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Espagne, Turquie : et la démocratie ?

mardi 26 juin 2007, par Ismet Berkan, Marillac

Si je n’avais pas eu en mains l’édition anglaise de El Pais le week-end dernier, je ne m’en serais pas rendu compte. Le 15 juin a marqué le 30e anniversaire du passage à la démocratie en Espagne. Eh oui, vous n’avez pas mal lu : la démocratie n’a que trois décennies d’histoire en Espagne.

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Après 36 ans de dictature franquiste, le peuple espagnol a pu pour la première fois voter librement le 15 juin 1977. Dans le gouvernement issus de ces élections celui de Adolfo Suarez, nombre de ministres étaient issus des rangs de la dictature. Et le pays, confronté aux mouvements et pressions séparatistes basques et catalanes se retrouvaient au bord d’une forte tempête politique. Mais Suarez a su brillamment gérer cette délicate période de transition. Et l’Espagne est devenue cette démocratie que nous regardons non sans envie.

Retournons-nous vers la Turquie. Nous avons connu nos premières élections pluripartites en 1946, dans des conditions très discutables. L’alternance a pu s’opérer de manière pacifique en 1950, après 37 années durant lesquelles le parti unique avait su diriger le pays, sans hésiter à recourir à la force de temps à autre. Voilà un « nouveau » parti qui s’installait.

En 1960, nous avons vécu notre premier coup d’Etat. La suite devait nous apporter, dans une durée relativement brève, deux tentatives sérieuses de coup de force. En 1972, existait au sein de l’armée toute une influente organisation de sensibilité plutôt à gauche. Mais au final, c’est une junte de droite qui l’a emporté et les militaires ont conduit le gouvernement élu, et relativement bien élu dans le pays, à la démission : ils ont ainsi ouvert la voie à un régime de transition, sorte de semi régime militaire.
Ayant violenté tous les équilibres politiques, la décennie 70 s’est déroulée dans un grave chaos politique marqué par une vague d’irrépressibles violences (pendant ce temps, au Parlement, se retrouvait un groupe d’officiers responsables du coup d’Etat de 1960 : le « Groupe de l’Union Nationale »).

Le 12 septembre 1980, nous avons connu un autre coup d’Etat. La junte au pouvoir a soumis à l’approbation populaire la constitution qu’elle avait préparée sans laisser aucune place au débat et en interdisant de mener une campagne pour le non. La même junte a décidé parti par parti et candidat après candidat des candidatures envisageables pour les élections de la fin de l’année 1983.

Trois partis ont pu participer à ce scrutin. Deux de ces partis ont essuyé grand nombre de veto sur les noms de leurs candidats. Et malheureusement, le vainqueur du scrutin, Turgut Özal n’était pas Suarez. Et les suivants non plus.

Sans doute à cause de cette impossibilité du régime de se sortir de l’ombre du 12 septembre, de se normaliser, les militaires sont à nouveau intervenus dans les affaires civiles en 1997 en forçant un gouvernement à démissionner par des menaces de coup d’Etat. Même sans la pression que connut le pays en 1972, les militaires en ont profité pour faire enregistrer un certain nombre de réformes par le parlement dans la période qui suivit.

Et aujourd’hui, 10 ans après ce dernier coup d’Etat que l’on dit coup d’Etat post-moderne, nous voilà replongés dans cette atmosphère de pressions de l’armée sur les choses civiles. L’armée s’est ouvertement mêlée de l’élection présidentielle. Et, sous la pression, la cour constitutionnelle en a annulé le processus. Aujourd’hui, la possibilité d’un coup d’Etat est encore forte et lorsque les militaires se mettent à parler, tout le monde se tait. Nous nous acheminons tout droit vers des élections législatives qui seront cruciales pour la démocratie elle-même.

* *

Lorsque l’Espagne est passée peut-être pour la première fois dans son histoire à une phase véritablement démocratique, elle était un pays aussi pauvre que l’est la Turquie aujourd’hui. Quatre ans après les premières élections, certains militaires ont fait pression sur le Parlement, ont tenté un coup d’Etat ; mais l’ensemble de la société civile s’est rassemblé et grâce au Roi, la tentative de coup d’Etat a échoué. Aujourd’hui l’Espagne est devenue un pays dont on ne peut pas même une seconde douter de la démocratie, où l’année dernière encore un militaire qui s’était fendu d’un discours politique a été immédiatement mis en retraite. Un pays bien plus riche et prospère que la Turquie.

Si le terrorisme basque est encore un problème important, il n’a rien de comparable avec celui auquel nous sommes nous affrontés.

Et puis, il y a la Turquie. Voilà un pays qui n’a connu d’essors économiques que dans les périodes de relative démocratie et non pas sous la pression des militaires. Mais notre niveau suffisant de démocratie a été fixé il y a 3 ans. Depuis nous reculons. Notre prospérité, comme notre niveau de vie sont bien en deçà de ce qu’ils sont en Espagne. Nous sommes incapables de trouver quelque solution militaire que ce soit au terrorisme et on ne peut pas dire non plus que nous nous battons pour y trouver une solution politique.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais cette comparaison peut-elle faire sens ?

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