la montagne ceux qui s’y trouvent encore comme de libérer ceux qui croupissent en prison. Désormais prendre conscience que la voie des armes et de la violence est une impasse et agir en conséquence incombe en tout premier lieu au PKK.
Une autre priorité est la responsabilité des intellectuels kurdes de porter sur la place publique ce qu’ils disent en coulisses, de pouvoir critiquer et interroger ouvertement les méthodes du PKK et de faire pression avec conviction pour que le PKK dise adieu à la violence et au terrorisme.

(à suivre...)

© Milliyet, le 14/03/2006

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