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Esprit laïc es-tu là ?

dimanche 5 février 2006, par Henri Sylvestre

Henri Sylvestre - Turquie Européenne


La réaction d’un de nos collaborateurs aux réactions violentes et aux appels à la censure provoqués par quelques caricatures publiées dans un journal Danois.


Atatürk doit se retourner dans sa tombe. Le pauvre, lui qui a supprimé le califat, le port du voile, qui n’a jamais eu peur de se bagarrer contre la religion et les religieux, qui a laïcisé son pays, donné le droit de vote aux femmes. Voir ces foules hurlantes, agressives, haineuses, et toute la cohorte des extrémistes, des nationalistes, des bien-pensants, se mobiliser contre quelques caricatures, doit lui donner un bien triste sentiment de régression.


Car quand le religieux envahit l’espace public, quand le religieux rétablit la censure ou pire instruits des procès et demande des sanctions, il y a forcément régression par rapport à un idéal laïque. Il a fallu des siècles à l’Europe pour qu’elle se débarrasser de l’Inquisition, pour qu’elle laisse à la place qui leur revient papes, curés, pasteurs, rabbins et autres directeurs de conscience, pour que l’esprit des Lumières soit appliqué dans les institutions publiques, pour que la connaissance et l’esprit critique soit reconnus comme des valeurs fondamentales. Pour que la liberté d’expression soit admise par tous, y compris par ceux qui peuvent en faire les frais. Trop d’imperfections, de manques, subsistent encore et tout recul en est d’autant plus douloureux.


Alors je suis triste et inquiet lorsque je n’entends que trop peu de voix turques dire que ces réactions sont contraires aux principes qui ont fondé le pays, demander que l’on examine objectivement et impartialement l’importance de ces dessins, demander que l’on ne réponde pas à ces manipulations ou provocations. Car ce n’est certainement pas un hasard si cela se produit maintenant, alors que les dessins sont sortis en septembre et octobre 2005, alors que des représentations, caricatures ou histoires relatives à Mahomet sont publiées en Europe, voire peut-être même dans certains pays musulmans, depuis plus de vingt ans. Maintenant que la Turquie est candidate à l’UE, que le Hamas vient de remporter les élections en Palestine, que l’Iran refuse de discuter de son programme nucléaire, que les armées occidentales sont présentes en Afghanistan et en Irak. On est bien loin du religieux dans la motivation. Et de la laïcité dans les faits.


Mais oublions ces évènements qui nous dépassent et revenons aux principes : tolérance, respect, cohabitation des cultures. On ne peut qu’approuver. Cela demande réciprocité et échanges permanents et ne peut effectivement trouver place que dans le cadre de la laïcité. Alors que penser lorsqu’en France une instance religieuse demande que des journalistes soient condamnés pour délit d’opinion ? N’y a-t-il pas confusion des genres ?


Enfin, je ne peux pas croire que la majorité des musulmans turcs puissent se sentir visés par ces caricatures qui n’attaquent pas la religion mais l’utilisation qui en est faite. Au-delà de cette blessure infligées aux croyants, et il en existe certainement de bien plus graves. Il appartient aux élites civiles, et religieuses si cela est possible, d’analyser, critiquer, comprendre, expliquer, ces caricatures sans exciter, en retour, une forme plus violente encore d’intolérance et d’incompréhension. Ce sont là les conditions de la liberté de conscience.


Note de la rédaction :


Si on peut contester l’intention et même la forme de certains de ces dessins à cause de leur côté généralisateur, la liberté d’expression, même du mauvais goût doit rester la règle. Pour combattre la désinformation et les discours islamophobes, il convient d’utiliser la pédagogie et non de justifier la violence.


Il est malheureusement très significatif de la part de certains des manifestants que l’on a vu crier leur haine qu’ils s’en prennent aux états pour n’avoir pas empêché la publication de ces dessins. Il n’est pas du rôle de gouvernements démocratiques de censurer la presse et encore moins de se méler de religion. Mais comme chez nous certains n’en sont toujours pas convaincus, rappelez vous de l’hystérie provoquée par le film « La dernière tentation du Christ », comment pourrait-il en être autrement dans des pays ou la religion prétend règler la vie sociale dans ses moindres détails : Pakistan, Palestine Iran ou Arabie Saoudite ?


En Turquie, certaines réactions ont, en effet, de quoi agacer et montrent que la laïcité n’est pas encore une évidence pour tous. Faut-il rappeler que des caricaturistes turcs avaient représenté le Pape dégoulinant de sang recevant Abdullah Öcalan ? Aucune bonne âme n’avait protesté de cette « insulte » à la Chrétienté, donc les offusqués d’aujourd’hui le sont bien parce qu’il s’agit de l’Islam. Dans un pays laïc, on ne doit pas pratiquer ainsi deux poids deux mesures.


Heureusement le dessin d’Emre Ulaş que nous publions en première page et le fait qu’il ait pu paraître dans le quotidien Radikal, montrent que certains sont lucides sur ce prétendu scandale et que ce n’est pas demain que les mollahs dicteront leur loi à Ankara ou à Istanbul.


Reynald Beaufort

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