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L’imam Maturidi et la laïcité selon Atatürk (2)

jeudi 16 août 2007, par Neşe Düzel, Sebahat Erol

A l’approche des élections, Neşe Düzel s’était entretenue avec un représentant du parti nationaliste MHP qui avait de fortes chances, d’après les sondages, d’obtenir un bon score aux législatives. C’est un intellectuel de haut niveau qu’elle interroge : Gündüz Aktan. Ambassadeur à la retraite, il a aussi été l’un des anciens présidents de l’ASAM (Centre de recherche stratégique Europe-Asie). Il apparaît aujourd’hui comme l’un des penseurs les plus cohérents et les plus profonds du conservatisme nationaliste et de l’identité nationale turque face aux défis de la mondialisation. Il nous livre dans cette interview un point de vue intéressant sur la laïcité selon Atatürk.

- L’association Turquie Européenne ne se reconnaît pas forcément dans l’ensemble des propos et positions de M. Aktan. Il ne nous apparaît pas moins intéressant de les diffuser pour la simple pertinence des arguments avancés et du débat proposé.

(...) Première partie de l’article

Et quelle est la position du MHP concernant nos relations avec les Etats-Unis ?

Depuis quelque temps, les relations entre la Turquie et les Etats-Unis sont en train de se dégrader. Et il n’y a pas de signe d’amélioration. Sur la question de l’intégrité territoriale de l’Irak, les deux pays ont des politiques difficilement conciliables. On ne peut pas le cacher. Selon toute apparence, les Etats-Unis souhaitent que la province kurde du Nord irakien devienne un Etat. J’ai sorti tous les documents de la CIA révélés pas Rusen Cakir dans le journal Vatan. Dans le rapport de la CIA rédigé en 1992, il est écrit : « S’il y a un mouvement de création d’un Etat indépendant dans le Nord irakien, cela renforcera le mouvement pankurdiste et cela permettra d’envisager des demandes de territoires aux pays voisins. » Je crois que les Américains ont commencé à aller dans ce sens. On a l’impression que les Etats-Unis soutiennent désormais la création d’un Etat kurde dans le Nord irakien ainsi que le développement du pankurdisme qui en résultera. La Turquie ne vit pas un simple problème de terrorisme. Nous avons devant nous un PKK qui mène une lutte armée pour nous prendre des terres et un parti DTP qui mène ce mouvement. Nous nous trouvons face à un projet de démembrement de la Turquie.

Si, comme vous l’avez affirmé au début de notre interview, « la politique est synonyme de discours », dans le discours du DTP, il n’y a rien qui indique une volonté de « séparation ». Au contraire, ils affirment constamment qu’ils ne veulent pas de séparation.

Ce qu’ils veulent, c’est l’existence, en Turquie, de deux identités nationales. Ils veulent un système basé sur deux éléments, les éléments turc et kurde. Un tel régime est une fédération. Cela peut être une confédération ou bien une région autonome.

Si un Etat kurde indépendant est créé en Irak, est-ce que la Turquie risque d’être divisée ?

La CIA l’affirme dans son rapport. Elle dit que le mouvement pankurdiste peut alors se développer. Et à mon sens, la Turquie connaîtra un démembrement. Cela peut se produire dans une période de 5-10 ans.

Dans sa campagne électorale, le MHP a estimé que les Etats-Unis pouvaient être partenaire stratégique. Est-ce ainsi qu’il voit les Etats-Unis ?

Oui, sous certaines conditions. Il faut résoudre le problème dont je parlais pour améliorer nos relations avec les Etats-Unis qui se sont dangereusement dégradées. Car la question du Nord irakien est l’éternel problème de la Turquie. Si nous arrivons à résoudre ce problème, nous pourrons passer à des relations stratégiques.

Si le MHP arrive au pouvoir, comment va-t-il aborder le problème kurde ? Croit-il qu’il va résoudre ce problème en entrant dans le Nord Irak ?

Nous ne devons pas mélanger le séparatisme kurde et la situation de nos concitoyens kurdes qui vivent avec nous. Personnellement, je suis pour les droits individuels et culturels mais contre le communautarisme. Nous ne pourrons pas aller plus loin. D’ailleurs, pour l’UE aussi, les droits culturels sont des droits « individuels ». Le problème kurde, c’est le terrorisme du PKK. C’est la dimension politique et armée du mouvement séparatiste. Pour moi, une opération contre le Nord irakien n’est pas une opération contre le PKK. C’est une opération contre Barzani. En effet, Barzani a commencé à défendre le pankurdisme. Il nous dit : « Moi, je n’empêcherai pas le PKK d’agir. C’est à vous de trouver une solution politique. Le PKK peut utiliser nos terres comme base de ses opérations. »Il faut que Barzani change sa politique. Une opération contre lui résoudrait-elle le problème, c’est à voir…

Qu’en pensez-vous ?

Je pense que d’une certaine façon, cela repousserait le problème. Si nous menons une opération, ils ne pourront plus faire entrer aussi facilement leurs C4 et leurs hommes. Ils verront ce que cela peut leur coûter. En fait, certaines choses, vous ne les faites pas pour résoudre le problème mais pour soutenir votre thèse, accroître votre force, élargir votre terrain. Cette opération doit se poursuivre jusqu’au but fixé, c’est-à-dire jusqu’à ce que Barzani nous dise : « Je ne donnerai plus jamais à quiconque la possibilité de vous attaquer. » Pour moi, l’ennemi, c’est Barzani, car l’autre côté de la frontière lui appartient… Je ne m’occuperai même pas de Kandil…

Et quel est votre point de vue sur le procès qui vient de commencer concernant l’assassinat de Hrant Dink ? Condamnez-vous cet assassinat ? Ou bien condamnez-vous ceux qui le condamnent ?

