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« Une injustice envers la Turquie »

mercredi 27 décembre 2006, par Alain Valtat

Par un saisissant manque de vision, doublé d’une frilosité extrême, alors que la Turquie est candidate à l’adhésion à l’Union Européenne depuis 1987, presque 20 ans, l’UE à décidé de ralentir les négociations de son adhésion afin de sanctionner son refus d’ouvrir ses ports et aéroports aux Chypriotes grecs. « C’est une « injustice » » , a affirmé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. « Ankara va continuer sur la voie de l’intégration européenne dit-il, la vocation européenne ne date pas de l’instauration de la République turque en 1923. La Turquie a toujours été tournée vers l’Occident et l’Europe en particulier. »

- Alain Valtat, ancien grand reporter, fut envoyé spécial du « Quotidien de Paris » à Chypre du 15 juillet au 5 septembre 1974.

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Par ce refus, il faut prendre conscience que l’Europe adresse un « message négatif » à la Turquie. Cette décision, signifie de facto que le processus de négociations dans son ensemble est suspendu à la question chypriote. Là est l’injustice.

Tous les dirigeants, qu’ils soient français, ou européens (grecs et chypriotes grecs en particulier), semblent avoir sur cette question chypriote une mémoire franchement courte, sinon extrêmement sélective.
L’attitude de Jacques Chirac et Angela Merkel, qui sont « fatigués du refus d’Ankara de reconnaître les Chypriotes grecs » , ont lancé une « initiative mal intentionnée » à l’égard de la Turquie. Comment peut on être fatigué de négocier alors que les colonels putschistes Grecs sont totalement responsables de la division de l’île et de la présente situation ? Il est évidemment plus facile de relire le passé avec les lunettes du présent et de diaboliser la Turquie.
La ministre des Affaires étrangères grecque Dora Bakoyannis, le chef de la diplomatie chypriote Yiorgos Lillikas, le président chypriote, Tassos Papadopoulos ne sont pas satisfaits de la décision de l’UE, mais ont-ils oublié leur propre histoire, l’histoire de leur pays ? Tous devraient s’abstenir de paroles haineuses, car les paroles, pour peu qu’elles dénoncent, sont faites pour être crues « sur parole ». Piètre façon de faire de la diplomatie. Le problème c’est cette mémoire sélective.

- Rappelons simplement quelques faits historiques incontestables.

Le 15 juillet 1974, Mgr Makarios est renversé par un coup d’État fomenté par des nationalistes chypriotes grecs de la garde nationale. Ils visent le rattachement de l’île à la Grèce. Ils sont encouragés par la junte militaire au pouvoir à Athènes depuis le 21 avril 1967. Cette junte place à la présidence un ennemi déclaré des Turcs, Nicolas Sampson bien connu des britanniques, un fanatique de l’Enosis, militant d’extrême droite. Le coup d’État fait 200 morts Chypriotes grecs. Les turcs ne sont pas comptabilisés…

5 jours plus tard, le 20 juillet le Premier ministre turc Bülent Ecevit, se prévalant des accords de Zürich de 1959, qui font de la Turquie, avec la Grèce et le Royaume-Uni, le garant du statu quo dans l’île, ordonne le débarquement des troupes turques à Kyrénia (nord de Chypre) pour une « opération de paix destinée à protéger les Chypriotes turcs ». La garde nationale lors de sa retraite pratique systématiquement une politique de prise d’otages et souvent celle de la terre brûlée. (les craintes n’étaient pas illégitimes).

Le 23 juillet, l’intervention de la Turquie provoque la chute des colonels au pouvoir à Athènes ce qui mettra fin à 7 ans d’une sinistre dictature militaire au plus grand bonheur des grecs (l’Europe a-t-elle oublié la révolte des étudiants ?). À Nicosie le coup d’État s’effondre, le chef du Parlement, Glafcos Cléridès assure l’intérim.

Du 24 au 30 juillet les trois puissances garantes de l’indépendance de Chypre (Royaume-Uni, Grèce et Turquie) réunies à Genève, instituent une « zone de sécurité » tenue par les Casques bleus de l’ONU et reconnaissent l’existence de deux administrations autonomes. Elles se réuniront à nouveau en août.

Du 14 au 16 août l’armée turque progresse vers l’est et occupe le nord de Chypre, soit 38% du territoire.

