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Turquie : Nouvel imbroglio au sein du parti d’opposition

jeudi 1er mars 2012, par Jean Marcou

Le CHP fait de nouveau face à de sérieuses divisions, qui entravent son bon fonctionnement et ses espoirs de renouveau. Confrontée à une fronde intestine, la formation kémaliste risque en effet d’être amenée à tenir deux congrès, l’un le 26 février, à l’appel de la direction du parti, et l’autre le lendemain, convoqué par une partie de son opposition interne. Mais le pire est que ces deux congrès pourraient bien ne pas avoir lieu, si aucun d’eux ne réussi à rassembler le nombre de délégués nécessaires…

C’est la résistance de la vieille garde du CHP qui est à l’origine de cette nouvelle gabegie. Cette vieille garde n’est d’ailleurs même pas unie, et se divise entre, d’une part, les partisans de l’ancien et longtemps indéboulonnable leader du parti, Deniz Baykal, regroupés autour de Mehmet Sevigen, et d’autre part, les proches de l’ancien secrétaire général, Önder Sav. Tandis que la « tendance Sav » entend tenir un contre-congrès pour contrer celui de la direction, la « tendance Baykal » ne s’est prononcée en faveur d’aucun des deux congrès. Toutefois, ces deux factions se retrouvent pour s’opposer au projet de Kemal Kılıçdaroğlu de transformer les statuts du parti, notamment pour permettre l’arrivée de nouveaux cadres.

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Congrèsdu CHP le 26 février 2012.

Cette ultime querelle interne est la conséquence de la succession mal réglée de Deniz Baykal, dont la démission en mai 2010 a permis à Kemal Kılıçdaroğlu d’accéder à la tête du parti. Rappelons que le départ de Deniz Baykal fut la conséquence de la publication, le 7 mai 2010, sur internet, d’une vidéo le montrant dans une situation compromettante avec l’une des députées de son parti, Nesrin Baytoz, qui fut aussi sa collaboratrice, pendant plusieurs années (cf. notre édition du 10 mai 2010 - « Fin de partie pour Deniz Baykal. »). La démission de Baykal fut d’abord interprétée comme un faux départ, l’intéressé, dans le passé, étant déjà parti plusieurs fois pour mieux revenir (cf. nos éditions du 11 mai 2010 - « La démission de Deniz Baykal et la perspective de sa succession suscitent des pronostics incertains. » et du 12 mai 2010 - « La campagne pour la « restauration » de Deniz Baykal a commencé… »). Mais, le cours des événements n’allait pas permettre à Baykal de rééditer ce genre d’exploit, son fidèle secrétaire général Önder Sav ayant finalement rallié la cause de Kemal Kılıçdaroğlu, qui apparaissait, depuis les élections locales de 2009, comme l’étoile montante du parti, pour avoir brillamment gêné la réélection du maire AKP d’Istanbul, Kadir Topbaş.

La venue du nouveau leader allait créer de toute évidence un élan d’enthousiasme au sein du vieux parti (cf. notre édition du 23 mai 2010 - « Kemal Kılıçdaroğlu élu nouveau leader du CHP par un congrès enthousiaste. »). De nombreuses personnalités, qui l’avaient délaissé, parce qu’ils se désespéraient de la ligne politique chauvine suivie par Deniz Baykal, allaient notamment y revenir. Pourtant Kemal Kılıçdaroğlu eut du mal à s’imposer dans les instances dirigeantes du CHP (cf. notre édition du 25 mai 2010 - « Kemal Kılıçdaroğlu s’installe à la tête du CHP. »). Il a fallu attendre novembre 2010, pour qu’Önder Sav abandonne enfin le poste de secrétaire général qu’il y occupait depuis 10 ans (cf. article d’Elise Massicard du 11 novembre 2010 - « Révolution de palais au CHP ? »).

Par la suite, toutefois, les deux figures emblématiques de la veille garde, Deniz Baykal et son frère désormais ennemi, Önder Sav, n’ont pas désarmé pour autant, en continuant à user de leurs relais et de leur influence au sein d’une formation qu’ils connaissent comme leur poche, pour gêner l’action de Kemal Kılıçdaroğlu. Le fait que ce dernier ne soit pas parvenu à convaincre de sa capacité à promouvoir l’alternance politique, a en outre favorisé la survie de la capacité de nuire des deux compères. Si lors des élections législatives de juin 2011, en effet, le CHP a connu un frémissement en passant de 20,8% à 25,9%, il n’a pas pour autant réussi à empêcher une nouvelle victoire écrasante de l’AKP (cf. nos éditions des 13 juin 2011 - L’AKP remporte largement ses troisièmes élections législatives consécutives, mais sans obtenir la majorité des deux tiers et 14 juin 2011 - Turquie : après les élections législatives, satisfactions et frustrations…) Ce nouveau revers du parti kémaliste a redonné des forces à la vieille garde qui, rendant Kemal Kılıçdaroğlu responsable de cet échec, a recommencé à s’agiter, en réclamant un congrès extraordinaire. Quelques mois plus tard, en novembre 2011, la crédibilité du leader kémaliste a été plus profondément entamée encore, lors de la « querelle de Dersim », qui a vu Recep Tayyip Erdoğan reconnaître les massacres commis dans la province kurde-alévie, dans les années 1930, et présenter les excuses de la République, tandis que Kemal Kılıçdaroğlu, lui-même originaire de Dersim et descendant des victimes de la répression, renonçait à admettre la responsabilité du parti kémaliste, qui était pourtant au pouvoir au moment des faits (cf. nos éditions des 25 novembre 2011 - La mémoire de Tünçeli-Dersim de nouveau au cœur de l’actualité politique turque et 27 novembre 2011 - Les excuses officielles de Recep Tayyip Erdoğan pour les massacres de Dersim ébranlent la classe politique turque.).

« L’affaire des deux congrès du CHP » pourrait donc porter un nouveau coup dur à la principale formation d’opposition, qui n’est pas arrivée à se refonder véritablement, en dépit de son changement de leader. Or, l’inaptitude des kémalistes à promouvoir leur renouveau n’est pas seulement inquiétante pour eux-mêmes, mais plus généralement pour le fonctionnement de la démocratie de ce pays, au moment où beaucoup d’observateurs regrettent la trop forte influence acquise par l’AKP sur l’ensemble du système politique turc.

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Sources

Article original publié sur le blog de l’OViPoT le dimanche 26 février 2012 sous le titre : « Nouvel imbroglio au sein du CHP »

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