Non. Hrant Dink défendait des idées complètement opposées aux miennes sur le problème arménien. En tant qu’Arménien, il défend ce qu’il veut. Je ne peux consentir à ce qu’un homme ait pu être assassiné pour cela. De plus, au nom de la liberté d’expression aussi, il avait le droit d’affirmer ce qu’il voulait. Je suis contre le fait de défendre les thèses de la Turquie par des moyens juridiques.

C’est-à-dire qu’on doit pouvoir dire en Turquie qu’« il y a eu un génocide » ? Par exemple un de nos citoyens arméniens doit-il pouvoir dire qu’« il y a eu un génocide arménien » ?

Il peut tout à fait le dire. Il n’y a aucun problème. Bien sûr qu’il peut le dire. Pour moi, ce qui est un problème, c’est que les Occidentaux acceptent de considérer comme du négationnisme le fait de dire « il n’y a pas eu de génocide ». Cela est inadmissible. J’ai assisté à l’étranger à une bonne vingtaine de conférences sur ce thème. A chaque fois, j’ai risqué ma vie. Il est indispensable que la Justice condamne la mort de Hrant Dink et fasse toute la lumière sur cette affaire. Mais nos amis qui défendent cela ne défendent pas notre liberté d’expression à nous à l’étranger et notre droit de vivre.

Si le MHP arrive au pouvoir, qu’est-ce qui changera concrètement dans notre vie ?

Pour moi, vous aurez à lutter. Lutter dans le cadre de l’UE, lutter contre les affirmations de génocide, lutter à Chypre, lutter contre le PKK, lutter contre le pankurdisme au Nord Irak … La Turquie est arrivée dans une telle situation que si nous ne menons pas ces combats, nous connaîtrons de grandes difficultés. Avec le MHP au pouvoir, ce qui nous attend, c’est la négociation, le marchandage, la lutte. Par exemple, la politique chypriote de la Turquie était à la fois la politique de l’Etat et celle des gouvernements qui ont précédé l’AKP. Pour la première fois jusqu’à ce jour, un gouvernement s’est permis de changer la politique menée à Chypre et dans le Sud-Est par l’Etat et les gouvernements antérieurs. Nous reviendrons à cette politique. Car il n’y a pas d’autre solution. A Chypre, l’AKP a accordé à nos adversaires tout ce qu’ils voulaient. Mais depuis que les Grecs ont rejeté le Plan Annan, la solution est désormais une solution qui concerne deux Etats, deux peuples. Le MHP soutient ce point de vue.

Et dans le Sud-Est, sur quoi allez-vous revenir ?

Dans le précédent gouvernement de coalition, le MHP a accepté le quatrième paquet des exigences de l’UE. Il a accepté l’enseignement et les émissions en kurde. Il s’agit de deux droits individuels, de la reconnaissance de l’identité culturelle. Mais la République Turque est un Etat-nation. L’identité turque, c’est l’identité de cet Etat-nation. La laïcité et la structure d’Etat-nation constituent les fondements de la République. Les fondements des républiques, des états, ne peuvent être discutés. Si on le fait, on retourne aux conditions de départ. Mais aujourd’hui, tout d’un coup, l’identité ethnique s’est substituée à l’identité turque. Si vous remplacez l’identité turque par l’identité ethnique, vous démembrez la Turquie car à ce moment-là, l’identité turque sera sur le même plan que les identités kurde, laze, géorgienne, tcherkesse. L’Etat-nation n’aura plus cette identité globale qui l’emporte sur les identités ethniques. Nous serons alors divisés.

Est-ce que vous comptez de nouveau dire aux Kurdes qu’ils sont Turcs ?

Non, non… En tant que peuple, tout le monde est Turc. Mais en tant que groupe ethnique, chacun peut dire ce qu’il veut. Si un Kurde, sur le plan ethnique, veut dire « Je suis Kurde », il doit pouvoir le dire. On doit pouvoir dire aussi qu’on est Arabe, Géorgien, Laz. Le Kurde dira : « Je suis Turc et en même temps, je suis Kurde. »

Etre Turc est aussi une identité ethnique. Que dira le Turc ? Dira-t-il : « Je suis Turc et en même temps, je suis Turc. » ?

Tout simplement. On n’inventera plus des expressions du genre « citoyens de Turquie ». Cette Nation est la Nation turque. Les Kurdes ne peuvent parler de Nation kurde, ni de peuple kurde. En effet, cela voudrait alors dire qu’ils ont le droit de déterminer leur destin ; or, les Kurdes ont déjà utilisé ce droit. Le Congrès d’Erzurum, la Convention nationale, la Guerre d’Indépendance menée ensemble montrent que ce droit a été largement utilisé. Dans l’Histoire, ce droit s’utilise une seule fois. Pas deux.

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Sources

Traduction Sebahat Erol - © Turquie Européenne 2007

Article original dans Radikal - 9 juillet 2007 : Atatürk laikliği İmam Maturidi’nin yoludur

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