A la suite de ces événements, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte un certain nombre de résolutions qui élargissent le mandat de l´UNFICYP afin que la Force puisse surveiller le cessez-le-feu de facto déclaré le 14 août 1974 ainsi que la zone tampon entre les lignes de la Garde nationale de Chypre et des forces turques et chypriotes turques.

Le 1er novembre l’Assemblée générale de l’ONU vote la résolution 3212 demandant le renforcement de l’UNFICYP pour contrôler la « ligne verte » de 180 kilomètres qui coupe l’île et la capitale Nicosie d’est en ouest.

Enfin le 7 décembre Mgr Makarios revient à la présidence jusqu’en 1977.

20 ans plus tard, le 4 janvier 1997, par provocation le gouvernement Cléridès annonce l’achat de missiles russes S-300. Colère d’Ankara qui menace d’intervenir militairement et décide de négocier de son côté avec la Belgique et les Pays-Bas l’achat de missiles sol-air. L’émissaire américain obtient finalement du président Cléridès un délai de 18 mois avant le déploiement des missiles. Le président chypriote renoncera finalement à déployer les missiles russes S-300 achetés à Moscou en 1997. La presse de droite comme de gauche voient dans l’affaire des S-300 une « farce » attestant de l’absence d’une volonté politique pour un règlement du problème de Chypre et cela, tant à Nicosie qu’à Athènes.

Le 24 avril 2004 sous l’égide de l’ONU, un référendum sur la réunification de l’île est organisé, il est accepté à plus de 65 % par les chypriotes turcs, et rejeté à 70 % par les Chypriotes grecs. Les Chypriotes nationalistes grecs hostiles au plan de réunification de Kofi Annan, retrouvent leurs vieux démons xénophobes.
Le plan pour une réunification de l’île est désormais moribond.

Le 20 février 2005 élections législatives anticipées en République turque de Chypre, le Parti du premier ministre Mehmet Ali Talat (centre gauche), favorable au plan de réunification de l’île proposé par l’ONU, remporte les élections. Mehmet Ali Talat invite les dirigeants chypriotes grecs à reprendre les pourparlers pour la réunification de l’île divisée. A Bruxelles, la Commission européenne salut la victoire de M. Talat. « Les résultats témoignent d’un désir clair de la communauté chypriote turque de continuer les préparatifs à sa pleine intégration au sein de l’Union européenne », déclare l’exécutif communautaire. Ces résultats démontrent également « que les Chypriotes turcs sont engagés dans la réunification de Chypre ».

Malgré les bonnes paroles, l’UE est incapable de résoudre cet épineux problème. Recep Tayyip Erdogan en appel à l’ONU : « l’Union européenne ne sera jamais le lieu d’une solution globale à la question de Chypre. Nous sommes favorables à une solution juste et durable qui vienne des Nations unies ». Il a raison.
L ’UE avait promis de mettre un terme à l’isolement du nord de l’île. Or, il ne s’est rien passé. A l’inverse, les Chypriotes grecs, qui ont pourtant rejeté le plan de Kofi Annan et torpillé le dialogue entre les deux parties de l’île, bénéficient pleinement de leur statut de pays membre de l’UE, laissant en isolement économique la partie turque du nord de l’île.

La Turquie, qui a des relations étroites avec Israël, est un membre de l’Organisation de la conférence islamique (OIC), et a adhéré à l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 1952. Membre fondateur du Conseil de l’Europe en 1949, la Turquie fait partie de l’Europe. Elle a été un membre clé de l’OTAN pendant la guerre froide, elle fut pendant près de 50 ans le bouclier contre le régime soviétique et a été reconnue en 1999 comme « ayant vocation à rejoindre l’Union Européenne ».
Quelle que soit l’évolution du processus politique d’adhésion, l’important est aussi de ne pas monter les sociétés civiles les unes contre les autres.

L’UE ferait « une grave erreur de calcul stratégique » en fermant la porte à la Turquie, menacée d’une suspension de ses négociations d’adhésion au bloc européen. Cette porte d’approvisionnement énergétique, est un facteur de sécurité politique, ainsi qu’un marché profitable. « La décision prise par l’UE d’ouvrir la porte à la Turquie était une décision stratégique importante », cette décision, qui est aussi une maîtrise de l’espace mondial, restera dans l’histoire comme une des décisions majeures des Européens de la fin du 20e et du début du 21e siècle.

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