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Attaque islamiste, mais encore...

mercredi 24 mai 2006, par Marillac, Taha Akyol

© Turquie Européenne pour la traduction

© Milliyet, le 23/05/2006

« Attaque islamiste contre la laïcité » : voilà la conclusion à laquelle nous étions invités après l’irruption et le mitraillage de juges du Conseil d’Etat aux cris de « Allah est grand », la semaine dernière à Ankara.
Immédiatement utilisé par l’opposition bureaucratique, militaire et politique au gouvernement islamo-conservateur de l’AKP, l’évènement dont l’auteur a été appréhendé ne semble pourtant pas aussi transparent qu’il y paraissait à première vue : le tueur est aussi nationaliste qu’islamiste, adepte d’une synthèse qui fit les « grandes heures » de la main-mise militaire sur la Turquie, lié à la mafia, à l’extrême droite comme à des officiers en retraite, eux-mêmes plus ou moins liés aux officines secrètes de la contre-guérilla, véritables « aiguillons de crises » en Turquie. Un schéma bien connu en Turquie depuis les affaires Mehmet Ali Ağca et autres scandales de Susurluk.
La lumière reste encore à faire sur cette affaire mais il semble déjà que complot ou pas, certains cercles soient à l’œuvre en Turquie pour créer et entretenir une tension préjudiciable à toute évolution démocratique mais favorable à leur dessein de préservation du statu quo. Deux terrains symboliques sont particulièrement propices aux dérapages comme le souligne Baskın Oran dans son éditorial : la question islamo-musulmane et la question kurde. Après l’affaire de Semdinli, plus ou moins étouffée par l’armée, de concert avec le gouvernement, et les émeutes urbaines dans le Sud-Est à majorité kurde en début d’année, la lumière sur ces derniers évènements devrait nous aider à nous faire une idée plus précise des manœuvres lancées sur le terrain de l’islam et de la laïcité.

- Taha Akyol, journaliste et homme de télévision, revient ici, avec la prudence qu’on lui connaît, sur les développements d’une enquête qui nous apprenait hier qu’on pouvait retrouver une partie du contexte du scandale de Susurluk dans cette affaire. A suivre...


Les auteurs de l’attaque du Conseil d’Etat et des agressions contre le journal Cumhuriyet sont connus : ce sont l’avocat Alparslan Arslan et ses amis - Mais derrière eux ?

Le lien entre Alparslan et le capitaine en retraite Muzaffer Tekin (appréhendé par la police comme le commanditaire de l’attentat, Tekin disparaît le jour de l’attaque pour réapparaître le surlendemain aux urgences d’un hôpital auxquelles il a été conduit par des amis, après avoir tenté de se suicider) est à cet égard de la plus haute importance. C’est en partant de ces relations-là que l’on peut remonter à des mouvements comme celui de « la coalition de la pomme rouge » (coalition hétéroclite de forces nationalo-conservatrices en Turquie, la pomme rouge correspondant à un symbole fondateur de la race turque issue d’Asie centrale) ou bien « l’Union des forces patriotes » voire même jusqu’à des organisations comme celle de la « résistance turque » (TMT, forces formées et armées par des officiers de l’armée turque pour faire face aux attaques des Grecs de l’EOKA sur l’île de Chypre au début des années 60. Le leader historique des Chypro turcs, Rauf Denktas, en étant l’un des leaders, on peut également parler des réseaux Denktas, très influents en Turquie) qui ne manquent pas de faire sortir au grand jour ces structures interlopes qu’on associe ici à l’Etat profond. Au cours des recherches menées aux domiciles des prévenus, on a retrouvé des ouvrages des éditions Ulusalci
(nationaliste), le « manuel du renseignement et de la guérilla » comme le célèbre « livre rouge » ( ou, de son vrai nom, le « document politique sur la Sécurité Nationale », considéré comme une sorte de constitution secrète, il correspond à une série de consignes préparée à l’insu de la représentation nationale et remise à chaque chef de gouvernement lors de son entrée en fonction, comme la pierre philosophale de la conformité républicaine. Document secret et non diffusé, on le retrouve pourtant au domicile de l’un des prévenus.
« Le livre rouge a été mis sur le marché de l’édition et nous n’en savions rien », raillait hier l’éditorialiste du quotidien Zaman, Taner Korkmaz
)

