Les jeunes du CHP (Parti Républicain du Peuple, premier parti d’opposition parlementaire) prennent la plume à l’occasion de la crise politique qui secoue la Turquie aujourd’hui. « Si les kémalistes - années 30 qui tiennent notamment l’appareil du CHP avait pu prévoir de tels mots d’ordre auraient-ils appelé à manifester dimanche dernier ? », s’interrogeait Baskin Oran en nous envoyant cette déclaration. Lancées sur la logomachie anti impérialiste classique, les revendications de la branche jeunesse du vieux parti kémaliste en appellent à toute une série de mesures d’une incroyable modernité (sur les Universités, les médias, les quotas en matière de parité... !!!!) qui, appliquées, transformerait profondément le visage de la démocratie turque. La société civile et la jeunesse turques feraient-elles irruption dans le monde politique ? Ce serait la grande nouvelle de ce printemps 2007…
« Mémorandum » des jeunes et des civils
29 avril 2007
La démocratie turque est en train de vivre l’une de ses périodes les plus cruciales et les plus tendues.
Même si l’on vante les mérites d’un pouvoir à un seul parti comme source de stabilité, entre des mains qui ne sont pas celles de démocrates convaincus, le risque est grand de voir ce genre de pouvoir évoluer vers la dictature.
Il est impossible de considérer la volonté d’une assemblée qui ne représente pas plus de la moitié du corps électoral comme l’expression de la volonté populaire. On a tenté de confier le gouvernement de la Turquie à des personnes condamnées pour atteinte directe et ouverte aux principes du monde moderne.
Avec un Etat exclu de la vie politique, économique et sociale et dont la place est désormais occupée par des organisations de la « société civile » internationale aux ordres du capital international, notre pays est en train de vivre une période de semi-occupation économique et politique.
Et dans le processus d’occupation de la région dont elle occupe le centre, la Turquie assume le rôle d’agent de l’impérialisme.
Malgré tout cela, l’activité caractérisée ces derniers mois par des manifestations de centaines de milliers de personnes représente une opportunité unique de se sauver définitivement de la décadence sociale, économique et politique portée par les suites et les conséquences du coup d’Etat de 1980 !
Il en va de la responsabilité politique la plus éminente de faire de la République, l’expression de la volonté nationale ; de la laïcité, la garantie de la démocratie comme de la liberté de religion et de conscience ; de la liberté de pensée, le droit sacré et inaliénable de la personne ; et enfin de la Justice, le garant de la paix sociale et de l’unité nationale !
A la politique actuelle doit être opposé un mouvement de résistance ouvert et susceptible de voir souffler dans ses voiles ce massif soutien populaire.
Les revendications qui suivent ne sont rien d’autre qu’un mémorandum des jeunes et des civils recueillant en son sein les principes démocratiques et adressé à tous ceux qui se bouchent les oreilles aux cris poussés par la révolte de l’esprit et des consciences !!
1. Plus aucune initiative mettant le peuple à l’écart, tenant pour absurde de développer des politiques publiques ou portant atteinte à notre démocratie ne doit être soutenue. Les institutions publiques doivent pour cela endosser la part de responsabilité qui leur incombe.
2. Le barrage électoral de 10 % qui au nom de la stabilité porte gravement atteinte au principe de juste représentation doit être abaissé à un seuil tolérable. Notre démocratie doit pouvoir se sauver des majorités parlementaires qui n’ont pas d’équivalent populaire.
3. On doit mettre fin aux débats sur les systèmes présidentiels et semi-présidentiels. Les pouvoirs du Président de la République doivent être réaménagés dans le respect des principes d’un régime parlementaire.
4. Ceux qui exercent le pouvoir doivent revoir leur façon de faire de la politique en s’appuyant sur toute une série de décisions venues du haut, idéologiquement étroites et éloignées de toute participation populaire. Et dans cette optique, la loi électorale doit être modifiée dans le sens d’une approche de la prise de décision qui puisse favoriser la démocratie et prendre en compte les demandes de la base.
5. Pour faire des jeunes et des femmes des éléments actifs de la politique turque, il nous appartient d’appliquer un système de quotas dans le processus de désignation des candidats aux élections générales et locales comme à tous les niveaux de responsabilité dans les partis.
6. Afin que la démocratie turque puisse fonctionner sans problème, il convient de faire en sorte que le Juge soit à même de rendre ses décisions de justice en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Pour que les Universités puissent s’adonner en toute liberté à leurs travaux et recherches scientifiques, il faut envisager un réaménagement des fonctions et des attributions du Conseil de l’Enseignement Supérieur et favoriser leur autonomie financière comme leur liberté académique.
Les liens économiques des médias écrits et audio-visuels doivent être encadrés par des règles précises : ils doivent être maintenus à distance de toute influence ou pression exercée par le pouvoir.
7. Dans le cadre de ce processus, il incombe à tous les partis politiques, à commencer par le CHP, mais aussi à tous les syndicats, organisations professionnelles et organisations démocratiques de la société civile qui se situent à gauche sur l’échiquier politique, de porter le plus haut possible les valeurs de la pensée social-démocrate et de la pensée kémaliste en éclairant les réalités d’aujourd’hui par les acquis du passé.
Pour cela, un congrès unitaire doit être réuni dans les plus brefs délais avant les prochaines élections législatives sous égide du CHP avec pour objectif de dégager les grandes lignes d’un programme de gouvernement.
Stratégies électorales et politiques de fond doivent être définies avec la participation de la base dans l’optique de se présenter en un ensemble uni et cohérent devant les électeurs.