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D’où sortent donc toutes ces bandes armées ?

lundi 5 juin 2006, par Haluk Sahin

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 03/06/2006

Depuis l’attentat contre le Conseil d’Etat, l’actualité turque est quotidiennement occupée par de nouvelles révélations concernant des groupes armés occultes aux motivations politico-idéologiques et aux méthodes mafieuses. Parmi les prévenus figurent nombre d’anciens militaires ; les dénonciations s’enchaînent, entraînant de nouvelles arrestations. Rumeurs et désinformation sont à leur comble. Dans cette confusion, Haluk Sahin revient sur le contexte général d’une société turque perturbée par quelques années de réformes inédites.

Dans l’actualité turque, une bande organisée en suit une autre. Sans que nous ayons pu saisir les ressorts de l’action d’un de ces groupes, c’en est un autre qui part à l’assaut des unes de nos quotidiens. Dans l’un de nos journaux, on annonçait hier que pas moins de 14 bandes organisées figuraient sur le devant de la scène médiatique et policière. Et il est fort possible en fait que tout cela ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Personne ne s’étonnera que dans le pays il y ait autant de bandes armées que d’organisations de la société civile !

Il est certain que nous ne savons pas grand chose, la désinformation étant une spécialité à Ankara. Pour autant, tout ce flou n’efface pas la réalité de l’organisation en bandes armées.
Comment rendre compte de ce terrifiant état des lieux qui s’impose à nous alors que nous nous efforçons d’avancer sur la voie de la démocratisation ? Que s’est-il donc passé pour que s’engendrent et se multiplient autant de bandes armées ? Qui est donc responsable d’une telle situation ?

Pour pouvoir répondre à une telle question, il convient de ne pas considérer que les seuls événements mais bien l’ensemble de leur contexte.

Sur le fond idéologique de la montée en puissance de ce phénomène, il est clair que se tiennent à la fois l’avancée de la Turquie dans ses rapports avec l’Europe comme l’arrivée au pouvoir, sans l’appui d’une coalition, du Parti de la Justice et du Développement (AKP). Si ces deux événements avaient été vécus séparément, nous aurions connu des réactions mais leur conjonction n’a pas peu contribué à susciter une synergie plus négative encore ; elle a rassemblé des groupes qui autrement ne se seraient jamais rencontrés. En fait, ces deux institutions normalement séparées par une certaine distance, l’UE et l’AKP, se sont trouvées réunies comme par un lien tout naturel et ont été dénoncées commes les principales actrices d’un complot monté contre la Turquie.

Et c’est dans ce contexte que la littérature « de la lame de fond » a commencé à connaître un intérêt de plus en plus affirmé. Si l’on en croyait les porte-parole de cette littérature, les trois choses que notre pays avait le plus à craindre tendaient à se réaliser simultanément : la perte de souveraineté de la République de Turquie à mesure de son rapprochement de l’UE, la partition ethnique du pays et le relâchement laïque nous conduisant à une république islamique !
En gros, c’est toute la patrie que nous étions sur le point de perdre ! Mais toujours d’après ces voix venues des profondeurs, le peuple aurait commencé de se réveiller. Il aurait compris que, le gouvernement, le grand capital et les média étant entres les mains des traîtres, que lui incombait la tâche de sauver la patrie.

Cette mission idéologique devait fortement séduire une partie de la population intéressée par ces questions et appréciant les comparaisons simplistes. Avec l’aide de la plus fine à la plus grossière des plumes les plus célèbres de ce pays, c’est toute une idéologie de réaction qui s’est développée par strates successives. La classification en patriotes et traîtres devait ensuite suffire à montrer ce qu’il restait à accomplir. La structuration idéologique et la légitimation de la violence de bande ne se sont pas opérées sans l’aide de certains intellectuels célèbres de ce pays.

Pendant ce temps, le gouvernement AKP, incapable (ou ne voulant pas) supprimer les doutes relatifs à ses intentions secrètes d’islamisation de la Turquie comme de gérer les crises liées à la question laïque, tout en irritant derechef les vieilles plaies allergogènes sans renoncer à placer les siens aux postes clés de la bureaucratie, n’a pas peu contribué à élargir et à renforcer encore le groupe entré en réaction.

Chez certains s’est généralisée l’idée du « pourvu que ce ne soient plus eux (l’AKP), n’importe qui fera l’affaire ».

La majorité de ces gens-là ont catégoriquement refusé l’emploi de méthodes anti-démocratiques, mais pour ceux à l’affût d’une occasion, le contexte était trop beau pour ne pas recourir aux armes.
Le phénomène « vallée des loups », la série comme le film, était le signe du degré d’exaspération atteint. On a réglé son compte à l’ennemi dans la fiction : il était temps de passer à l’action dans la vie réelle.
En se disant séduits par le film, le premier ministre et ses proches ont fait preuve de leur grande naïveté et impuissance à lire l’état réel du pays.
Le résultat est là.

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