La villa dans laquelle la capitaine Tekin a tenté de se suicider appartient à un sous-officier ! Ceux qui l’ont conduit à l’hôpital sont d’anciens officiers ! Le père du capitaine Tekin n’est autre que le commandant Raci Tekin surnommé le « Boucher » et qui s’est rendu célèbre en battant le journaliste Ilhami Soysal. Il en est qui dans la presse se sont empressés d’insister sur le facteur génétique.
Ce tableau, diffusé en détails dans les médias, nous oriente vers les côtés sombres de l’Etat profond.

Le rôle du capitaine ?

D’après Cengiz Candar (journaliste et écrivain), la société de conseil Condor Adviser a produit un rapport sur la Turquie. Il y est précisé que pour empêcher l’élection d’un candidat de l’AKP à la présidence de la République, « les élites laïques du pays sont prêtes à tout. »
D’où la théorie du complot : pour empêcher l’élection à la Présidence de la République du candidat AKP, l’Etat profond a organisé cette attaque en instrumentalisant Alparslan Arslan.
Regardez donc dans quelle situation le gouvernement est tombé ! La résistance laïque s’est considérablement renforcée ! Et le chef d’état-major de l’armée turque d’appeler à la perpétuation de cet état de choses !

Je suis de ceux qui ne considèrent les théories du complot qu’avec circonspection. Le point central dans cette affaire, c’est la nature des relations entre l’ancien capitaine Tekin et Alparslan. Ces relations sont-elles suffisamment proches pour accréditer l’hypothèse évoquée d’une bande ou d’une organisation ? Leur relation revêt-elle une dimension opérationnelle ? Ou bien sont-ils en contact de temps en temps du fait qu’ils évoluent dans le même environnement ? Nous ne le savons pas encore très précisément.

Ne négligeons aucune hypothèse mais il est encore trop tôt pour parler d’une attaque islamiste contre la laïcité menée avec l’intention de causer du tort au gouvernement, comme pour évoquer une œuvre de l’Etat profond, hypothèse qui viendrait rassurer le gouvernement.

La ressemblance avec Ağca

Par les travers de sa personnalité Alparslan Arslan ressemble à Ağca. Ses « compagnons » se recrutent parmi des éléments de la mafia des recouvreurs de dettes et des hommes fichés pour vol ou crime. Il n’est pas possible de les qualifier, sur un plan idéologique, d’islamiste, de panturquistes, de nationalistes ou « d’étatistes », mais ce genre de personnages est en mesure de commettre des forfaits pour des motifs nationalistes, panturquistes, etc...

Il en va ainsi de la race des « terreurs ». Dénué de tout programme idéologique, ils sont capables de déverser leur haine maladive un jour ici, un jour là. Un jour parce que l’interdiction du port du voile les dérange, un autre parce que sur Chypre, "l’UE nous prend la tête », ils sont capables de passer à l’action !
Et ils ne sont pas peu à réagir ainsi en Turquie !
S’il s’agit d’une organisation, vous pouvez encore trouver une solution, mais il est bien difficile de déterminer comment des éléments d’une masse aussi informe et malade vont s’organiser et passer à l’action !

Et par-dessus le marché, ce genre d’individus est facilement manipulable par des « forces secrètes ».
La mesure la plus importante consiste aujourd’hui à réduire la tension. Et à faire toute la lumière sur cet évènement comme sur tous les faits douteux de façon à ce que personne ne puisse en tirer profit.

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